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Le blog d'Alain Boublil

 

Le grand retour du nucléaire

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les approvisionnements en pétrole et en gaz naturel dans de nombreux pays et ont fait prendre conscience de la nécessité d’assurer la sécurité de la production d’électricité. Les hausses de prix qui ont résulté ont forcé les Etats à adopter des dispositions coûteuses pour leurs finances publiques pour protéger les consommateurs et permettre la survie des entreprises confrontées à des augmentations de coûts de production ou de fonctionnement qu’ils n’auraient pu répercuter à leurs clients. Le choix consistant à parier sur les énergies renouvelables pour prendre le relais des énergies fossiles s’est révélé erroné, l’Allemagne en apportant la preuve. Le recours au nucléaire est alors apparu dans de nombreux pays comme un élément essentiel pour faire face au double défi constitué par le retour des tensions internationales et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Ce changement a été particulièrement spectaculaire en France. Le pays avait réussi à construire entre 1975 et 1995 des capacités de production d’électricité nucléaires lui permettant à la fois de garantir son indépendance et d’offrir aux ménages et aux entreprises des prix favorisant leur pouvoir d’achat et leur compétitivité. Les gouvernements successifs ensuite, au lieu de profiter de cet avantage en soutenant l’industrie nucléaire avec de nouvelles commandes, a, au contraire, affaibli le secteur et imaginé des solutions alternatives. Le point culminant de cette politique interviendra avec la fermeture de la centrale de Fessenheim sous la pression de l’Allemagne qui voulait protéger ses mines de charbon alors que l’Autorité de Sûreté Nucléaire avait renouvelé son autorisation d’exploitation, et avec la décision de ramener la part du nucléaire dans le mix électrique à 50% dans l’avenir alors qu’il était en moyenne suivant les années autour de 70%.

Heureusement, après dix ans d’erreurs, le gouvernement a complètement changé de politique à la suite de la hausse des prix des énergies fossiles due à la guerre en Ukraine et des conséquences des arrêts de centrales après la découverte de phénomène de corrosion en 2022.  La production des centrales nucléaires qui avait atteint 30,6 TWh en Octobre 2021 tomba un an après à 20,2 TWh pour revenir en octobre 2023 à 28,3 TWh grâce la remise en marche progressive des unités qui avaient été arrêtées. Ces difficultés techniques étaient intervenues au pire moment puisque les prix de l’électricité en Europe, alignés sur ceux du gaz naturel, avaient connu des hausses sans précédent. Le tarif réglementé d’EDF pour les ménages était passé de 0,1193€ le KWh en octobre 2021 à 0.204€ en octobre 2023. L’Etat en avait alors atténué les effets avec le bouclier tarifaire et en réduisant les différentes taxes et redevances qui s’ajoutaient au coût de l’électricité consommée.

La France était même devenue pour la première fois importatrice nette d’électricité en 2022 à hauteur de 15 TWh alors que le pays était traditionnellement exportateur à hauteur parfois jusqu’à 70 TWh. La remise en marche des centrales depuis le printemps a permis de retrouver un solde extérieur positif. Il a atteint pour les trois derniers mois connus près de 16 TWh, soit un niveau proche de celui observé avant la crise. Heureusement, le gouvernement a tiré la leçon des erreurs passées et a fait un revirement à 180° en renonçant à se fixer comme objectif la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique et en annonçant un programme de construction de six centrales qui pourrait ensuite être porté à douze. Les premiers contrats et les recrutements viennent d’intervenir sur le site de Penly, en Normandie qui a été choisi pour la première de ces unités.

La France n’est pas isolée dans ses choix, bien au contraire. L’Union Européenne vient enfin d’adoucir sa politique passée en n’excluant plus par principe le nucléaire de sa « taxonomie », c’est-à-dire de la définition des investissements qui peuvent être soutenus pour procéder à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La COP 28, qui se déroule actuellement à Dubaï, ne conclura pas sur la fin de la production et de l’utilisation des énergies fossiles mais l'accord pourrait inclure le nucléaire parmi les modes de production à mettre en place pour atteindre les objectifs de réduction des émissions afin de contenir à 1,5° le réchauffement de la planète. Au même moment, vingt pays dont le France et dix autres membres de l’Union Européenne ont signé un accord demandant que soit triplée la capacité de production nucléaire mondiale.

Dans de nombreux pays, comme en France, il a été décidé de construire de nouvelles centrales. Il y a actuellement 411 réacteurs en fonctionnement dans le monde, les Etats-Unis et la France avec respectivement 61 et 56 centrales disposent des deux premiers parcs nucléaires devant la Chine avec ses 54 unités. Il y a en outre 58 centrales en cours de constructions, dont 20 en Chine et 8 en Inde, ce qui est rassurant puisque l’un est devenu le premier émetteur de CO2 dans le monde et le second est en passe de devenir le deuxième. De nouveaux Etats et notamment la Turquie et le Bangladesh, ont choisi d’adopter ce mode de production et la tendance s’accélère avec l’émergence de plusieurs autres projets en Europe et en Asie.

A Bruxelles, sous la pression de l’Allemagne, l’inclusion du nucléaire parmi les investissements favorisant la transition énergétique avait longtemps été bloquée. La situation est en train de changer avec la guerre en Ukraine et les sanctions adoptées contre la Russie. La réduction des exportations de gaz naturel a joué le rôle de révélateur. Les énergies renouvelables ne peuvent constituer la seule réponse pour décarboner l’économie pour deux raisons : elles sont intermittentes et des centrales capables de fonctionner en permanence sont indispensables. Avec les barrages hydroélectriques, les centrales nucléaires sont les seules n’émettant pas de CO2 à pouvoir le faire. Et les champs d’éoliennes et de panneaux solaires ne sont pas situés là où est la demande. D’énormes investissements dans les réseaux et dans la distribution sont nécessaires mais ils rencontrent souvent l’hostilité des populations concernées.

Ces deux facteurs qui pèsent lourdement sur les coûts doivent être pris en compte quand on évoque la compétitivité des énergies renouvelables. En même temps, les technologies mises en avant pour stocker le carbone et le réinjecter n’apportent qu’une contribution dérisoire à la réduction des émissions des centrales à charbon, qui constituent les principales sources d’émission de CO2. La production nucléaire, avec la dissociation entre la croissance et la consommation des énergies fossiles, contribue donc bien, au moins en partie, à la réalisation des objectifs de la transition énergétique. Les décisions récentes de ces pays dont la France, prennent en compte ces réalités. Mais l’effort à entreprendre sera considérable car les délais de réalisation sont longs et la construction des centrales nécessitent le recours à une main d’œuvre hautement qualifiée et spécialement formée pour ce type de travaux.

Un tournant majeur vient d’intervenir. La France dispose des atouts pour en tirer profit malgré les deux décennies perdues du fait de pressions politiciennes irresponsables. L’Etat doit donc convaincre en permanence de son engagement et du caractère irréversible de ses choix afin d’attirer les compétences indispensables pour mener à bien ces projets. L’opérateur public en tirera la crédibilité nécessaire pour qu’il finance ses investissements et qu’il exporte son savoir-faire aux opérateurs étrangers qui dans leur pays vont avoir la charge de construire ces nouvelles centrales nucléaires, .