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Le blog d'Alain Boublil

 

Les années 80 : une décennie prodigieuse

En économie comme en politique, les formules ont la vie dure. Ainsi aux Trente Glorieuses selon le titre du livre de Jean Fourastié, allant de 1946 à 1975, auraient succédé, après les deux crises pétrolières, quarante années d’erreurs qui expliqueraient les difficultés auxquelles la France est confrontée aujourd’hui. Mais la réalité a été bien différente. Les Trente Glorieuses n’ont pas été aussi glorieuses que cela et durant les années 80, ont été accomplies des réalisations dont la France est fière et qui ont changé la vie des Français.

Le jugement porté sur les années d’après-guerre repose largement sur le taux de croissance que la France, comme d’ailleurs la plupart des économies occidentales, a connu, niveau que le pays n’a pas retrouvé depuis. Cette analyse est artificielle car la croissance a été alors tirée par la reconstruction par principe temporaire. La même observation s’applique à l’évolution des revenus et du pouvoir d’achat des ménages ce qui n’a pas empêché, à la fin de cette période, la France d’être confrontée à l’inflation, à la montée du chômage et à un déficit commercial considérable.

Durant les années 60, on a bâti des cités autour des grandes villes sans assurer un équilibre entre les différentes catégories de population allées y habiter et sans offrir les infrastructures de transport et les services publics de proximité indispensables. L’absence de sécurité sur les routes provoquait plus de 8000 morts par an. Les normes de construction étaient insuffisantes et on devra engager des travaux coûteux pour éliminer les effets toxiques de l’amiante massivement utilisée alors. Enfin, la France a raté la décolonisation, en nouant des relations douteuses avec nombre de chefs d’Etats africains et en étant incapable de soutenir le développement de ces pays pour assurer à leurs populations un niveau de vie acceptable. Sauf pour y extraire du pétrole et du gaz, les entreprises françaises y ont peu investi. Cela fera naître un profond ressentiment et ce sera l’une des causes des tensions observées aujourd’hui. Le bilan de cette époque n’est donc pas aussi glorieux qu’on le dit.

En même temps, les politiques conduites durant les années 80 et les résultats obtenus font toujours l’objet de violentes critiques et d’omissions, malgré les succès spectaculaires de nombreuses réalisations. Il y a bien sûr un aspect politique dans ces appréciations du fait de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Mais elle n’explique pas tout car encore aujourd’hui une majorité de journalistes et même d’historiens continuent à émettre un jugement négatif.    

Les années 80 ont d’abord été marquées par des avancées déterminantes dans la construction européenne. La création du Système Monétaire Européen en 1979, dans un contexte international très volatil, a été essentielle mais c’est la décision de la France d’y rester en 1983 qui a été décisive. Les devises fluctuaient alors librement sauf entre les pays qui y avaient adhéré. La brutale ascension du dollar résultant de la politique monétaire américaine avait créé des déséquilibres forçant les Etats-membres à plusieurs réalignements. L’accroissement du déficit commercial français, dû uniquement à l’alourdissement de la facture pétrolière résultant de la hausse du dollar, fut à l’origine de tensions mais le gouvernement français a tenu bon. Sans cette détermination, le SME aurait éclaté et il est bien peu probable que l’euro ait vu la jour quinze ans plus tard.

La France a alors confié à Jacques Delors la mission de préparer, au sein de la Commission, le projet de Marché Unique dont l’adoption a constitué une nouvelle étape majeure dans la construction européenne. L’Etat, sous l’impulsion de Pierre Bérégovoy de 1984 à 1986 puis à partir de 1988, a réformé le mode de fonctionnement du marché financier ce qui lui a permis de financer ses déficits dans de bonnes conditions et aux entreprises de trouver les ressources pour réaliser leurs investissements. C’était un changement radical par rapport aux années 70 où le crédit était encadré, les prix contrôlés par l’Etat et les échanges financiers avec l’étranger réglementés.

Contrairement à ce que l’on entend encore aujourd’hui, les mesures relatives à l’augmentation des bas salaires, à la généralisation de le 5èmesemaine de congés payés et à la réduction du temps de travail dans les usines avec la création de la 5ème équipe ont constitué des progrès sociaux significatifs et n’ont été en rien à l’origine des déficits commerciaux français.

Des restructurations industrielles majeures ont été entreprises à la suite des nationalisations. Elles ont permis de sauver des secteurs entiers comme la sidérurgie ou la chimie et de créer des champions mondiaux dont la France est aujourd’hui fière. Le cas de Dassault Systèmes est exemplaire. Dassault avait développé un logiciel, Catia, permettant de charger sur un ordinateur la représentation d’un objet en trois dimensions. IBM avait proposé de le commercialiser chez ses propres clients. Mais la France, dans le passé s’était toujours opposée à toute coopération avec le géant américain de l’informatique. A l’automne 1981, l’Etat donna son accord, abandonnant cette vision fausse de l’innovation. Dassault créa ensuite une filiale, Dassault Systèmes, pour y loger cette nouvelle activité. La société fut ensuite introduite en bourse. Sa capitalisation, signe de son succès exceptionnel, est aujourd’hui proche de 50 milliards d’euros. Autre exemple, parmi tant d’autres, l’aluminium. En 1988, l’Etat, toujours actionnaire de Péchiney donna son feu vert à la construction d’une usine à Dunkerque. Malgré la gestion calamiteuse de l’entreprise après sa privatisation qui la fit passer sous le contrôle de fonds américains, Dunkerque est toujours la première usine d’aluminium en Europe et c’est elle que le président de la République est allé visiter pour vanter les mérites de l’industrie française.

Le contexte de l’époque n’a pas empêché, bien au contraire, la naissance d’une nouvelle génération d’entrepreneurs dont les succès contribuent encore aujourd’hui à la prospérité du pays et à son rayonnement international. Bernard Arnault, en reprenant l’entreprise textile en difficulté Boussac, a construit à partir de 1984, le premier groupe de luxe dans le monde, LVMH. François Pinault, qui n’était à l’origine, suivant sa propre expression, qu’un « importateur de bois du Nord » a, presqu’au même moment, commencé à construire un empire industriel et commercial dénommé maintenant Kering. Enfin, la famille Bolloré qui fabriquait dans une petite usine de Bretagne du papier à cigarette est elle aussi devenue un acteur majeur avec Vivendi, dans le domaine des médias.

1981 a été aussi l’année de la renaissance du TGV en France. Le programme avait été stoppé par le gouvernement précédent. Mais lors de l’inauguration de la section opérationnelle de la ligne Paris-Lyon, le président de la République demanda à la SNCF d’étudier la construction de nouvelles lignes desservant l’Ouest du pays. Le plus grand réseau d’infrastructures ferroviaires européen allait naître transformant la vie des Français et donnant aux villes raccordées des nouvelles perspectives de croissance. La liaison avec l’Angleterre, dont on rêvait depuis près de deux siècles, allait être aussi enfin réalisée grâce au Traité de Canterbury signé au printemps 1986. Parallèlement un vaste programme autoroutier était lancé qui contribuera, avec les mesures relatives au port de la ceinture, au contrôle technique et aux limitations de vitesse, à diviser presque par trois la mortalité routière.

Le nouveau programme nucléaire français avait été conçu à la fin du gouvernement Messmer en 1974 avec le choix des centrales à eau pressurisée. Elles seront réalisées dans leur très grande majorité durant les années 80 avec la conception de deux nouveaux modèles d’une puissance portée à 1300 MW puis à 1450 MW. La France acquit ainsi une plus grande indépendance énergétique, n’émettant pas de CO2 et offrant un prix très compétitif de l’électricité.

C’est, enfin, durant les années 80 qu’a été lancée la renaissance de La Défense, aujourd’hui le premier quartier d’affaires d’Europe. La rénovation du CNIT et surtout la construction de l’Arche, dans le cadre du programme de grands travaux décidé en 1982, ont constitué des facteurs déterminants. On pourrait ajouter que c’est l’attractivité du pays qui a décidé Disney en 1984 à construire son premier parc d’attraction en Europe, non loin de Paris. Euro Disney est ainsi devenu la première destination touristique européenne et a permis la création de dizaines de milliers d’emplois.

Ces quelques exemples apportent la preuve qu’il n’est pas justifié de porter au firmament les Trente Glorieuses et de condamner les politiques menées durant les années suivantes. La pensée manichéenne n’est pas bonne conseillère. Plutôt que stigmatiser ce qui fut accompli à l’époque, il vaudrait mieux s’en inspirer pour résoudre les problèmes de la France d’aujourd’hui.