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Le blog d'Alain Boublil

 

Du pétrole à l'électricité

L’énergie a toujours été au cœur des transformations qui ont touché les sociétés. C’est le charbon qui a permis la révolution industrielle et qui a offert aux pays où se situaient les gisements la possibilité de se développer et d’accroître leur influence dans le monde. Le XXème siècle a été, à bien des égards, le siècle du pétrole autant par les immenses possibilités qu’il a offertes que par les crises qu’il a déclenchées. L’accès aux ressources de la mer Caspienne a incité l’Allemagne à envahir le sud de la Russie, tentative qui a échoué à Stalingrad, ce qui a marqué un tournant dans la guerre en Europe. Et les crises pétrolières de 1973 et de 1979 ont eu sur les pays développés des conséquences économiques majeures. Les défis climatiques et géopolitiques vont conduire les pays à repenser leur rapport à l’énergie pour que sa fourniture réponde aux exigences de la lutte contre le réchauffement climatique tout en garantissant la sécurité des approvisionnements.  

Les raisons du succès du pétrole puis de sa remise en cause sont riches d’enseignements pour l’avenir. A l’origine il y a l’abondance de cette nouvelle matière première, même si les gisements, à l’exception des Etats-Unis, ne sont pas situés dans les principales zones de consommation. Mais, à la différence du charbon, le pétrole est facile à transporter, par pipe-lines ou par navires quand il faut traverser un océan et c’est ce qui fera son succès. Il rend plus facile de nouveaux modes de déplacement, l’automobile et le transport routier d’abord puis le transports ferroviaire. Il permet dans des conditions bien meilleures que le charbon, d’assurer le chauffage des bâtiments et des logements. Il peut être aussi transformé et permettre l’apparition de nouveaux matériaux, comme le plastique.

Mais l’importance économique qu’il acquiert au fil des décennies et surtout le fait que les pays développés, malgré les découvertes importantes en mer du Nord et au Sahara, sont devenus importateurs, va en faire progressivement un enjeu politique qui apparaîtra dans les années soixante-dix avec l’embargo à la suite de la guerre du kippour puis la constitution de l’OPEP, dont la mission sera d’assurer aux producteurs un prix élevé. Parallèlement, des organisations non gouvernementales comme le Club de Rome, commencent, à tort, à alerter sur l’épuisement de la ressource. Un pic de production est annoncé à hauteur de 83 millions de barils avant la fin du siècle. En 2022, la production a dépassé 100 millions de b/j car si en théorie la ressource est limitée, l’ingéniosité de l’homme pour se la procurer, est, elle, illimitée. La mise en œuvre de nouvelles techniques d’exploration et d’extraction a permis d’accroître, notamment aux Etats-Unis, la production avec la révolution du pétrole et du gaz de schiste.

Mais la prise de conscience des conséquences de l’utilisation des énergies fossiles sur la qualité de l’air et sur le climat, vont faire évoluer le rapport au pétrole. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’attaque d’Israël par le Hamas vont réintroduire dans les priorités nationales l’indépendance énergétique et donc la localisation de la production dans des zones sures. Le gaz naturel avait connu, comme le pétrole, une forte progression grâce aux capacités de production accrues et à la liquéfaction qui facilite son transport. Ses émissions de gaz à effet de serre plus basses que le pétrole et surtout que le charbon avaient permis d’envisager qu’il réponde aux contraintes environnementales. Mais la concentration de sa production en Russie et au Moyen-Orient ne permettait pas de garantir la sécurité des approvisionnements comme vient de la montrer notamment la crise énergétique allemande. Dans les années à venir c’est donc bien l’électricité qui va devenir progressivement l’élément central du mix énergétique.

L’électrification de la consommation d’énergie a commencé avec l’essor de la voiture électrique, d’abord en Chine puis en Europe. De nombreux autres pays suivront comme les Etats-Unis, où le premier producteur mondial, Tesla, finira bien par obtenir l’adoption de règles qui favoriseront ses ventes sur le marché américain. Elle se poursuivra avec l’abandon progressif des modes de chauffage au charbon puis au gaz naturel et leur remplacement par les pompes à chaleur et par l’électricité.

Pour que l’usage de l’électricité se développe en remplacement des énergies fossiles, il faut que son mode de production corresponde aux exigences de disponibilité et de proximité des usagers. Le développement des énergies renouvelables et l’incitation à la sobriété ne suffiront pas. L’extinction progressive des centrales au charbon et au gaz devra s’accompagner de la constitution de capacité de stockage et d’investissements dans la production d’électricité non intermittenten, n'émettant pas de gaz à effet de serre et localisées dans des zones politiquement sures et proches des centres de consommation. Tels sont les défis auxquels vont être confrontés les pays dans les décennies à venir.

La France, avec sa maîtrise de l’énergie nucléaire, dispose d’un avantage réel. Les progrès réalisés dans la réforme du marché européen de l’électricité constituent une étape positive mais qui doit être validée par le Parlement et les gouvernements. Elle doit encore être protégée contre toutes les tentatives qui par le biais de dispositions techniques risquent d’en restreindre la portée et réduire les avantages que le pays en tirera quand ses entreprises profiteront d’une amélioration de leur compétitivité à travers des coûts de l’énergie plus faibles que chez leurs concurrents européens.

Il faut aussi que la France renonce à son habitude de s’attaquer à tout ce qui marche bien, comme le nucléaire dans le passé, le TGV ou les autoroutes à péage aujourd’hui. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Alexandre Dumas, en 1842, racontant son voyage en Toscane écrivait : « La France, mère prodigue, fait bon marché du génie de ses enfants, déprécie tout ce qu’elle a et exalte tout ce qui lui manque » en opposant nos comportements à ceux qu’il observait en Italie. La France doit donc être fière de sa réussite dans le nucléaire qui a permis pendant près de quarante ans de fournir de l’électricité aux ménages et aux entreprises dans de bonnes conditions de prix, de renforcer l’indépendance énergétique et même de devenir exportateur chaque année pour plusieurs milliards. Le concept de « rente nucléaire », à consonance péjorative, doit être abandonné et le gouvernement doit s’engager fortement pour que dans les dispositions futures du marché européen, le lien avec le prix du gaz ou l’obligation de revendre à des concurrents l’électricité à un prix inférieur à son prix de revient, soient abandonnées.

Mais produire l’électricité ne suffira pas. Il faudra aussi la transporter et la distribuer aux nouveaux lieux de consommation, les bornes de recharge de véhicules, les usines qui auront été converties et les grandes villes où l’utilisation va fortement s’accroître. D’importants investissements seront nécessaires : prolongation de la durée de vie des centrales existantes, construction de nouvelles unités, développement des réseaux. Ce sont des raisons de plus pour que le producteur national ne soit plus pénalisé par une tarification et des dispositions qui lui sont défavorables et pour qu’il ait accès à des conditions de financement national ou européen privilégiées. Il en va de la sécurité d’approvisionnement de la France et de son respect des objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

Une nouvelle ère dans le domaine de l’énergie s’ouvre, l’ère de l’électricité. Il est essentiel d’en mesurer toute l’importance. Il convient ensuite de se convaincre qu’elle peut être favorable au pays à condition de valoriser ses compétences au lieu, comme ce fut trop souvent le cas dans le passé, de les dénigrer.