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Le blog d'Alain Boublil

 

Electricité : le grand défi

S’il est bien un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est que pour assurer la transition énergétique, les besoins en électricité augmenteront significativement dans les décennies à venir. La priorité donnée à la voiture électrique, en Europe comme en Chine, se traduira par une hausse de la consommation d’électricité. Il en ira de même pour le chauffage. Les restrictions imposées pour réduire le nombre de chaudières au fuel et au charbon, vont se traduire automatiquement par le passage au chauffage électrique pour les habitations ou les locaux non raccordés au gaz. On pourrait ajouter que la numérisation de la société est aussi un facteur d’augmentation des consommations.

Enfin, dans de nombreux secteurs industriels, les impératifs liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre vont conduire les entreprises à rechercher chaque fois que cela est possible à se passer des énergies fossiles pour avoir recours à l’électricité. Mais, et tout le monde est aussi d’accord là-dessus, c’est que la production d’électricité doit être décarbonée. Sinon les efforts accomplis n’auront servi à rien. La source alternative mise en avant le plus souvent, ce sont les énergies renouvelables. Mais elles sont intermittentes et les crises récentes ont montré, et cela s’est traduit dans les prix qui se sont envolés, à quel point la disponibilité de l’électricité est indispensable à nos sociétés.

Il convient donc de disposer d’un parc de centrales électriques capable à tout moment de répondre aux besoins. Il peut s’agir des centrales hydrauliques qui présentent trois avantages : elles n’émettent pas de gaz à effet de serre, elles sont en mesure de stocker des capacités et enfin elles peuvent fonctionner à tout moment. Mais le nombre de sites en Europe est limité et quand on voit les mouvements sociaux intervenus en France quand il s’est agit de construire des « bassines » pour protéger l’irrigation de la production agricole dont elle peut avoir besoin, on imagine les contestations qui pourraient être déclenchées si l’on lançait des projets de nouveaux barrages.

La deuxième solution pour se protéger contre l’intermittence des énergies renouvelables est le nucléaire. Mais cette technologie a suscité de violentes contestations qui ont même donné naissance à des partis politiques lesquels ont été parfois appelés en renfort pour constituer des majorités politiques. Ce fut le cas en France en 1997 du gouvernement Jospin et en Allemagne de celui de la Chancelière Angela Merkel.

Le refus du nucléaire et l’insuffisance des capacités hydrauliques ont donc conduit ces pays à continuer à faire fonctionner leurs centrales avec des énergies fossiles, principalement le charbon et plus tard le gaz naturel. Mais quand ils ne disposaient pas suffisamment de ces ressources, ils se sont alors placés sous la dépendance étrangère pour un bien stratégique. On vient d’en voir les conséquences pour l’Allemagne qui a dû se priver du gaz naturel venant de Russie. En recherchant d’autres sources, cela a provoqué une envolée des prix laquelle s’est répercutée, du fait d’une réglementation européenne dont on a peine à comprendre la logique, sur les prix de l’électricité.

La principale leçon de la crise énergétique que vient de connaître l’Europe est que les énergies renouvelables ne constituent pas la réponse à tous les problèmes en même temps. Mais un autre aspect essentiel a été occulté : la capacité, ou non, des réseaux de transport et de distribution d’électricité à faire face à des changements instantanés dans le mix de production. Les centrales, dans le passé et quelque soient leurs modes de production, ont été construites en fonction des besoins de leurs clients. Deux caractéristiques ont été déterminantes, leur taille, donc leur capacité de production et leur localisation. Ce qui avait fait le succès du pétrole et du charbon, c’était la facilité avec laquelle ces énergies étaient transportées vers les centrales.

L’approvisionnement en combustible des centrales nucléaires n’avait pas davantage posé de problèmes. En revanche, leur acceptation par les populations locales fut un facteur déterminant. Moins il y avait de sites, moins il pouvait y avoir de contestations. C’est ce qui explique l’augmentation continue des capacités des réacteurs, passée en France de 900 à 1550 Mw et du nombre de réacteurs par site. Les localisations avaient été aussi déterminées en fonction du marché pour limiter l’étendue des réseaux de transport. La concentration dans le nord de la France et dans la vallée du Rhône des centrales s’expliquait par les besoins des industries implantées dans ces régions et par la densité des populations locales.

La situation est différente avec les énergies renouvelables. Leur localisation est fonction de leur exposition au vent pour les éoliennes et au soleil pour les panneaux. Mais il n’y aucune corrélation entre leur localisation et les besoins du marché. L’Allemagne en a fait la preuve. De très importantes capacités d’éoliennes ont été mises en service dans le nord du pays mais les plus gros consommateurs sont situés dans le sud. L’hostilité des populations n’a toujours pas permis de construire les lignes à haute tension nécessaires pour y acheminer l’énergie produite.  

Les réseaux vont aussi devoir tenir compte des lieux nouveaux de consommation et de production. La généralisation, attendue à partir de 2035, de la voiture électrique imposera la création d’un réseau de bornes de recharge dans des endroits, comme les aires d’autoroutes, qui en sont dépourvues aujourd’hui. Si l’on veut que les recharges soient rapides, ce qui sera indispensable les jours de grand trafic, plusieurs milliers de kilomètres de nouvelles lignes disposant de capacités importantes devront être construites. A l’inverse le réseau devra pouvoir faire preuve de flexibilité lorsque des installations de panneaux solaires sur des maisons ou des bâtiments commenceront en cours de journée à fonctionner.    

Pour atteindre les objectifs que s’est fixé l’Union Européenne, il faut réussir à concilier trois exigences contradictoires : faire face à une forte augmentation de la demande d’électricité (à Bruxelles on parle de 60% d’ici 2030), modifier le mix électrique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et garantir en tout point du territoire l’approvisionnement en électricité. Outre les investissements de production pour satisfaire la demande, il faudra adapter le réseau de transport et de distribution. Deux modèles font face, le modèle allemand et le modèle français. L’expérience de ces deux dernières années montre que le premier a échoué et que le second, malgré la mise à l’arrêt au pire moment de plusieurs centrales pour des raisons techniques, a démontré sa capacité à assurer l’approvisionnement du pays. La France depuis trois mois est même redevenue largement exportatrice d’électricité.

Au lieu, au travers d’une réforme du marché, d’essayer d’affaiblir le modèle français, la Commission ferait mieux de reconnaître sa capacité à répondre au défi de la transition énergétique et à réduire encore ses émissions de façon à atteindre l’ambition objectif de zéro-émissions nettes en 2050. A défaut, la France devra retrouver sa pleine souveraineté dans le secteur de l’électricité et adopter ses propres règles favorisant le secteur nucléaire et permettant d’assurer la croissance d’une production décarbonée et de financer l’adaptation du réseau de transport et de distribution.

Les défis auxquels est confronté le secteur de l’électricité sont très largement sous-estimés, notamment à Bruxelles et en particulier sur le rôle des réseaux. Au lieu de jouer avec les rivalités entre les pays, la Commission devrait admettre les réalités, se fixer des objectifs à long-terme crédibles et s’appuyer sur les Etats qui ont fait la preuve qu’ils étaient en mesure de les tenir.