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Le blog d'Alain Boublil

 

Taux d'intérêt : La hausse, jusqu'où ?

Les signes de dégradation de l’activité économique et même chez certains la menace de récession, comme en Allemagne, et de ralentissement de l’inflation, n’ont pas dissuadé les banques centrales, sauf en Chine, de continuer à relever leurs taux d’intérêt ou à annoncer de prochaines hausses. Le président de la Reserve Fédérale à Washington, n’a pas procédé à une onzième augmentation au mois de juin mais il a laissé entendre que d’autres interviendraient d’ici la fin de l’année. La Banque Centrale Européenne, au contraire, a procédé le 15 juin à un huitième relèvement de 25 points de base et sa présidente, Christine Lagarde, a indiqué que ce ne serait pas la dernière. La Banque Centrale d’Angleterre a porté le sien au mois de juin à 5% avec une hausse de 50 points de base. Et au Japon, pourtant confronté à une très faible inflation et une croissance qui stagne depuis deux décennies, la Banque Centrale qui avait procédé à un modeste relèvement à la fin de 2022, a laissé entendre que ses taux pourraient encore remonter.

Parmi les principales économies, la Chine fait exception. Ses taux à un an et à cinq ans vont légèrement baisser, passant respectivement de 3,65% à 3,55% et de 4,3% à 4,2%. Mais le pays connait une très faible inflation, autour de 2%. Ses taux réels, à la différence des économies occidentales, restent positifs. Cette mesure est destinée à réduire les risques qui affectent actuellement le secteur immobilier. Plusieurs promoteurs importants avaient lancé des programmes en s’endettant lourdement et sont confrontés à des arrêts de chantiers, ce qui provoque le mécontentement des familles qui s’étaient elles aussi endettées, pour devenir propriétaires.

Les banques centrales justifient leur action en invoquant leurs mandats, explicites ou implicites, à savoir faire revenir l’inflation à un niveau proche mais inférieur à 2%. La hausse des taux, en freinant la demande, qu’elle vienne des investissements des entreprises ou des ménages qui s’endettent pour acquérir une voiture ou un logement, est supposée exercer une pression sur les prix et contribue donc à atteindre les objectifs recherchés. Malheureusement ce raisonnement, qui date des années 60, n’est plus adapté au mode de fonctionnement de l’économie. Il s’appliquait bien aux économies peu ouvertes mais nous sommes à une autre époque, celle de la mondialisation.

L’inflation n’est plus, dans les économies développées, principalement causée par des déséquilibres internes. Elle a été générée à partir de 2022, par deux facteurs extérieurs. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une envolée du prix des énergies fossiles et de certaines matières premières agricoles. Les tensions internationales qui ont résulté de l’épidémie et de la dégradation des relations entre les Etats-Unis et la Chine ont perturbé les chaînes d’approvisionnement de nombreux produits industriels, ce qui a débouché, là aussi, sur des hausses de prix.

Au mois de mai, dans la plupart des pays développés, l’inflation a commencé à reculer. En France, en données harmonisées, elle s’est établie à 6,1%, chiffre voisin de la moyenne de la zone euro. En Allemagne, elle a été légèrement supérieure (6,3%). Aux Etats-Unis elle a nettement reculé et sur un an est voisine de 4%. Le Royaume-Uni fait exception avec une hausse des prix, toujours sur un an de 8,7%. Ces ralentissements ne vont pas jusqu’à atteindre le niveau de 2% recherché par les banques centrales. Et il n’est pas dû à leur action puisqu’il découle essentiellement de la baisse des prix du pétrole et du gaz obtenue par la reconstitution de circuits d’approvisionnement ne provenant pas de Russie.

Les Etats se sont défaussés sur les banques centrales de la lutte contre l’inflation, ce qui leur a évité de prendre des mesures impopulaires, comme le blocage des prix et donc aussi des salaires. Mais celles-ci ne disposent plus des moyens d’atteindre l’objectif qu’elles se sont fixé. Même si ces hausses répétées de taux donnent l’impression d’une action volontariste, elles ne le sont qu’en apparence car partout les taux d’intérêt réels, calculés en déduisant le taux d’inflation, sont encore largement négatifs. Dans la zone euro, avec une inflation de 6% et des taux de 3,5%, on aboutit à un taux réel de -2,5%, qui est bien inférieur au taux réel observé avant les crises successives intervenues à partir de 2020.

Cette prudence, en dépit des déclarations prônant la rigueur monétaire, leur est imposée par l’environnement financier. Dans le passé les fluctuations de taux d’intérêt se répercutaient essentiellement sur les marchés des changes. On se souvient des conséquences de la politique de Paul Volcker sur le cours du dollar au début des allées 80. Aujourd’hui elles ont des répercussions immédiates sur les marchés et sur les institutions financières dont la déstabilisation peut avoir des conséquences bien plus graves sur l’ensemble des économies que l’apparition de l’inflation. La crise des sub-primes et la faillite de Lehmann Brothers sont encore dans toutes les mémoires.

Le moment est donc venu de s’interroger sur les missions des banques centrales dans un environnement qui a complètement changé et qui rend obsolètes les raisonnements passés sur la relation entre taux d’intérêt et inflation. Après la crise financière de 2007-2008, elles ont constitué le Comité de Bâle qui a imposé de nouvelles règles prudentielles, Bâle 3, aux banques et aux opérateurs financiers pour protéger l’économie contre de nouvelles crises. En France, c’est l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, placée sous la tutelle de la Banque de France qui s’est vue attribuer cette mission.   

Le niveau des taux d’intérêt est pour le secteur bancaire un facteur essentiel de profit et de stabilité. Le modèle traditionnel veut que les banques se financent à court terme avec des taux inférieurs à ceux qu’ils proposeront à leurs clients qui s’endetteront à moyen et long terme auprès d’eux. Les marges qu’ils dégageront sont une condition de leur solidité. A l’inverse, quand la courbe des taux est plate, du fait des relèvements imposés par les banques centrales, ou pire, quand elle est inversée, cette action fragilise l’ensemble du système financier.

C’est une des raisons qui fait qu’en dépit d’un niveau de l’inflation qui reste très élevé, les banques centrales, en contradiction avec leur mandat, hésitent à relever trop brutalement les taux d’intérêt. Il est donc nécessaire de tirer les enseignements de la crise inflationniste actuelle pour réfléchir à redéfinir le partage des responsabilités entre les Etats et leurs banques centrales. On atteint rarement en même temps deux objectifs contradictoires, le retour à un bas niveau d’inflation, conforme aux mandats explicites ou implicites donnés par le passé, et la protection de la solidité du système bancaire et financier.

Cette réflexion concerne les Etats en premier lieu. Des mesures à l’échelle européenne adoptées dans le passé avaient pour but, en instaurant la concurrence, de contribuer à la stabilité des prix. Les évènements récents, dans le domaine de l’énergie, ont montré que le système instauré par Bruxelles, a eu les effets inverses. Il est essentiel d’en tirer les leçons et il est illusoire de penser par exemple que la hausse des taux d’intérêt permet de compenser les effets néfastes de la libéralisation des marchés de l’énergie sur les prix.

La hausse des taux va donc rester limitée et dès que l’environnement extérieur cessera d’exercer une pression inflationniste, les banques centrales saisiront cette occasion pour arrêter d’augmenter leurs taux. Elles s’en féliciteront mais il ne faudra pas être dupe : elles ne seront pour rien dans la réduction de l’inflation.