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Le blog d'Alain Boublil

 

La nouvelle inflation

On croyait en avoir fini avec l’inflation. Pendant près de 10 ans, jusqu’à la crise du Covid, la hausse des prix dans les pays développés avait été très faible, parfois même négative, au point que les banques centrales, et en premier lieu la Banque Centrale Européenne, avaient réinterprété leur mandat : au lieu d’agir pour faire redescendre l’inflation à un niveau inférieur mais proche de 2%, la BCE avait baissé ses taux et lancé une politique de rachat massive des titres de dette publique pour faire remonter l’inflation à un niveau inférieur mais proche de 2%. Tout a changé d’abord avec la crise sanitaire puis avec la crise énergétique. L’inflation en Europe et aux Etats-Unis a dépassé même par moment 9%. Mais contrairement aux expériences passées, ce n’est pas la France, en Europe, qui a connu les plus mauvais résultats. Ceux-ci sont meilleurs qu’en Allemagne par exemple.

La tradition inflationniste de la France résultait d’une erreur économique majeure : le contrôle des prix des biens de consommation par l’administration devait permettre d’y remédier, c’était l’application de l’ordonnance de 1945. A la fin de l’année 1980, l’inflation avoisinait 15% quand elle était deux fois plus faible en Allemagne. Les deux pays appartenaient au Système Monétaire Européen qui imposait aux Etats-membres des marges de fluctuation de leur taux de change étroites. Les crises monétaires se sont alors multipliées. Le processus a été enrayé en France à partir de 1984 quand la libération progressive des prix des biens et des services a été instituée faisant reposer sur la concurrence la mission de protéger les consommateurs et les entreprises contre les hausses de prix abusives de leurs fournisseurs.

Trente-cinq ans après, le résultat était impressionnant puisque la France était devenue en Europe un modèle de vertu dans ce domaine, bien que les nouvelles contraintes en matière de concurrence et de libéralisation imposées par Bruxelles dans les services publics essentiels comme l’énergie et le transport ferroviaire, n’aient pas donné les résultats attendus. Ces grands opérateurs dont les réseaux restaient pour des raisons évidentes détenus par des monopoles, ont été obligés de s’ouvrir à la concurrence. Mais celle-ci n’a pas généré de baisse significative des prix car leurs coûts ont été alourdis par la création de services commerciaux et de communication et par les dépenses de publicité.

Le second facteur qui a permis d’assurer pendant une aussi longue période une quasi-stabilité des prix a été la mondialisation. Les biens nécessitant le recours à une main d’œuvre abondante, ont vu tout ou partie de leur fabrication délocalisée dans des pays où les coûts étaient plus faibles. Les prix proposés aux consommateurs ont baissé tout en offrant à ceux-ci un choix de produits plus large.

La crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions adoptées ont provoqué de très fortes hausses des prix du pétrole et du gaz qu’il a fallu répercuter sur les clients, lesquels ont alors bénéficié de boucliers tarifaires financés par l’Etat au détriment de la situation des finances publiques. Les tensions intervenues entre les Etats-Unis et la Chine se sont ajoutées aux conséquences de la guerre en Ukraine sur les flux de produits agricoles, ce qui a remis en cause le modèle de mondialisation qui avait jusqu’alors prévalu avec des perturbations majeures affectant les chaines d’approvisionnement.

La nouvelle inflation a donc eu pour origine des causes exogènes à la situation économique de chaque pays et non, comme cela avait été le cas dans le passé, un déséquilibre entre la demande et l’offre de biens et de services. Les outils de politique économique avaient alors pour objectif de rétablir l’équilibre, mission confiée aux banques centrales.

La hausse des prix reste en 2023 supérieure à 5% en France et à 7% en Allemagne même si elle ralentit. Mais le fait le plus marquant, c’est que les deux sources exogènes d’inflation, les prix de l’énergie et ceux des produits alimentaires continuent de progresser au-delà du niveau déjà très élevé atteint en 2022, alors que les causes de ces évolutions, ont pour l’essentiel, disparu. Les prix du pétrole et surtout du gaz naturel ont chuté pour se retrouver à un niveau inférieur à celui atteint avant les crises successives car les Etats Européens qui sont avec la Chine les pays les plus fortement importateurs, ont réussi à trouver de nouvelles sources d’approvisionnement.

Quant aux matières premières agricoles, elles restent à un prix élevé du fait de la situation en Ukraine mais cela ne justifie pas que les produits agroalimentaires qui les incorporent continuent de connaître de telles hausses. En France, entre mai 2022 et mai 2023, la hausse a atteint 14,8%. En revanche, on note un début de ralentissement, bien tardif, pour les prix de l’énergie qui se sont encore accru en mai de 2% par rapport à l’année précédente.

Les autres secteurs économiques voient des augmentations de prix sur un an comprises entre 3 et 4%, du fait des hausses de coûts, notamment salariaux ou, dans l’industrie, en raison de la persistance de difficultés d’approvisionnement pour certains composants stratégiques, venant pour la plupart d’Asie. On est donc en présence d’une inflation qui est essentiellement sectorielle. Or la politique monétaire menée par les banques centrales sur lesquelles on compte pour réduire l’inflation agit, elle, sur l’ensemble de l’économie. En renchérissant le coût du crédit, en théorie, cela réduit la demande, la consommation des ménages comme les investissements des entreprises et fait baisser les tensions sur les prix.

Les banques centrales en ont donc fait largement usage mais sans obtenir les résultats escomptés. La Réserve Fédérale américaine a relevé son taux de base à dix reprises en moins de deux ans et on attend que la BCE procède à un 8ème relèvement depuis juillet 2022, soit 400 points de base. Ces institutions sont bien conscientes que l’environnement économique n’est plus le même que du temps de Milton Friedmann et que leur action a maintenant bien plus de conséquences sur les marchés financiers que sur l’économie réelle. C’est aussi ce qui les incite à la prudence afin de ne pas ajouter à la crise politique internationale une crise financière et ce qui limite leur action.

Les Etats doivent donc se doter des outils nécessaires pour s’attaquer à cette nouvelle forme d’inflation. La déréglementation de secteurs essentiels comme l’énergie et les transports a été un échec. En France, dans le transport ferroviaire, l’Etat a été obligé de reprendre une partie de la dette de la SNCF et dans l’énergie, il vient de renationaliser EDF. Le moment est venu de revenir à un système réglementé qui permet de gérer dans le temps les chocs extérieurs ayant des conséquences sur les prix offerts aux consommateurs. Bruxelles doit enfin reconnaître que ces réformes n’ont pas abouti.

Dans l’agro-alimentaire et sans revenir aux erreurs des années 70, il est essentiel de mieux limiter les collusions évidentes entre les grands groupes alimentaires et la grande distribution lesquels ont largement utilisé comme alibi la crise réelle mais temporaire des produits agricoles pour pratiquer de façon durable et injustifiée des hausses de prix sur les produits alimentaires qui ont affecté le pouvoir d’achat.  

A situation nouvelle, politiques nouvelles. Le risque, si l’on poursuit dans la voie actuelle, est de perdre sur les deux tableaux. L’inflation persistera et la croissance ne redémarrera pas. Dans le passé, on avait appelé cela la stagflation. La menace est aujourd’hui brandie mais il n’est pas sûr que les véritables causes et surtout que les remèdes aient été correctement identifiés.