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Le blog d'Alain Boublil

 

Brésil : une économie résistante

On s’intéresse aujourd’hui à l’économie brésilienne bien plus pour dénoncer la déforestation de l’Amazonie, qui d’ailleurs n’est pas entièrement située à l’intérieur de ses frontières, que pour analyser ses performances, sa croissance, son inflation ou sa fragilité financière. Le temps n’est pas si lointain où, du fait de l’ascension vertigineuse de sa devise, le réal, le pays s’était retrouvé non loin de la France, dans le classement des principales économies mondiales. Il figurait, avec la Chine, la Russie et l’Inde au sein du groupe des BRICS, auquel on avait adjoint l’Afrique du Sud pour y faire figurer ce continent.

Si le pays a vu son poids dans l’économie mondiale chuter, il a réussi, à la différence de l’Argentine, à ne plus retomber dans des crises inflationnistes qui affectaient sa stabilité financière et sa réputation internationale. Après une période de quasi-stagnation entre 2014 et 2018, la croissance était repartie. La récession provoquée par l’épidémie a été moins marquée que dans les économies développées (-3% en 2020) et la croissance a rebondi avec +5% en 2021 et +2,9% en 2022, suivant les premières estimations publiées. En revanche, la prévision pour 2023 traduit un nouveau ralentissement (+1%).

Le Brésil est à l’écart des grandes tensions internationales, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine ou de la dégradation des relations entre la Chine et les Etats-Unis. Cela lui permet d’être moins affecté par la vague inflationniste. La hausse des prix devrait atteindre 5,8% en 2023, au-dessus de l’objectif de 3,5% fixé par la Banque Centrale du Brésil, mais inférieur à ce qui est observé dans la plupart des pays développés. C’est rassurant si l’on se réfère au lourd passé du pays dans ce domaine.

Il a même profité en temps que producteur et exportateur de matières premières des déséquilibres dans les chaines d’approvisionnement et a réalisé en 2022 un excédent commercial de 60 milliards de dollars. La mise en service des gisements géants de pétrole en eau profonde au large de ses côtes lui a permis de ne plus dépendre des producteurs traditionnels en Amérique Latine, le Venezuela et le Mexique. Les investissements dans le secteur agricole ont rendu possible le développement à grande échelle des exportations de soja, de viande et de volailles. Mais l’excédent commercial n’est pas suffisant pour rétablir l’équilibre de la balance des paiements courants qui reste déficitaire de 40 milliards de dollars.

Deux postes expliquent pour une large part cette situation. Les revenus financiers réalisés par les grands groupes internationaux au Brésil et rapatriés dans leur pays d’origine ne sont pas compensés par des mouvements en sens inverse des groupes brésiliens car ceux-ci sont peu présents en dehors de leur pays. La mondialisation s’exerce à sens unique. La seconde cause est bien plus surprenante et révélatrice des faiblesses du modèle brésilien : le déficit touristique. Il y a bien plus de brésiliens qui vont voyager à l’étranger que d’étrangers venant visiter le Brésil. C’est d’autant plus surprenant que le pays, avec ses paysages, ses écrivains, ses artistes ou ses architectes, jouit d’un incontestable rayonnement international.

Mais les gouvernements successifs n’ont jamais fait du tourisme un élément prioritaire de leur politique économique et mis à part la région de Rio de Janeiro, rien n’est fait en matière d’infrastructures ou d’équipements hôteliers, pour inciter les visiteurs à découvrir les charmes d’un pays qui n’en manque pas. Cette situation financière fragile, jusqu’à présent, n’a pas constitué une menace. Les réserves de changes de la Banque Centrale dépassent 360 milliards de dollars. Mais la dette extérieure du pays atteint 3000 milliards de dollars et les intérêts que le pays paye sur cette dette contribuent aussi au déficit des paiements. Dans un contexte de hausse mondiale des taux d’intérêt, cela peut certainement constituer une menace. En revanche la situation des finances publiques, en partie grâce aux recettes prélevées par l’Etat, sur la production et la vente de pétrole, est bien moins alarmante que dans certains pays européens puisque la dette publique s’élève à 75% du PIB, ratio qui devrait passer à 78% en 2023.

Deux autres facteurs de croissance semblent absents des préoccupations gouvernementales, la transition écologique et la réduction des inégalités qui pourrait favoriser la consommation des ménages et donc l’emploi. On note peu d’investissements dans les énergies renouvelables, ce qui est surprenant pour un pays qui ne manque ni de soleil ni de vent. L’une des raisons invoquées porte sur les lourds investissements à réaliser dans le transport d’électricité puisque les fermes d’éoliennes et les champs de panneaux solaires seraient très éloignés des lieux de consommation.

On note peu d’efforts pour réduire les consommations d’énergies fossiles, le prix de l’essence est de l’ordre d’un euro le litre et la voiture électrique est quasiment absente. Dans les grandes villes, toutes les nuits, pour des raisons de sécurité, des lampadaires puissants illuminent les rues. Les capacités de captage du CO2 de la forêt permettent d’afficher un bilan carbone moins défavorable mais la réduction des surfaces plantées d’arbres au profit de champs d’exploitation de produits agricoles et notamment de soja, réduisent au fil des années l’efficacité des actions du pays en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le modèle social brésilien n’a pas atteint un niveau suffisant pour assurer un développement économique équilibré. La faiblesse du système de santé et les insuffisances du système éducatif sont des facteurs d’aggravation des inégalités. Elles avaient en partie été réduites sous le premier mandat du président Lula mais la philosophie « Trumpiste » du président Bolsonaro avait mis un coup d’arrêt à la recherche du progrès social et d’une richesse mieux partagée. Les inégalités, particulièrement dans les grandes villes, sont souvent à l’origine du développement de la délinquance. Pour lutter contre elles, les autorités locales comme les particuliers, engagent des dépenses importantes pour s’en protéger mais ces dépenses sont improductives et ne peuvent constituer l’un des moteur de la croissance dont le pays a besoin.

Le Brésil a mieux résisté que nombre d’autres pays aux crises successives qui viennent de frapper l’économie mondiale. Il a même profité de la hausse des cours du pétrole et des matières premières agricoles. Mais cette situation est par nature provisoire et ne saurait constituer une réponse à long terme aux défis auxquels le pays est confronté. Il revient donc au nouveau gouvernement constitué après la réélection du président Lula d’inventer un autre modèle social qui soit à la fois un remède à l’insécurité intérieure du pays et un facteur permettant de trouver un mode de croissance équilibrée et donc durable et contribuant en même temps à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.