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Le blog d'Alain Boublil

 

Les crises dans l'industrie automobile

La publication des résultats de Stellantis, avec un résultat net de 16,8 milliards d’euros ne doit pas aboutir à la conclusion que l’industrie automobile est repartie, a surmonté les difficultés passées et ne sera pas confronté dans l’avenir à de nouvelles crises. D’ailleurs Renault est bien loin d’avoir accompli la même performance puisque son résultat net, avant d’avoir déduit la perte de deux milliards due à sa sortie de la Russie, n’atteint que 1,6 milliard. Le secteur, partout dans le monde, a subi deux crises successives. Le confinement dissuadait les ménages d’aller acheter un véhicule puisqu’ils ne pourraient pas se déplacer. Les constructeurs furent ensuite confrontés à des difficultés majeures d’approvisionnement et ne purent pas toujours satisfaire la demande.

La situation a été particulièrement grave en France. Les immatriculations de véhicules neufs avaient atteint 2,2 millions d’unités en 2019. Avec 1,53 millions en 2022, la baisse est de 30% en trois ans. Du fait des stratégies de délocalisation des constructeurs nationaux, la production est passée en France entre 2004 et 2022 de 3,7 millions de véhicules particuliers et utilitaires, à 1,38 millions soit presqu’une division par trois en un peu moins de vingt ans. L’automobile a beaucoup contribué l’aggravation du déficit commercial de la France en produits industriels, puisque l'excédent observé en 2004 s’est transformé en un déficit de 19 milliards en 2022.

Renault porte la plus large part de la responsabilité pour cette chute. L’entreprise a mené une politique de délocalisations massives qui n’a apporté aucun profit si l’on en juge par l’écart de résultat avec Stellantis. L’acquisition de Dacia et la décision d’importer ses modèles en France a conduit ses dirigeants à délocaliser en Turquie et dans les anciens pays de l’Europe de l’Est la production de ses modèles d’entrée de gamme comme par exemple la Renault 5 puis la Clio.

L’argument invoqué était le coût excessif du travail dans l’Hexagone. Il a été entendu par les gouvernements qui ont fait de sa réduction un élément essentiel de leur politique visant à rétablir la compétitivité et l’attractivité du pays. L’évolution du commerce extérieur ces dix dernières années montre à quel point cette politique a échoué. La cause des problèmes n’était pas là. Il suffisait de se demander si les coûts du travail en Allemagne, qui était le principal concurrent de la France en Europe, étaient inférieurs et constituaient la raison du succès de Mercédès ou de Volkswagen pour avoir la réponse et être convaincu de l’erreur.

On aurait dû aussi s’interroger sur les performances de Toyota. L’usine d’Ornaing près de Valenciennes fût créée à la fin des années 90. En 2022, 256 000 véhicules en sortirent. Le site est devenu le premier centre de production de voitures en France devançant l’usine historique de Peugeot à Sochaux où en 2019 étaient sortis plus de 500 000 véhicules. Les difficultés d’approvisionnement en composants des constructeurs français n’expliquent pas tout. Ce sont leurs erreurs stratégiques, leurs acquisitions coûteuses, les alliances ne donnant pas les résultats attendus et les mauvais choix de modèles qui expliquent cet affaiblissement et rend leur capacité à relever le défi de l’électrification très douteuse.

L’Europe a décidé qu’en 2035, les véhicules à moteur thermique ne pourraient plus être offerts à la vente. Un délai de douze ans pour une telle mutation est sans précédent. Le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton a indiqué qu’en 2026, cet objectif serait peut-être aménagé. Il faut l’espérer car il est peu probable que l’industrie, et particulièrement les constructeurs français, soient capables d’assurer une telle transformation. Les consommateurs n’ont jusqu’à présent montré aucun enthousiasme pour abandonner le moteur thermique puisqu’en 2022, ceux-ci représentaient encore 85% des immatriculations. Le prix, malgré les subventions publiques, des véhicules électriques, reste trop élevé et leur autonomie ne correspond pas encore aux besoins des clients.

Les conséquences sur les salariés seront lourdes. Le secteur emploie directement en Europe 3,5 millions de personnes. Comme les industriels estiment que la construction des nouveaux véhicules nécessitera 40% de travail en moins, cela signifie qu’au moins 1,4 million d’emplois pourraient être supprimés. Il faut aussi que la production d’électricité suive et que le réseau soit suffisamment dense et équipé de lignes à haute tension pour fournir aux usagers les recharges nécessaires. Des investissements considérables sont donc à prévoir. Face aux conséquences financières et sociales de cette transformation, on doit se poser la question de la pertinence du délai imposé si l’on veut éviter une crise industrielle majeure.

La volonté de renforcer les investissements dans le secteur ferroviaire, comme vient de l’annoncer le gouvernement, est cohérente avec cette politique. Malheureusement, cette volonté ne va pas jusqu’à remettre en cause la libéralisation du transport par des autocars qui polluent et qui encouragent les voyageurs à se détourner du train tout en pesant sur la rentabilité de la SNCF. Ce programme d’investissement semble aussi ignorer qu’une priorité devrait être de réduire la part du transport routier de marchandises au profit du rail et d’accélérer la construction de la liaison Lyon-Turin pour réduire les émissions massives qui envahissent les vallées des Alpes.

Le réchauffement climatique résulte des émissions de gaz à effet de serre qui ont un caractère planétaire. Les efforts faits dans un pays ne servent à rien si les autres pays n’en font pas autant. Et les résultats de ces efforts pour la planète sont proportionnels à son niveau d’émission. Or l’Europe a des niveaux d’émission totaux et par habitant parmi les plus faibles au monde. La question à poser est donc de savoir si le prix qui va devoir être payé est justifié au regard de l’action des autres Etats.

Sur le plan industriel, la Chine a une avance considérable dans la production des véhicules électriques. Le pays dispose des matières premières indispensables et a dans ce domaine une position dominante et même parfois un quasi-monopole. Il sera presque impossible de restreindre l’accès au marché européen des voitures chinoises si leurs constructeurs décident de s’y intéresser car le risque est réel de mesures de rétorsion concernant la fourniture des composants indispensables à la production des batteries.

La situation est inverse aux Etats-Unis mais tout aussi préoccupante. Les niveaux d’émission de gaz à effet de serre sont très supérieurs à ceux observés en Europe car ils découlent des choix des consommateurs américains qui privilégient les véhicules lourds (SUV, vans, car trucks, etc…). Ils constituaient 75% des nouvelles immatriculations en 2020 contre seulement 25% en 1980. Aucun projet d’interdiction des véhicules thermiques n’est prévu dans ce pays où leur part représentait encore en 2022, 95% des ventes. Mais, dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, un programme d’aides publiques de 369 milliards de dollars a été mis en place pour réaliser des investissements permettant de réduire les émissions. Les constructeurs américains sous réserve qu’ils effectuent les investissements sur le sol américain vont y avoir accès, ce qui renforcera leur compétitivité dans tous les domaines.

Après le crise sanitaire et les conséquences sur les chaines d’approvisionnement de l’invasion de l’Ukraine, l’industrie automobile européenne et au premier rang les constructeurs français sont confrontés à l’obligation de procéder à une complète transformation de leur activité, avec le risque de tomber sous la domination de leurs concurrents chinois. Pendant ce temps, leurs concurrents américains, dont les véhicules polluent bien davantage, vont bénéficier d’aides publiques massives sans être soumis à des obligation de même nature. Le moment est peut-être venu de se demander si tout cela est raisonnable.