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Le blog d'Alain Boublil

 

Energie : l'année noire de la France

Il n’y a pas eu en 2022 en France de coupures de courant comme on le craignait. Cette menace a peut-être été exagérée pour que les ménages et les entreprises fassent des efforts pour réduire leur consommation d’électricité. Mais c’est la seule bonne nouvelle car la vague inflationniste qui a largement résulté des sanctions adoptées contre la Russie avec la hausse des prix des énergies fossiles qui en a résulté et les résultats désastreux du commerce extérieur montrent à quel point la France a été touchée. Cette situation provient pour une grande part des erreurs commises par l’Etat en matière énergétique depuis quinze ans et de réglementations européennes auxquelles les dirigeants français en charge de ces questions ne se sont pas opposés.

En données FAB-FAB, le déficit commercial est passé entre 2021 et 2022 de 78 milliards d’euros à 163 milliards. La principale cause de cette dégradation a été une augmentation de la facture énergétique de 70 milliards (en données CAF-FAB). La hausse des prix des énergies fossiles dont le solde s’est dégradé de 50 milliards en est l’une des causes. Les achats de précaution de gaz naturel, dont le stock de fin d’année est passé de 100 à 117 TWh PCS y a aussi contribué comme l’augmentation des importations de produits raffinés qui découle de la réduction d’un tiers des capacités de production intervenue en France en quelques années. Quant à l’électricité, la France était exportatrice nette pour près de 3 milliards en 2021 et est devenue pour la première fois importatrice à hauteur de 7 milliards d’euros en 2022.

La dégradation des échanges d’électricité est d’autant plus spectaculaire que les appels répétés en faveur d’une modération des consommations ont été entendus. Leur baisse a ainsi dépassé 7% au 4ème trimestre par rapport au début de l’année. Mais à cause de la chute de la disponibilité du parc nucléaire qui s’est traduite par l’arrêt de plus de 20 centrales, il a fallu augmenter la production thermique ce qui explique en partie la hausse des importations de gaz naturel, importer de l’électricité à un moment où, du fait des réglementations européennes, son prix atteignait des sommets, et mettre en place des boucliers tarifaires qui ont coûté à l’Etat des dizaines de milliards.

Les mauvais choix des gouvernements précédents sont pour beaucoup responsables de la baisse de la production nucléaire, passée de 362 TWh en 2021 à 280 TWh en 2022. Les mesures de confinement adoptées en 2020 et 2021 avaient fait reporter sur les années 2022 et 2023 les opérations de maintenance prévue d’où la concentration des arrêts observés. Mais le plus important n’est pas là. C’est la méfiance exprimée à l’égard de ce mode de production et qui s’est traduite notamment par l’objectif de ramener à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique qui a entrainé une baisse des effectifs permettant la bonne réalisation des opérations. Offrir des perspectives de carrière aux techniciens hautement qualifiés nécessaires pour faire marcher les centrales, est une condition indispensable. Jusqu’au revirement intervenu récemment avec l’annonce de la construction de six nouvelles centrales, cette condition n’était plus remplie. On a pu en constater les effets avec les difficultés rencontrées lors de la construction de l’EPR de Flamanville.

La fermeture de la centrale de Fessenheim en 2021 était injustifiée. Elle avait reçu l’autorisation de fonctionner de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Cela a constitué une autre erreur, intervenue au pire moment puisque la France a dû s’approvisionner en Allemagne avec de l’électricité produite à partir du charbon pour faire face à ses besoins. Certaines centrales ont dû en outre être fermées car y avaient été décelées des marques de corrosion, malgré des risques très faibles d’incident. Aux Etats-Unis, les autorités compétentes n'auraient pas exigé leur arrêt et auraient permis d’attendre les visites périodiques de maintenance pour procéder aux réparations.

La crise énergétique de 2022 a aussi montré que les nouvelles sources d’énergie renouvelable n’étaient pas en mesure de se substituer à la production nucléaire. Ce fut spectaculaire en Allemagne qui a accru sa consommation de charbon et ses émissions de CO2 mais aussi en France puisque pour compenser la baisse d’activité nucléaire il a fallu différer la fermeture de certaines centrales thermiques et avoir recours aux importations.

La raison est simple : l’hiver, quand on a le plus besoin d’électricité, les éoliennes et les panneaux solaires ne sont pas capables d’augmenter suffisamment leur production. Ainsi au 1er trimestre 2022, quand le nucléaire a commencé son recul (-7,5% et 64% de la production), la production des éoliennes stagne (-1,3% avec 11% de la production), celle des panneaux solaires reste marginale (2,2% de la production) et il faut faire appel à la production thermique (+11%) pour satisfaire la demande d’électricité. Le seul mode de production non intermittent et décarboné est donc bien le nucléaire.

Les ménages et les entreprises, on l’a vu, ont fait des efforts pour limiter leur consommation d’électricité. Entre le premier et le quatrième trimestre de 2022, celle-ci a baissé de 7,2% en données comparables. La production nucléaire baisse de 24,5% et est compensée par un maintien à un haut niveau de la production thermique, par des importations et, dans une moindre mesure par la production d’éoliennes. Pendant ce temps, les prix sur le marché européens connaissent une envolée sans précédent. Ils passent de 38€ le MWh en moyenne en 2020 à 153€ en 2021 pour atteindre 279€ en 2022 après un pic de plus de 300€ lors du troisième trimestre. On peut ainsi mesurer les conséquences pour la France d’être passée en un an de la position d’exportateur d’électricité à celui d’importateur au moment où les prix, du fait de leur lien avec le prix du gaz naturel, connaissaient une telle hausse.

Aux erreurs commises par le passé concernant le nucléaire s’est donc ajoutée celle d’avoir accepté ce lien visant à protéger l’économie allemande des avantages procurés à la France par sa production nucléaire. L’absurdité d’une telle situation est apparue et les leçons sont en train d’être tirées à Bruxelles avec la redéfinition d’une politique européenne de l’énergie. La France doit, enfin, faire valoir ses positions. L’électricité est un bien tout aussi essentiel que la monnaie, la crise actuelle vient d’en apporter la preuve. Les Etats ne peuvent pas prétendre grâce aux interconnections avoir accès à un prix déterminé de l’électricité sans se soumettre à des règles communes relatives à leur mode de production.

A l’image du Pacte de Stabilité qui est allé de pair avec la création de l’euro, il convient de créer un Pacte de Sécurité Electrique Européen auquel les Etats qui veulent avoir accès au marché doivent se soumettre. Il doit comporter trois critères à respecter, la sécurité d’approvisionnement des importations d’énergies fossiles, pour éviter que se renouvellent les problèmes nés de la crise avec la Russie, le degré d’intermittence pour garantir la stabilité de la production et les niveaux d’émissions de CO2 de façon à ce que soient respectés les engagements climatiques. La France doit donc peser de tout son poids pour faire franchir à l’Union Européenne cette nouvelle étape.

On peut commettre des erreurs. Le seul moyen de les réparer est d’abord de les reconnaître. Ensuite, après en avoir tiré les leçons, il convient d’adopter les mesures qui permettront de ne pas se retrouver face à une nouvelle année noire. Tel est le défi auquel est confronté le gouvernement français pour élaborer une nouvelle politique de l’énergie.