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Le blog d'Alain Boublil

 

2023 : Le grand tournant

Sauf à ce qu’il y ait, comme lors de ces trois dernières années, des évènements majeurs perturbant l’économie mondiale et par nature imprévisibles, on ne devrait pas connaître en 2023 une grave récession. Mais ces crises laisseront des traces durables qui affecteront l’action des autorités publiques et les comportements des agents économiques. Le monde entre dans une nouvelle ère. Cela s’était déjà produit dans le passé, au lendemain de la 2ème guerre mondiale avec une longue période de croissance puis, après la chute du mur de Berlin qui avait marqué la fin de la Guerre Froide et permis l’émergence de la mondialisation. Cette fois ce sont les outils de la politique économique qui devront être adaptés et cela se traduira par des tournants significatifs.

Le premier concerne les banques centrales, depuis quarante ans au cœur des grandes décisions économiques. Un mandat clair leur avait été donné, ramener l’inflation au niveau jugé acceptable de 2%. Elles devaient, en toute indépendance, utiliser les moyens à leur disposition, la fixation des taux d’intérêt et l’intervention sur les marchés financiers pour, en cas de dérapage, freiner l’activité économique et atteindre ainsi leur objectif. C’est ainsi qu’en 1980, la politique menée par Paul Volcker avait conduit le taux directeur de la Réserve Fédérale au-delà de 15% quand l’inflation aux Etats-Unis dépassait 10%. On est loin aujourd’hui de constater une action de même nature. La dernière hausse intervenue au mois de décembre a porté le taux à 4,5% alors que l’inflation, qui avait atteint 9% au mois de juillet, était encore de 6,5% à la fin de l’année. Ce ralentissement a suffi pour que l’on considère que les prochains relèvements des taux directeurs ne seraient plus que de 25 points de base, le point haut désormais anticipé en 2023 se situant autour de 5% Or l’inflation restera très probablement supérieure et le taux réel continuera donc à être largement négatif, ce qui peut difficilement conduire à freiner l’activité pour faire revenir l’inflation autour de 2%.

Le même phénomène caractérise l’action de la Banque Centrale Européenne dont le mandat est plus strict que le cadre dans lequel agit son homologue américaine. Alors que l’inflation prévue dans la zone euro en 2023 est de 6,3%, ses taux directeurs devraient rester très inférieurs. Dans le passé, elle avait incarné avec détermination la rigueur monétaire. L’ère des faucons des deux côtés de l’Atlantique est donc bien révolue et cela pour trois raisons. D’abord, les effets de leur action ne sont plus les mêmes que par le passé. Ils portent avant tout les taux de changes. Quand la Fed a entamé son resserrement au printemps, le dollar s’est immédiatement apprécié, de l’ordre de 10% face à l’euro. Il a suffi ces dernières semaines que les marchés prennent conscience que ce durcissement allait s’atténuer pour que le dollar reperde l’essentiel de sa progression face à l’euro, qui vaut aujourd’hui1,08$ contre 0,98$ il y a un mois.

Mais ces fluctuations sont sans lien avec l’objectif de peser sur l’activité pour atténuer les tensions inflationnistes. En revanche, une hausse bien plus forte des taux, directement en relevant les taux directeurs ou en intervenant sur les marchés en sens inverse de ce qui a été fait depuis trois ans par la BCE pour maintenir des taux bas, aurait de graves conséquences pour les pays qui sortent des évènements récents lourdement endettés. Des crises financières majeures pourraient alors les atteindre.

La troisième raison est politique. Elle conduit les autorités monétaires à préférer l’inflation à d’éventuelles récessions provoquées par leur action qui fragiliseraient les gouvernements en place. Dans le contexte actuel et qui est appelé à durer car les tensions ne vont pas disparaître, cela favoriserait l’accès au pouvoir de partis extrémistes. Un tournant majeur est donc en train d’intervenir dans l’attitude des banques centrales. Elles ont pris conscience, sans le reconnaître publiquement, que certains remèdes sont pires que le mal et que la lutte contre l’inflation ne saurait ignorer les risques financiers et politiques qu’une action trop aggressive ferait courir aux pays concernés et donc au monde.

Le deuxième grand changement est la montée des protectionnismes. Elle découle de la rivalité naissante avec la Chine et des conséquences des sanctions adoptées contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine. La tentation a toujours été forte aux Etats-Unis et le Buy American Act n’est pas nouveau. L’Union Européenne au contraire avait été fondée sur le principe du libre-échange et elle a construit son marché unique. Mais la réaction américaine au nouvel environnement mondial avec l’adoption d’un projet ouvertement protectionniste, sous le prétexte de lutter contre l’inflation et de favoriser la transition énergétique constitue un signal fort, indiquant que la vision libérale du commerce international qui avait permis la naissance de chaines mondiales d’approvisionnement est maintenant révolue. Cela ne concernera pas uniquement les puces chinoises et l’Europe commence à s’en préoccuper. L’instauration de taxes carbone aux frontières pourrait constituer une première étape et des mesures de rétorsion à l’égard des Etats-Unis et de nouvelles protections vis-à-vis de la Chine sont sérieusement à l’étude. La logique suivant laquelle la libéralisation des échanges était un fait acquis et devait sans cesse être approfondie est révolue et pour longtemps.

Le troisième changement, qui est la conséquence logique du précédent est le retour de l’intervention des Etats dans la vie des entreprises. La réindustrialisation et la reconstruction des chaines d’approvisionnement rendues nécessaires par les menaces politiques, qu’il s’agisse de la Russie ou de la Chine, ne peuvent pas se faire suivant les règles du marché puisqu’elles engendreront des coûts supplémentaires et que les entreprises ne les engageront pas spontanément. C’est le raisonnement qu’a fait l’administration américaine et elle est en train d’être suivie par Bruxelles qui a ouvert la porte, ce qui était impensable il y a trois ans, à une réforme du régime des aides d’Etat. A cet environnement international qui crée de nouvelles contraintes s’ajoutent les enjeux environnementaux. Les lois du marché ne conduiront pas naturellement à construire des chaines d’approvisionnement plus courtes, à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à développer les énergies renouvelables. Les Etats vont donc faciliter les investissements nécessaires en les subventionnant ou en offrant des conditions de financement privilégiées.

La crise énergétique en Europe a aussi montré une faiblesse majeure. La libéralisation de la production et de la commercialisation du gaz et de l’électricité a exposé les pays à une forte dépendance extérieure pour des biens stratégiques. Elle n’a pas protégé les consommateurs et les entreprises contre des hausses de prix massives et plusieurs grands fournisseurs ont même, comme Uniper en Allemagne, dû être nationalisés ou se voir accorder des subventions publiques très importantes. Le retour des Etats pour protéger des services publics essentiels est donc inévitable.

Ceux-ci devront aussi intervenir pour que la conversion des moyens de transport vers des sources d’énergie moins émettrices de CO2 se produisent dans les délais annoncés. Des aides importantes sont d’ores et déjà promises pour la construction des usines de batteries aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe et pour rapatrier les centres de production de semi-conducteurs qui devront équiper notamment les véhicules particuliers comme les poids lourds dans l’avenir.

Le monde économique est donc bien à un tournant et les règles comme les modes de pensée qui ont été appliqués des dernières décennies sont désormais obsolètes. Un vaste effort de réflexion et de concertation est indispensable pour que cette nouvelle réalité soit bien comprise aussi bien par les responsables politiques que par les agents économiques concernés.