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Le blog d'Alain Boublil

 

2023 : le pire n'est pas certain

La prévision est un art difficile. Pourtant, en économie, c’est l’un de ses principaux centres d’intérêt. Mais l’exercice est un peu biaisé. Un excès d’optimiste peut inciter les agents économiques à prendre des décisions dont les conséquences seraient lourdes si les attentes ne sont pas au rendez-vous. Au contraire, les bonnes surprises font vite oublier les déclarations pessimistes et la crédibilité de leurs auteurs n’en n’est pas affectée. 2022, comme les deux années précédentes, a connu une succession d’évènements sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale ayant de lourdes répercussions économiques. Ils étaient par nature imprévisibles comme la crise sanitaire ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie.  

Les Etats en ont atténué les conséquences au prix d’une forte augmentation de leur endettement. Dans un premier temps, c’était indolore puisque les taux d’intérêt étaient négatifs ou très faibles grâce aux banques centrales qui procédaient à des achats massifs de titres de dettes publiques sur les marchés financiers. Mais, avec l’apparition de l’inflation résultant des circonstances exceptionnelles intervenues ces dernières années, cette situation est révolue. Leurs mandats leur imposent d’agir pour ramener la hausse des prix à un niveau voisin de 2%. A la fin de l’année 2022, elle se situait autour de 10%. Quatre facteurs menacent donc l’économie mondiale en 2023, la crise énergétique, l’inflation et ses conséquences sur la croissance et enfin les tensions politiques générées par la guerre en Ukraine et le nouveau regard porté sur la Chine.

Les sanctions contre Moscou ont bouleversé les flux de pétrole et de gaz et généré des hausses brutales de prix de ces deux sources d’énergie. Mais les réorientations ont été beaucoup plus rapides que ce qui avait été prévu. Le pétrole se transporte facilement, c’est ce qui a fait son succès au XXème siècle. L’Inde et la Chine ont récupéré une large partie des exportations que la Russie ne pouvait plus livrer en Europe, ce qui a libéré des capacités. Dans un contexte d’abondance, au point que l’OPEP a renouvelé régulièrement ses accords de limitation de sa production durant toute l’année, la probabilité de nouvelles tensions sur ce marché est faible et on ne devrait pas connaître en 2023 un rebond des prix.

La situation est plus complexe pour le gaz naturel qui, à la différence du pétrole, est plus difficile à transporter. La fermeture des gazoducs reliant l’Europe à la Russie a provoqué un choc brutal car il n’existait que peu d’infrastructures disponibles pour alimenter les pays destinataires à partir d’autres gisements. Le transport maritime de gaz liquéfié n’offrait pas de capacités suffisantes et les prix se sont envolés. Une réorientation des flux est quand même intervenue grâce aux exportations américaines vers l’Europe ce qui a pu compenser une partie du déficit. Mais si la guerre menée par la Russie se prolonge, la rigidité des techniques de transport du gaz naturel, au moins vers Europe, devrait se traduire par le maintien de niveaux de prix élevés, même si grâce à la douceur actuelle du climat, ils ont provisoirement reculé.

Ce contexte a eu des conséquences économiques plus lourdes en Europe du fait de la chute de la production d’électricité en France et de la réglementation liant le prix de l’électricité au prix du gaz naturel. Cela a constitué la principale cause de la vague inflationniste qui a frappé le Vieux Continent. En 2023, la production nucléaire française va progressivement retrouver son niveau habituel et contribuer à réduire les tensions. Mais tant que les règles européennes n’auront pas été modifiées, les prix de l’électricité resteront élevés. Les boucliers mis en place par les Etats pour en limiter les conséquences sur les ménages et permettre aux entreprises de poursuivre leur activité ne pourront durer éternellement et cela affectera l’activité.

On n’observera donc pas en 2023 de pénurie d’énergie mais il serait illusoire d’espérer que les prix pour les particuliers comme pour les entreprises retombent à leur niveau de 2019. La deuxième menace est donc de nature inflationniste. Les hausses de coûts liées aux différentes crises passées n’ont pas encore été entièrement transmises dans les prix offerts aux clients. Des tensions subsisteront. Mais au fur et à mesure que les circuits auront retrouvé leur efficacité, elles diminueront. L’inflation, telle qu’elle est mesurée, est le rapport entre les niveaux de prix de deux années successives. Il y a bien peu de chances que les hausses qui interviendront en 2023 soient de même une ampleur qu’en 2022. Mécaniquement, l’inflation en 2023 sera donc inférieure à celle mesurée en 2022.   

Le même raisonnement doit s’appliquer à la croissance. Plutôt que d’envisager une récession en 2023, sauf dans des pays affectés par des circonstances particulières comme le Royaume-Uni avec les conséquences du Brexit, il semble plus approprié de prévoir une phase de consolidation ou de transition avant un retour à un environnement international apaisé. L’activité connaîtra une hausse très faible ou sera parfois légère baisse mais le scénario d’une profonde récession n’est pas l’hypothèse la plus probable. La conjugaison d’une réduction de l’inflation au cours de l’année et de la perspective d’une activité peu soutenue et parfois en légère régression devrait inciter les banques centrales à atténuer leurs politiques restrictives en ralentissant le mouvement de hausse des taux d’intérêt. Les Etats n’auraient pas ainsi à subir un nouveau choc sur leurs finances publiques provoqué par l’augmentation de charge de la dette au moment où ils réduisent les concours exceptionnels qu’ils ont dû consentir pour soutenir leurs économies. Le signal ainsi donné serait donc favorable à l’activité.

La dernière source d’inquiétude concerne les tensions géopolitiques. Qu’une solution soit trouvée ou non au conflit en Ukraine, le monde en 2023, après toutes ces crises, ne sera plus le même. La mondialisation centrée sur les Etats-Unis et intégrant la Chine comme « usine du monde » que l’on connait depuis trente ans est un modèle révolu. Les perturbations intervenues sur les chaines d’approvisionnement comme les exigences environnementales inciteront les entreprises à revenir à un modèle de production plus proche de leurs clients. Les Etats chercheront à se réindustrialiser. Les coûts de la main d’œuvre en Chine rendront le pays moins attractif. La politique américaine visant à désigner la Chine comme un rival stratégique contribuera aussi à l’abandon du modèle passé de mondialisation.

Les sanctions adoptées par Washington à l’encontre de Moscou, le gel des avoirs russes dans les banques étrangères et l’interdiction d’utiliser le dollar pour certaines transactions vont inciter Pékin, à titre préventif, à relancer sa stratégie d’internationalisation du Yuan, pour ne pas risquer d’être un jour confronté à ce type de menaces. Le voyage en Arabie saoudite du président chinois et l’accord passé avec les autorités locales pour que les achats de pétrole soient désormais réglés en Yuan va dans ce sens. La relance des programmes des nouvelles Routes de la Soie traduit la volonté de Pékin de renforcer ses relations économiques avec ses voisins en Asie, au Moyen-Orient et même jusqu’en Afrique. Une « sphère de coprospérité » dont le centre serait la Chine est en train de voir le jour. Cela constitue à l’évidence une menace, pour les pays et les entreprises qui ne l’auraient pas compris et qui n’auraient pas choisi de s’y adapter.

Le monde en 2023 ne sera plus le même que celui que nous connaissons depuis un quart de siècle. Mais cela ne veut pas dire qu’une nouvelle grave crise soit certaine cette année. Cela signifie seulement qu’il faut se préparer à cette transformation.