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Le blog d'Alain Boublil

 

Nouveau nucléaire : Rattraper le temps perdu

L’envolée des prix du pétrole et du gaz à la suite des sanctions prises contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine a déclenché en Europe une vague d’inflation sans précédent depuis 40 ans et la deuxième crise pétrolière. Les limites des énergies renouvelables ont été constatées car leur intermittence fait que l’on ne peut pas se passer de capacités de production d’électricité toujours disponibles. En France, les retards dans la mise en service de l’EPR de Flamanville, les délais plus longs de réalisation des opérations de maintenance à la suite de l’épidémie de Covid-19 et l’apparition de phénomènes de corrosion ont provoqué une chute de la production de plus de 30% et ont forcé le pays à devenir importateur d’électricité au pire moment, quand le prix du fait des réglementations européennes était lié à celui du gaz naturel.

La leçon de cet épisode très coûteux pour les finances publiques, puisque l’Etat a dû mettre en place des boucliers tarifaires, est que l’énergie nucléaire est indispensable à la sécurité des approvisionnements et à la stabilité financière du pays. La baisse de la production qui est intervenue provient de deux erreurs stratégiques majeures de l’Etat qu’il importe d’avoir identifié pour, si l’on veut rattraper le temps perdu, ne pas les commettre à nouveau.

Après avoir constaté l’échec du surgénérateur de Creys-Malleville en 1998, le gouvernement n’a pas commandé l’EPR qui avait pourtant été certifié par l’Autorité de Sureté Nucléaire. Il faudra attendre près de dix ans pour qu’il soit mis en chantier à Flamanville. Pour faire face à la chute de son activité, Framatome n’avait pas d’autre choix que de prendre la commande d’une centrale en Finlande mais l'entreprise ne disposait pas du savoir-faire. Produire et livrer un réacteur est une chose, conduire les travaux d’une centrale en est une autre. Ce n’est pas parce que l’on sait fabriquer son moteur qu’on est capable de produire la voiture. 

La seconde erreur stratégique est intervenue quand il a été décidé de réduire jusqu’à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité. Tout projet de nouvelle centrale était abandonné et les travaux de maintenance et de prolongation de la durée de vie des centrales existantes étaient ralenties, contribuant à la désaffection des personnels face au déclin programmé de leurs métiers. La baisse actuelle de la production nucléaire en est la conséquence directe et a pour origine les difficultés, pour les entreprises de la filière, de disposer des équipes techniques ayant conservé les compétences indispensables à la réalisation des travaux. Aucune activité industrielle ne peut rester indemne dans un tel environnement.

La leçon en a été tiré et l’Etat a confié à EDF la mission de lancer un programme de construction ambitieux de nouvelles centrales. Mais il y a urgence et pour que l’objectif soit atteint, plusieurs conditions doivent être remplies. La première et peut-être la plus importante est celle du retour de la confiance et la reconnaissance que le nucléaire est à nouveau une industrie d’avenir. L’Etat doit s’engager avec fermeté et sans ambiguïté et il aura le soutien de la majorité des Français qui considèrent que ce mode de production d’électricité présente désormais plus d’avantages que d’inconvénients à la suite des dérives financières actuelles.

Il doit aussi lever maintenant tout doute sur le choix du modèle de réacteur. Ce sera la version améliorée de l’EPR, l’EPR2. Pour cela, l’idée d’un recours aux « petits réacteurs » qui avait été évoqué doit être abandonnée. Cette solution est inadaptée parce que nous ne disposons pas de modèles certifiés et que pour atteindre les capacités nécessaires il faudrait cinq à six fois plus de réacteurs et des nouveaux sites, ce qui n’est pas compatible avec la situation du réseau et créerait des problèmes d’acceptabilité locale. Le choix de l’EPR2, où auront été introduites les modifications rendues nécessaires à la suite de l’expérience tirée dans la construction des premiers EPR, permet au contraire de gagner du temps et d’assurer une réduction des coûts.

La détermination affichée de l’Etat créera une véritable motivation dans les entreprises appelées à réaliser les travaux comme au sein des équipes de techniciens. Le projet de loi qui vient d’être adopté en Conseil des Ministres est un premier signal mais au Parlement, il conviendra de refuser des modifications éventuelles du texte qui remettraient en cause les objectifs de simplification des procédures et, chaque fois que cela sera possible, fixer des délais à celles-ci.

EDF a déjà réfléchi aux sites qui accueilleront les nouveaux réacteurs, Penly, Gravelines et Bugey. Il convient donc, pour le premier, Penly, de procéder aux études préliminaires sans attendre l’issue des dispositions législatives nouvelles de façon à être prêt dès qu’elles auront été adoptées et d’ouvrir des consultations préalables avec les autorités locales compétentes qui délivreront, le moment venu, les autorisations. Ces démarches devront être rendues publiques afin, là encore, de montrer la détermination de l’exploitant de la centrale à mener à bien le projet dans les meilleurs délais.

En même temps, une vaste concertation avec les entreprises de la filière nucléaire doit être lancée, toujours avec le même objectif qui est de les convaincre que le tournant annoncé par le Président de la République à Belfort, est entré dans sa phase d’exécution et que le moment est venu pour elles de se préparer à se voir attribuer de nouveaux et très importants marchés, dans un premier temps à Penly. Elles doivent donc procéder aux études logistiques et étudier la réalisation des implantations à proximité du site nécessaires à l’accomplissement des travaux qui leur seraient confiés. Elles doivent enfin se préparer à lancer une vaste campagne de recrutement et de formation.

L’une des raisons, sinon la principale, des difficultés rencontrées sur les chantiers de l’EPR, résidait dans les pertes de compétences intervenues durant des décennies où l’on a dû constater la chute de l’activité de construction. Des métiers techniques très spécialisés, indispensables à la réalisation des travaux comme la chaudronnerie, le soudage ou la robinetterie ou encore le coulage du béton, ont perdu la quasi-totalité de leurs effectifs. Un effort massif de recrutement et de formation doit donc être lancé sans attendre mais il ne sera couronné de succès que si l’Etat sait convaincre les entreprises qu’elles ont des perspectives de croissance sur ces activités et les personnels concernés que ces métiers sont des métiers d’avenir et qu’ils peuvent y trouver les opportunités de carrière correspondant à leurs attentes.

La relance du nucléaire et l’accélération des travaux sont donc techniquement et économiquement possibles à la condition que s’engage une mobilisation générale au sein des entreprises concernées, des collectivités locales et des administrations.

En politique, la communication a souvent précédé et même parfois s’est substitué à l’action qui s’est alors limitée à des effets d’annonce. Le rattrapage dans le nucléaire nécessaire pour rendre à la France sa sécurité d’approvisionnement à des coûts compétitifs et lui permettre de respecter ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne réussira que si l’on inverse la logique. Cette fois c’est la communication qui devra être au service de l’action et réussir à convaincre les Français de son bien-fondé et surtout les agents économiques, entreprises comme salariés, qu’en s’impliquant dans le nouveau projet nucléaire, ils peuvent être confiants pour leur avenir.