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Le blog d'Alain Boublil

 

L'affaiblissement de l'Allemagne

En moins de trente ans, une fois réussie l’unification avec les länder de l’Est, l’Allemagne est devenue le bon élève sinon le meilleur de l’Union Européenne. Elle put ainsi imposer ses conditions lors de la création de l’euro, forte de son excédent extérieur, de la gestion rigoureuse de ses finances publiques et de sa faible inflation. Elle renouait avec les grands principes qui avaient fait sa prospérité. Dès 1895, Paul Valéry avait montré qu’elle résidait dans sa capacité « à faire revenir le maximum de richesses de tous les points du monde vers tous les points de l’Allemagne ». Et Ludwig Erhard, le ministre des Finances du Chancelier Adenauer, avant de devenir lui-même Chancelier, avait fixé, à la fin des années 50, comme principe que cette richesse devait apporter « la prospérité à tous ».

Mais cette époque est révolue. Après des années de considérables excédents commerciaux, le pays frôle le déficit. Le solde extérieur au mois d’août n’atteignait plus que 600 millions d’euros contre 11,6 milliards un an plus tôt. Le dernier chiffre connu d’inflation s’élève en glissement sur un an à 10,9%, soit au-dessus de la moyenne de la zone euro, (9,9%), de l’Italie (9,4%), de l’Espagne (9,0%) et surtout de la France (6,2%). La multiplication des tensions géopolitiques, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la dégradation des relations entre la Chine et les pays occidentaux ont mis fin à la période de mondialisation heureuse dont l’Allemagne avait su profiter mieux que bien d’autres pays.

La première cause de cet affaiblissement réside dans les lourdes erreurs stratégiques commises dans la production d’électricité. Elles seraient apparues tôt ou tard. La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont eu des effets immédiats en faisant exploser les prix de l’énergie. Pour attirer le vote des écologistes, les gouvernements allemands successifs ont décidé puis confirmé l’abandon de la production nucléaire et lancé un vaste programme de construction d’éoliennes. Mais cette source est intermittente. Il fallait donc conserver un ensemble de centrales thermiques. L’Allemagne a des gisements de charbon. Sa combustion permettait de protéger les activités minières et de maintenir des emplois dans des régions très importantes du point de vue électoral.

Pour le gaz, le choix en faveur de la Russie avec la construction des deux gazoducs North-Stream, visait à faire de ce pays un partenaire économique offrant des débouchés importants pour l’industrie allemande. Le recours aux centrales à gaz ou au charbon était d’autant plus nécessaire que les éoliennes sont implantées dans le nord du pays et qu’il a été très difficile de les raccorder pour fournir les régions du sud, fortement consommatrices d’électricité. Un autre facteur est à l’origine de la crise électrique allemande. La France, qui traditionnellement exporte de l’électricité, a dû mettre à l’arrêt de nombreuses centrales au plus mauvais moment ce qui a déséquilibré le marché. En même temps, la réduction des importations de gaz russe a provoqué une hausse brutale des prix qui s’est ensuite répercutée sur le marché de l’électricité du fait des mécanismes européens, lesquels à l’époque avaient été largement conçus à partir des propositions allemandes.

La France a alors dû cesser ses exportations et est devenu importateur. En juillet 2021, le pays avait un solde positif de 7,3TWh rapportant 558 millions d’euros. En juillet 2022, le solde est devenu négatif, à hauteur de 3,22 TWh pour un coût de 1,455 milliard d’euros. En un an, le prix de l’électricité sur le marché européen est passé pour un TWh de 76 à 452 millions. Mais les difficultés du parc nucléaire français, aggravées par la fermeture de Fessenheim demandée…par l’Allemagne, sont temporaires et devraient être réglées avant l’été prochain. La France redeviendra exportatrice et si les mécanismes européens de raccordement du prix du KWh à celui du gaz sont conservés, EDF enregistrera des profits records à la mesure des pertes actuelles.

L’Allemagne, au contraire, continuera à supporter des coûts très élevés résultant de la rupture de ses approvisionnements avec la Russie, qui, elle, sera durable et qui a justifié le plan de 200 milliards d’euros annoncé par Berlin. La compétitivité de l’industrie allemande va s’en trouver durablement affectée. Autre menace, la décision européenne, de reconvertir totalement l’industrie automobile vers les véhicules électriques avant 2035, date d’interdiction de la vente de véhicules thermiques. Ce secteur est au cœur du succès de l’industrie allemande, génère de considérables excédents commerciaux et est essentiel pour la prospérité du pays. Mais cette reconversion sera douloureuse car confrontée à une double menace.

Les constructeurs chinois possèdent une avance indiscutable. Ils en ont fait la démonstration au Salon de Paris où Great Wall et BYD ont exposé leurs modèles. Ils disposent de leur marché intérieur qui représente plus de dix millions d’immatriculations chaque année. Les constructeurs allemands y occupent encore aujourd’hui une place essentielle pour leurs résultats mais elle va se réduire du fait de l’augmentation de la part des véhicules électriques produits par les groupes chinois. Cela affectera les résultats des groupes allemands et leur capacité à financer les investissements nécessaires pour développer ce nouveau mode de motorisation.

A cette pression s’ajoutera la dépendance pour les fournitures en matières premières et en composants indispensables à la fabrication des batteries. L’Allemagne ne dispose sur son sol d’aucun gisement de terres rares ou de métaux spéciaux comme le lithium ou le cobalt. La santé de l’industrie automobile allemande est donc menacée à la fois par la concurrence des modèles chinois et par son obligation de se fournir à l’étranger, et largement en Chine, pour produire ses véhicules.

La réponse pourrait être, au niveau européen, comme cela vient d’être fait aux Etats-Unis, de dresser des barrières commerciales visant Pékin. Mais l’Allemagne hésitera à soutenir une telle politique puisque la Chine est à la fois un fournisseur stratégique et son deuxième marché à l’exportation. Berlin craint d’avoir plus à perdre qu’à gagner. Les dirigeants allemands vont donc être confrontés à des dilemmes difficiles à surmonter. Il ne sera plus possible d’être de plus en plus intégré dans le camp occidental et de dépendre de la Russie pour ses approvisionnements en énergie et de la Chine pour la prospérité de son industrie.

Le monde a changé et les dirigeants allemands doivent l’admettre et tirer toutes les conséquences sur leur politique économique et sur les positions qu’ils vont défendre à Bruxelles. Le premier domaine et le plus urgent est celui de l’énergie. Une révision stratégique est indispensable avec la reconnaissance que le nucléaire peut contribuer à l’indépendance et à la compétitivité des Etats-membres. L’adoption d’un Pacte de Sécurité Electrique Européen qui inclurait cette forme de production d’électricité est nécessaire et doit avoir le soutien de l’Allemagne.

Le second domaine concerne les interventions de l’Etat et l’établissement des protections indispensables pour assurer la compétitivité et souvent la survie de secteurs entiers de l’industrie européenne. L’ère de la concurrence libre et non faussée est révolue puisque plus aucun pays hors d’Europe ne respecte ce principe. Des rapprochements entre entreprises quand cela permet de faire face à des concurrents doivent être désormais admis. L’Allemagne doit faire jouer toute son influence auprès de la Commission pour que Bruxelles ne s’y oppose pas en invoquant des principes dépassés.

L’affaiblissement de l’Allemagne est une réalité et le pays ne peut plus prétendre imposer ses choix et donner de leçons à ses partenaires. Il a au contraire besoin d’eux pour rebondir. S’il  en prend conscience, il en sera le premier bénéficiaire.