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Le blog d'Alain Boublil

 

De la crise de l'euro à la crise de l'énergie

Il y a tout juste dix ans, Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne, en annonçant en juillet 2012 qu’il ferait tout ce qu’il faut « quoiqu’il en coûte » pour sauver l’euro et en mettant en pratique cette décision sauvait la monnaie unique. L’Europe sortait à peine de la récession provoquée par la crise des « sub-primes ». La révélation que la Grèce, avec l’aide d’une banque d’affaires avait maquillé ses comptes pour dissimuler l’état de ses finances publiques déclenchait de vives tensions au sein de la zone euro. Elles étaient amplifiées par la révélation de la fragilité des banques irlandaises, au bord de la faillite, et par l’endettement excessif de l’Italie.

Durant toute cette période, l’Europe avait donc vécu sous l’emprise d’une « double crise » où les pays vertueux, au premier rang desquels l’Allemagne, avaient fait pression sur leurs partenaires pour qu’ils adoptent des mesures politiquement difficiles. Il avait alors fallu toute l’autorité du nouveau président de la BCE pour éviter le pire et remettre le continent sur la bonne trajectoire. La situation actuelle n’est pas sans rappeler cette époque. Après la crise sanitaire qui a forcé les Etats-membres à s’affranchir, avec l’aval des autorités européennes, des règles de gestion de leurs finances publiques, les pays sont maintenant confrontés aux conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

La réduction des livraisons de gaz naturel décidée par Moscou en riposte aux sanctions a provoqué une très forte hausse des prix des énergies fossiles qui s’est répercutée sur les prix de l’électricité en raison des règles européennes. Les pays européens étaient déjà confrontés aux conséquences de l’épidémie du Covid-19 avec la rupture de nombreuses chaines d’approvisionnement en provenance de Chine. La politique rigoureuse de confinement adoptée par ce pays provoque encore en Europe des tensions sur les prix et des fermetures temporaires d’unités de production, notamment dans l’automobile du fait de la pénurie de composants essentiels.

L’Europe est donc confronté à une vague inflationniste sans précédent depuis quarante ans qui s’ajoute à l’augmentation des endettements publics consécutive aux politiques de soutien des ménages et des entreprises décidées lors de l’épidémie. Mais le parallèle avec les crises des sub-primes et de l’euro s’arrête là car à l’époque l’Allemagne était le bon élève de la région alors qu’aujourd’hui, c’est le contraire. L’inflation y est plus forte qu’en France et surtout ses choix en matière d’énergie se sont révélés désastreux et ont amplifié les conséquences économiques pour toute l’Europe de la guerre en Ukraine.

Il y a dix ans, pour des raisons électorales cachées derrière un discours en faveur de l’environnement, l’Allemagne a décidé de fermer ses centrales nucléaires et d’investir massivement dans les énergies éoliennes. Mais comme celles-ci sont intermittentes, il fallait disposer de centrales thermiques. Pour le charbon, cela permettait de maintenir en activité de nombreuses mines, notamment de lignite, avec des milliers d’emplois sauvés. Pour le gaz naturel, le choix a été fait de privilégier les approvisionnements en provenance de Russie avec les répercussions dans toute l’Europe que l’on observe aujourd’hui.

Cette situation a été rendue encore plus difficile à gérer par l’arrêt, intervenu au pire moment, de près de la moitié du parc nucléaire français et surtout par la réglementation européenne qui consiste à fixer un prix sur le marché de l’électricité basé sur les coûts de production des dernières unités disponibles, à savoir les centrales à gaz. Ces dispositions étaient discutables sur le plan technique et contradictoires avec les objectifs fixés en matière d’environnement.  

L’interconnexion des réseaux électriques entre pays européens est une nécessité pour garantir la sécurité des approvisionnements et pour optimiser la production sur les territoires puisque ceux-ci n’ont pas toujours besoin des mêmes quantités d’électricité au même moment. Mais il n’avait jamais été envisagé que les échanges prennent une telle ampleur. Le choix d’un prix réglementé était logique. On prenait celui de l’électricité fournie par la dernière centrale capable de produire puisque l’hypothèse était que les centrales nucléaires tournaient au maximum de leur capacité mais ce mode de calcul n’avait pas pris en compte les risques liés à l'origine des énergies fossiles importées.

La politique européenne de l’énergie contenait une autre faiblesse majeure puisque chaque pays était libre de choisir sa répartition entre les différents modes de production d’électricité. Or on ne peut pas satisfaire les objectifs fixés en matière de réduction des émissions de CO2 tout en garantissant la sécurité des approvisionnements avec des prix compétitifs sans avoir un appareil de production protégé contre les fluctuations des marchés et contre les tensions géopolitiques. La crise actuelle de l’énergie en Europe en apporte la preuve. Un progrès a été accompli en reconnaissant que les investissements dans le nucléaire pouvaient bénéficier de financements privilégiés mais ce ne sera pas suffisant.

La crise énergétique est la principale cause de l’inflation actuelle et celle-ci n’est pas transitoire comme on l’a cru au début. La BCE va devoir adopter une politique beaucoup plus restrictive pour se conformer à son mandat et risque de faire plonger l’Union Européenne dans la récession en 2023. Cela ne serait pas arrivé si les règles du marché unique avaient comporté des dispositions forçant les pays à avoir des sources d’approvisionnement en énergies fossiles diversifiées. Ce ne serait pas non plus arrivé si Bruxelles avait mis en garde l’Allemagne sur les conséquences pour toute l’Europe, de sa sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima.

Il faudra aller plus loin. Le traité de Maastricht avait fixé, il y a vingt ans, un Pacte de Stabilité et des critères à respecter concernant l’inflation, le déficit et l’endettement publics. Même si ces critères sont aujourd’hui largement obsolètes, les pays ont consenti à cet abandon de souveraineté qui a donné toute sa crédibilité à l’euro. La devise européenne est devenue la deuxième dans le monde. Cela a permis aux Etats-membres de se financer dans de bonnes conditions et a constitué lors de la crise du Covid-19 un facteur de stabilité financière.

La production d’électricité est comme la monnaie un élément essentiel pour la croissance et la sécurité des pays. Parmi les leçons à tirer de la crise actuelle qui est loin d’être terminée doit figurer l’obligation que chacun dispose d’un bouquet de production d’électricité assurant une sécurité minimale avec une diversité garantie des approvisionnements en énergies fossiles importées. Des ratios mesurant la part de chaque mode de production et de chaque source d’importation d’énergies fossiles hors d’Europe doivent être présentés et validés par les instances communautaires. Ils seront évalués en fonction des objectifs de prix et de sécurité et de leur contribution aux choix environnementaux. Ainsi serait instauré un Pacte de Sécurité pour l’Electricité que chaque Etat devra respecter. Le nucléaire et la production hydraulique devront y avoir toute leur place comme les renouvelables mais les pressions d’un Etat sur ses voisins, comme on l’a vu en France à propos de Fessenheim, ne seront plus possibles.

Les tensions géopolitiques actuelles rendent le projet européen chaque jour plus essentiel. Au lieu de le dénoncer au nom du retour à la souveraineté, qui serait aussi illusoire que suicidaire dans le contexte actuel, il revient aux dirigeants européens de montrer qu’ils ont compris l’évolution du monde et qu’ils sont capables d’arrêter les mesures dans le secteur de l’énergie correspondant à ce nouvel état du monde comme ils le firent en adoptant l’euro et de recruter le nouveau Mario Draghi qui les mettra en place.