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Le blog d'Alain Boublil

 

Les réformes indispensables de l'Union Européenne

Le monde a changé. La mondialisation traverse sa première grande crise. Elle avait pris son essor dans les années 90 avec la fin de la Guerre Froide et le climat de paix qui en avait résulté. Grâce à des innovations majeures, les personnes, les biens et les données purent circuler à un faible coût. Les pays levèrent progressivement leurs barrières commerciales. Le tourisme se développa à grande échelle et on assista à une libération des mouvements de capitaux. La Chine, grâce aux réformes initiées dans les années 80 commença à rattraper son retard sur les pays développés. Son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce puis le lancement du processus d’internationalisation du Yuan dix ans plus tard donnèrent à l’économie mondiale une nouvelle dimension.

Les pays européens, consciemment ou non, répondirent à cette évolution historique en renforçant leurs liens économiques et politiques. Le Marché Unique, puis l’euro et toute une série de règles communes adoptées au fil des années furent institués en même temps que l’Union s’élargissait en accueillant les anciens pays d’Europe de l’Est. Face à une telle transformation du monde, chaque Etat avait compris que seul, il ne pouvait plus avoir une influence suffisante pour peser sur le plan international et protéger ses intérêts.

Mais cela ne pouvait durer que si la sécurité des déplacements des personnes et des biens était assurée et la paix garantie. L’épidémie de Covid-19 a touché le monde entier. Dans le passé de graves crises locales, comme au Moyen-Orient ou en Asie avec des querelles de frontières, étaient intervenues mais aucune n’avait directement impliqué plusieurs grandes puissances. Ce n’est plus le cas avec la guerre en Ukraine qui a mis un terme à une période de paix qui a duré plus de70 ans en Europe.

Si le projet européen veut conserver son rôle, qui dans un tel contexte est encore plus essentiel, les Etats-membres doivent se mettre d’accord pour le faire évoluer afin qu’il s’adapte au nouvel état du monde et qu’il remplisse sa mission qui est de protéger au mieux leurs valeurs et leurs intérêts, dans la zone euro comme dans l’ensemble de l’Union. Il faut regarder la réalité en face. Cela se traduira par de nouveaux abandons de souveraineté. Mais dans le monde actuel, le concept a-t-il encore beaucoup de sens, n’est-il pas un mirage ? Chaque pays dépend de l’étranger pour ses achats de matières premières, des marchés financiers pour souscrire aux émissions de titres de dettes et des clients hors de ses frontières pour faire tourner ses usines et assurer le remplissage de ses hôtels.

La première des réformes concerne la zone euro et ses règles de fonctionnement. La Banque Centrale Européenne doit conserver son indépendance mais son mandat doit évoluer. Il était concentré sur la stabilité des prix car conçu à une époque où l’inflation ne pouvait avoir pour origine que des déséquilibres internes. La situation actuelle montre que ce n’est plus le cas. Adopter, ce qui n’a pour l’instant pas été le cas, une politique monétaire ultra-restrictive pour lutter contre un phénomène extérieur aurait des conséquences très néfastes. La BCE doit agir, et elle vient de le faire en relevant ses taux de 0,75%. Mais elle doit aussi, pour renforcer la solidité de la monnaie unique, atténuer les écarts entre les taux d’intérêts payés par chaque Etat. Cette possibilité doit figurer dans son mandat. Enfin il faut réviser les critères dits de « Maastricht » qui n’ont plus aucun sens puisqu’ils ne sont respectés par personne. L’inclusion du solde des paiements courants et du taux d’épargne financière des ménages dans l’évaluation de la situation d’un pays seraient justifiés puisque ces deux données contribuent de façon déterminante à la solvabilité du pays concerné.  

La seconde réforme à mettre en place dans l’urgence concerne la règle de l’unanimité. Le concept n’existe pas en démocratie où c’est la majorité qui a le pouvoir de décision. On peut exiger qu’elle soit qualifiée, comme en France pour les lois organiques, mais le principe doit maintenant s’appliquer aux Etats-membres. Cela est d’autant plus important que le nombre de ceux-ci s’est fortement accru depuis la création de la Communauté Economique Européenne et qu’il va encore augmenter avec les demandes des pays de l’ancienne Yougoslavie et de l’Ukraine. Les différences de taille, comme entre Malte et l’Allemagne, par exemple, sont telles que donner le même poids à ces deux pays dans les décisions économiques et les choix diplomatiques, n’a aucun sens, et gène des prises de positions ou des décisions, ce qui affaiblit l’Union dans le nouveau contexte actuel.

Cette réforme va aussi permettre de mettre enfin un terme aux pratiques fiscales de pays comme le Luxembourg avec ses sociétés « boîtes aux lettres » dont la seule fonction est de capter des profits et permettre d’exonérer la société-mère d’impôts ou comme l’Irlande avec les stratégies de localisation des profits dans le pays qui les taxe faiblement grâce à des prix de transfert artificiels entre filiales.

Il va falloir enfin abandonner cette idéologie de la concurrence libre et non faussée qui a pénalisé les services publics, comme on le voit aujourd’hui dans l’énergie et rendre aux Etats leur pouvoir d’intervention au travers des commandes publiques et du soutien à la relocalisation des activités industrielles et à la constitution de chaînes d’approvisionnement les plus courtes possibles. Les chiffres montrent que l’ouverture à la concurrence n’a provoqué ni une amélioration significative des services concernés ni une réduction des prix offerts aux consommateurs. Quant aux commandes publiques, elles ont autant profité aux concurrents américains ou chinois qu’aux entreprises européennes. Ces outils de politique industrielle ont été déterminants dans le passé. Leur abandon n’est pas sans relation avec l’affaiblissement de l’activité productive en France.

Enfin, il est urgent de réformer la politique européenne de l’énergie. La crise actuelle a montré l’absurdité du lien fait entre les prix de l’électricité et du gaz. L’hostilité passée à l’égard du nucléaire a été atténuée par l’inscription de ce mode de production dans la nouvelle « taxonomie ». Il faut aller plus loin et réduire progressivement les obligations qui imposent en France de revendre l’électricité produite dans les centrales nucléaires à un prix inférieur à celui du marché à des distributeurs qui en tirent de substantiels profits. Il n’y a pas de « rente nucléaire ». Les coûts de production largement compétitifs sont le résultat d’une réussite économique et industrielle exceptionnelle qui a permis pendant près de quarante ans aux entreprises françaises et aux ménages d’avoir une électricité très compétitive. Priver EDF des bénéfices de ce succès qui lui permettraient de maintenir et de renouveler son appareil de production est un non sens. Là aussi, l’Europe doit aller plus loin et reconnaître, au moment où l’on se fixe des objectifs ambitieux de réduction de l’utilisation des énergies fossiles, le rôle essentiel de la production nucléaire. Il faut enfin, dans le contexte actuel d’extrême volatilité des marchés, que Bruxelles entérine le droit des Etats d’offrir aux fournisseurs d’énergie les garanties financières indispensables pour les protéger contre de possibles faillites dues aux fluctuations brutales sur les marchés dérivés.

Actualiser les règles de fonctionnement de la zone euro, réformer la gouvernance de l’Union afin qu’elle soit en mesure de jouer son rôle dans le nouveau monde d’aujourd’hui, et redonner aux Etats les moyens d’intervention qui permettront de renforcer leurs appareils industriels et la sécurité de leurs approvisionnements en biens essentiels, tel est l’agenda prioritaire aujourd’hui. Plus vite il sera mis en œuvre, plus forte l’Union Européenne sortira de la crise actuelle.