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Le blog d'Alain Boublil

 

Inflation : Le nouvel impôt

A la fin du mois de février, l’inflation sur un an en France atteignait 3,6%. Sur ce seul mois, les prix à la consommation avaient augmenté de 0,7% après 0,3% en janvier. Si l’on retient le mode de calcul harmonisé défini par les règles européennes, l’inflation a été sur cette période de 4,1%, un niveau inconnu depuis trente ans. La principale cause a été la hausse des prix de l’énergie (+21% sur un an), résultant des tensions géopolitiques car les augmentations de coûts de productions n’avaient pas encore été complètement répercutées sur les autres catégories de biens et de services. Aux Etats-Unis, l’inflation sur un an a atteint 7,5% en février soit plus qu’en France et que dans la zone euro (+5,8% suivant les derniers chiffres connus).

Traditionnellement, l’inflation dans un pays est redoutée parce qu’elle affecterait la compétitivité des entreprises. Mais comme leurs principaux concurrents sont confrontés au même phénomène, les conséquences pour l’instant sur les échanges extérieurs de la France déjà lourdement déficitaires (85 milliards en 2021), sont limitées. Tout va dépendre de l’évolution des coûts de production. Pour les produits industriels, sur les douze derniers mois, la hausse est, selon l’INSEE, de 22%. Ce chiffre est affecté par l’effet de base. Il y a un an, la production était presque arrêtée mais l’accélération observée en janvier (+4,6% sur un mois) est préoccupante. Si dans les services les coûts semblent stables, la situation est très différente pour l’agriculture avec, sur un an, une augmentation des coûts de production de 16%, résultant de l’évolution des prix des engrais et des combustibles.

On a longtemps estimé que cette vague inflationniste était transitoire. La gravité de la situation internationale avec ses conséquences sur les prix de l’énergie et sur les chaines d’approvisionnement remet en cause cette analyse. Seulement les mesures habituellement employées pour y faire face vont être difficiles à appliquer dans ce contexte. La réduction des dépenses publiques afin de peser sur l’activité et donc sur les prix est impossible à mettre en œuvre du fait des engagements internationaux pris pour venir en aide à l’Ukraine et des décisions visant à renforcer les moyens de défense en Europe. Quant à pratiquer des hausses d’impôts dans un tel climat, aucun gouvernement n’est prêt à prendre ce risque tant que le conflit actuel dure.

L’autre voie pour lutter contre l’inflation consiste à freiner l’activité en remontant les taux d’intérêt et à réduire les programmes d’achat de titres de dette publique sur les marchés. La Banque Centrale Européenne était allée très loin pour soutenir les « quoi qu’il en coûte » des Etats-membres. Le processus de réduction des achats nets de titres est en cours mais l’institution s’est jusqu’à présent montrée très prudente sur la question du relèvement de ses taux d’intérêt, actuellement négatifs. Aux Etats-Unis, une première hausse des taux était  prévue sinon annoncée formellement pour le mois de mars. La crise internationale pourrait inciter la Reserve Fédérale à reporter cette hausse, même si de nombreuses voix se sont élevées pour indiquer que si l’on tardait, ce n’en serait que plus douloureux quand la décision serait prise.

Mais les marchés financiers, et pas seulement celui de la Russie qui est lourdement affecté par les sanctions décidées par les pays occidentaux, sont très fragiles. Les banques comme les entreprises ayant des relations industrielles ou commerciales avec Moscou, vont subir les conséquences du gel des transactions et parfois même de leur activité sur place. Cela intervient alors que le redémarrage des économies, certes bien réel, n’avait pas encore permis d’effacer complètement les conséquences de la crise sanitaire. C’est pourquoi il est peu probable qu’une politique monétaire restrictive soit adoptée pour lutter contre l’inflation, comme cela fut le cas dans le passé car le phénomène, pour les pays lourdement endettés, présente, bien qu’ils s’en défendent, de nombreux avantages.

Les taux d’intérêt réels ont chuté puisque grâce à l’action des banques centrales, pour toutes les maturités, les taux nominaux ont peu bougé. En 2019, la France émettait des emprunts à dix ans au taux moyen de -0,35%. Cette année-là l’inflation ne dépassait pas 1%. En 2022, le taux à dix ans est remonté autour de 0,70% mais l’inflation est maintenant proche de 4% et l’impact de la crise internationale sur les prix de l’énergie ne s’est pas encore fait entièrement sentir. La charge réelle de la dette pour les années à venir, sauf la faible part de celle-ci qui est indexée (environ 10%), va donc se réduire.

Le second avantage est bien plus significatif. L’Etat va être le grand bénéficiaire du retour de l’inflation, grâce aux rentrées des différentes taxes dont la TVA. Même si l’Etat plafonne la répercussion des hausses des prix de l’énergie sur les consommateurs, comme c’est le cas pour l’électricité et le gaz naturel, le niveau élevé des prélèvements sur ces deux produits et sur les carburants va se traduire par d’importantes recettes supplémentaires. Il en ira de même pour les autres catégories de biens et de services, la stagnation de la consommation depuis le début de l’année étant plus que compensée par les hausses de prix dont profiteront les recettes de TVA.

Le mode de calcul de l’impôt sur le revenu, qui est désormais perçu sur les salaires et les produits financiers et immobiliers de l’année en cours, va également générer un supplément de rentrées important car le barème de l’impôt fixé dans la loi de finances avait été élaboré durant l’été 2021 et le niveau des tranches n’a été relevé que de 1%. Comme l’inflation sur l’année 2022 sera d’au moins 4%, les ménages assujettis verront leurs revenus davantage taxés.

Les cotisations sociales suivront l’évolution des salaires qui augmenteront même si les hausses ne seront pas toujours suffisantes pour protéger leur pouvoir d’achat. Cela générera des recettes bien supérieures aux dépenses concernant les retraites et les prestations familiales qui, elles ne seront pas ou peu revalorisées. On assistera ainsi, sans pour autant que des réformes structurelles ou des hausses de cotisations aient été mises en place, à une réduction des déficits.

Enfin, la plus importante conséquence de l’inflation est son effet sur le patrimoine financier des ménages. Ceux-ci, à la fin de l’année 2020, possédaient sur leurs différents livrets et comptes en banque 1800 milliards d’euros et dans leurs contrats d’assurance-vie en euros une somme équivalente soit au total 3600 milliards d’euros. En 2021 ils ont perçu une rémunération moyenne d’environ 1,5%. L’inflation ayant atteint sur l’année plus de 3,5%, ils ont perdu plus de 60 milliards d’euros. La situation devrait être pire en 2022. L’augmentation symbolique de la rémunération du livret A qui rapportait depuis le 1er février 2020 0,75% et qui a été portée à 1% le 1er février 2022 sera loin de compenser les dommages provoqués par l’accélération de l’inflation. Avec un taux réel négatif de 3%, la perte de pouvoir d’achat de l’épargne financière accumulée pourrait dépasser 80 milliards d’euros cette année. Mais ces sommes ne sont pas perdues pour tout le monde car elles permettent aux collectivités publiques d’emprunter directement auprès des institutions qui gèrent ces comptes à des taux bien plus bas que ceux du marché.

L’inflation qui frappe les économies développées et notamment la France n’est pas une mauvaise affaire pour tout le monde. Elle constitue une sorte d’impôt indolore qui permet à l’Etat et à l’ensemble du secteur public de bénéficier de recettes supplémentaires et de réduire le coût réel de son endettement.