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Le blog d'Alain Boublil

 

Les dilemnes des banques centrales

Trois des plus importantes banques centrales dans le monde viennent de rendre public le cadre  dans lequel devrait s’inscrire leur action en 2022. La Banque d’Angleterre a fait part sans ambiguïté de sa volonté de mener une politique restrictive en relevant à nouveau son principal taux d’intérêt d’un quart de point deux mois après une première hausse. La Réserve fédérale des Etats-Unis est apparue plus modérée mais déterminée à agir contre l’inflation. Elle a confirmé l’arrivée à son terme de son programme de soutien de l’économie par le biais de rachats de titres sur le marché et a laissé entendre que sa première hausse des taux d’intérêt interviendrait au mois de mars mais ne s’est pas prononcé sur le nombre de hausses qu’elle effecturait tout au long de l’année. La Banque Centrale Européenne a été plus prudente. Seule la réduction très progressive de ses deux programmes d’achats sur le marché des titres de dettes des Etats membres est poursuivie. Mais alors que jusqu’à présent aucune hausse des taux n’était envisagée en 2022, cet  engagement n’a pas été repris explicitement ce qui a laissé croire que l’institution procéderait en 2022 à un tournant vers une politique monétaire de plus en plus restrictive.

Le mandat des banques centrales dans les pays développés, avec des formulations différentes et parfois des nuances, est d'agir pour garantir la stabilité des prix. La crise économique provoquée par l’épidémie du Covid-19, a temporairement mis ce principe entre parenthèses. Les Etats ont adopté des programmes de soutien de l’activité et de l’emploi basés sur des baisses d’impôts et de charges et des aides directes aux entreprises et aux ménages qui ont accru les déficits et les endettements publics. Ils ont même offert comme en France des garanties pour que les entreprises disposent des financements nécessaires pour traverser la profonde récession à laquelle elles étaient confrontées. Les banques centrales ont alors adopté des politiques « accommodantes » permettant aux Etats de se financer dans les meilleures conditions possibles, en bénéficiant de taux d’intérêt très faibles et même parfois négatifs comme dans la zone euro.

Ces politiques ont été couronnées de succès et les grands pays développés ont connu une reprise très importante en 2021 qui leur a permis de retrouver et parfois même de dépasser, comme aux Etats-Unis, le niveau d’activité précédant la crise sanitaire. Dans un premier temps, ces politiques de création monétaire ont eu peu d’impact sur l’évolution des prix. Ceux-ci avaient été stables depuis plusieurs années au point qu’en Europe, la BCE s’était fixé comme objectif de les faire remonter au niveau qu’elle estimait conforme aux équilibres économiques à long terme, à savoir 2%. Puis les prix commencèrent à s’accroître bien plus vite que prévu à cause de la perturbation des chaines d’approvisionnement provoquée par les mesures restrictives adoptées dans certains Etats pour lutter contre l’épidémie. Mais ce phénomène fut alors qualifié de transitoire.

A cette situation sont venues s’ajouter les tensions géopolitiques et leurs conséquences sur les prix des énergies fossiles. Dans la zone euro, les différentes réglementations relatives aux prix et à la concurrence dans le domaine du gaz et de l’électricité ont amplifié le rebond inflationniste. Aux Etats-Unis, la hausse des prix en glissement sur l’année 2021 a atteint 7%. Elle était de 5,7% en Allemagne et de 2,9% en France alors qu’elle n’était dans ce pays que de 0,5% un an plus tôt. Pour l’ensemble de la zone euro, l’inflation a été de 5,1%, bien loin de l’objectif de 2%. Dans tous ces pays, l’un des facteurs qui permettait de considérer le phénomène comme transitoire, la stabilité des salaires, est remis en cause avec de très importantes créations d’emplois, l’apparition de pénuries et la baisse générale du taux de chômage. Les pressions en faveur du pouvoir d’achat sont devenues plus fortes. En France, la hausse des salaires fait partie des propositions de la plupart des candidats à l’élection présidentielle. Le caractère transitoire de l’inflation n'est donc plus certain et cela ne peut pas laisser indifférentes les banques centrales.

La Banque d’Angleterre a relevé son taux directeur à deux reprises sans hésiter. La situation est bien plus complexe aux Etats-Unis où on est loin de l’attitude brutale de Paul Volcker à la fin des années 70. Une politique trop rapidement restrictive pourrait casser le mouvement de reprise observée en 2021 mais le principal risque n’est pas là. Les marchés financiers ont connu une très forte hausse depuis un an. En provoquant un retournement des anticipations, Wall Street pourrait connaître une chute brutale. Le retour de la volatilité, notamment sur le Nasdaq, qui a été observé depuis le début de l’année, constitue sûrement un avertissement. Personne n’a oublié les conséquences de la crise des sub-primes sur l’économie américaine et même si les situations ne sont pas comparables, il est acquis que l’on ne peut plus ignorer les répercussions de l’évolution des marchés financiers sur l’économie réelle. Cela doit donc inciter la Fed à une certaine prudence.

La situation en Europe n’est pas très différente. Les dernières déclarations de la Banque Centrale Européenne ne doivent pas induire en erreur. Dans un message très diplomatique, il vient d’être reconnu que le risque inflationniste était devenu réel et qu’il fallait, conformément au mandat de l’institution, le prendre en compte. C’était nécessaire pour montrer à des pays comme l’Allemagne qui sont davantage touchés par l’inflation que les autres, qu’il était important de réagir. Mais la BCE ne peut se permettre de déclencher une nouvelle crise de l’euro. Les Etats, pour faire face à l’épidémie, ont massivement accru leur endettement. Le passage d’une politique accommodante à une politique plus rigoureuse, conforme au mandat, provoquerait un alourdissement de la charge de leur dette  et, ce qui est plus grave, un creusement des écarts entre les conditions de financement des Etats.

Dès qu’une une évolution possible de la politique monétaire, bien que non encore décidée, a été évoquée on a assisté à une augmentation des spreads. Sur les emprunts à dix ans, celui entre la France et l’Allemagne est passé de 35 à plus de 50 points de base. Avec l’Italie, il dépasse maintenant 150 points de base. Sauf à revenir à la situation que la zone a connu avec la crise de la dette grecque, et dont elle est sortie précisément grâce à la politique du « quoi qu’il en coûte » de Mario Draghi, la BCE est obligée de tenir compte des déséquilibres financiers des Etats-Membres et surtout de la forte disparité des situations. Entre accepter le temps qu’il faudra une inflation supérieure aux objectifs inscrits dans son mandat et prendre le risque de déclencher une crise financière qui ferait suite aux crises sanitaires et économiques qui viennent de frapper l’Europe, le chemin de la BCE est très étroit.

Années après années, le rôle des banques centrales dans la politique économique devient plus important. Sans elles, et surtout sans la crédibilité qu’elles ont acquises au fil du temps, les Etats n’auraient pas pu aussi facilement disposer des ressources qui leur ont permis de faire face à la crise sanitaire. Mais cette crédibilité a des limites et le succès de leur action future va dépendre de leur capacité à appréhender ces limites. Tout en étant indépendantes, les banques centrales ne peuvent ignorer les conséquences de leur action sur les marchés financiers et les contraintes politiques et économiques des Etats où elles opèrent. Tel sera leur défi pour la prochaine décennie.