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Le blog d'Alain Boublil

 

Où va la Chine ?

L’absence du président chinois Xi Jinping aux deux grandes réunions internationales de Rome (G20) et de Glasgow (COP 26) a déclenché une vague de commentaires à propos de « l’isolement » ou du « repli sur soi » de la deuxième économie de la planète, dont le modèle de croissance avait jusque là reposé sur une contribution active à l’expansion de la globalisation. En 2020, ses exportations avaient atteint 18% des exportations mondiales. L’explication donnée par Pékin, le contexte sanitaire et les dispositions très strictes adoptées dans le pays pour freiner le développement de l’épidémie, n’ont pas convaincu.

Au même moment, pourtant, se tenait la foire de Shanghai qui accueillait plus de 3000 sociétés exportant vers la Chine. L’Oréal dont les résultats cette année ont été fortement améliorés par sa performance dans le pays y était présent comme Sanofi, qui y développe des projets de digitalisation des techniques de santé. Le discours inaugural retransmis par vidéo du président chinois allait exactement dans le sens inverse de l’interprétation donnée de son absence au G20. Il a rappelé toute l’importance que la Chine accordait à ses relations économiques internationales et a donc apporté un démenti aux affirmations largement répandues en Europe et aux Etats-Unis sur le repli sur soi du pays. La politique de rééquilibrage de la croissance au profit du marché intérieur ne doit donc pas être comprise comme un retour en arrière. Pour les mêmes raisons, le souci affiché par Pékin de reconquérir son indépendance et sa souveraineté en maîtrisant certains composants stratégiques pour les chaînes de production industrielle ne doit pas donner lieu à de fausses conclusions. Il n’est d’ailleurs pas très différent du discours que l’on entend en France, sans pour autant que l’on s’imagine que le pays cherche à s’isoler.

L’analyse pessimiste des derniers chiffres de la croissance chinoise, à savoir un ralentissement inquiétant, est tout aussi discutable. Après des croissances de 18% et de 7,9% aux1er et 2ème trimestres, l’économie chinoise n’aurait progressé que de 4,9% au 3ème trimestre. Seulement ces chiffres ne sont pas comparables car, en raison de la pandémie, l’activité a été pénalisée de façon très différente au cours de l’année dernière. Si l’on considère la production cumulée des trois trimestres, on observe alors une progression de 9,8% sur un an. Au 4ème trimestre, le ralentissement devrait se poursuivre, à cause de l’effet de base mais aussi des difficultés que le pays, comme tous les autres, rencontre pour l’approvisionnement de ses entreprises industrielles en matières premières, en composants et même en électricité. Ainsi la production industrielle n’a cru en un an au mois de septembre que de 3,1% contre 5,3% en août. Mais cela ne devrait pas empêcher le pays d’atteindre sur l’année son objectif, à savoir une croissance de 6%.

Comme les autres grandes économies, la structure de la croissance aura été atypique, reposant très largement sur la consommation des ménages et le commerce extérieur. L’investissement des entreprises n’a cru depuis le début de l’année que de 7,3% mais les échanges avec l’étranger marquent une très forte reprise (+ 23%) pour les neufs premiers mois de l’année par rapport à 2020 et l’excédent commercial ne faiblit pas avec près de 50 milliards de dollars au mois de septembre. La consommation des ménages est pénalisée, comme partout, par les pénuries affectant certains produits mais cet effet est atténué par les dépenses touristiques à l’intérieur du pays qui sont en forte hausse puisque les familles chinoises n’ont pas la possibilité de voyager à l’étranger.

Malgré l’absence de son président à la COP 26, la Chine reste très mobilisée pour freiner la croissance de ses émissions de gaz à effet de serre. La réouverture de plusieurs mines de charbon ne doit pas être mal interprétée. Elle est transitoire. Il s’agit de faire face, dans un contexte de reprise aux problèmes d’approvisionnement en gaz naturel, que l’on connait aussi en Europe et à des incidents climatiques qui ont affecté plusieurs régions. Mais cela ne devrait pas remettre en cause la stratégie à long terme de réduction des émissions de l’appareil de production d’électricité avec le déclin du charbon. Sa croissance avait été fortement diminuée depuis cinq ans, comme aux Etats-Unis et pour la même raison, à savoir le remplacement progressif mais irréversible du charbon par du gaz naturel dont la consommation est passée en dix ans de 110 à 330 milliards de m3. Pour réduire sa dépendance extérieure, la Chine commence aussi à mettre en exploitation les très importants gisements de pétrole et de gaz de schiste qui viennent d’être découverts.

La part des sources d’électricité non-fossiles, grâce aux investissements dans le nucléaire et les renouvelables, devrait atteindre  20% en 2025 et 30% en 2030. Des progrès dans le stockage de l’électricité sont aussi à attendre. Les grands barrages hydroélectriques construits ces dernières années vont être équipés de systèmes permettant de pomper l’eau lors des phases de faible consommation pour les réinjecter dans le réseau aux heures de pointe. Cela permettra aussi de pallier aux intermittences des éoliennes et des panneaux solaires. Il est prévu que ces installations atteignent une puissance de 120 Gw en 2030. Les programmes d’investissements dédiés à la transition énergétique, largement financés par les banques publiques chinoises, apporteront donc eux aussi leur contribution à la croissance.

Pendant ce temps, la transformation de l’appareil productif chinois s’est poursuivie avec l’apparition de géants locaux du numérique. Les prélèvements financiers imposés par l’Etat pour aboutir à une redistribution de la richesse ne doivent pas tromper sur les intentions du gouvernement. Il s’agit de corriger des excès et non de remettre en cause le modèle de développement économique qui a fait ses preuves depuis plus de trente ans et qui repose sur le dynamisme d’un vaste secteur privé. Ce modèle fait également une large place à des partenariats avec des entreprises étrangères, souvent américaines ou européennes et plus rarement japonaises ou coréennes. Il repose enfin aussi sur une libéralisation progressive et une ouverture des marchés financiers qui a été mise en place parallèlement.

Cette stratégie économique a été enrichie depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping par la politique des Nouvelles Routes de la Soie, autre signe majeur de la détermination du pays à ne pas s’isoler et encore moins à se replier sur lui-même. En finançant des investissements dans des infrastructures qui relient la Chine à ses voisins, et au-delà à l’Europe et à l’Afrique, Pékin en tire un triple avantage. Cela donne de l’activité à ses entreprises qui réalisent ces travaux. Cela ouvre de nouvelles facilités logistiques, et la crise actuelle montre à quel point c’est important, pour ses exportations et cela profite à la croissance des pays concernés qui deviendront à leur tour des clients des entreprises chinoises. Mais quand en Europe, on critique ce programme, on fait semblant d’ignorer que ces infrastructures ne sont pas à sens unique et pourront donc, dans l’avenir, faciliter aussi les exportations de nos entreprises vers la Chine et ses voisins. On pourrait enfin ajouter qu’assurer une liaison ferroviaire entre l’Asie et l’Europe contribue à réduire l’empreinte carbone de ces flux commerciaux et réduit simultanément les délais et les coûts d’approvisionnement.

La Chine est en réalité confrontée à un dilemme. L’Occident lui reproche son système politique et craint ses succès économiques. Jusqu’à présent, ce système n’a pas constitué un obstacle à son exceptionnelle réussite économique. La question qui est aujourd’hui posée est donc, sur le plan intérieur, si cela peut durer.