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Le blog d'Alain Boublil

 

La nouvelle crise de l'énergie

Les très fortes hausses passées et annoncées des prix des énergies fossiles et de l’électricité nous rappellent une époque que l’on croyait révolue, celle des chocs pétroliers des années 70.  Les pays producteurs du Moyen-Orient et d’Afrique s’étaient réunis en 1960 pour créer l’OPEP afin de contrebalancer la toute-puissance des compagnies pétrolières. En 1973, l’organisation décida de limiter sa production et décréta un embargo vis-à-vis des Etats-Unis et des Pays-Bas à la suite de la guerre du Kippour. Le prix du baril bondit de 3 à 12 dollars. Un nouveau déséquilibre intervint sur le marché quatre plus tard à la suite de la forte reprise de l’économie mondiale qui porta son cours jusqu’à 33 dollars. Après s’être stabilisé entre 20 et 30$ pendant près de 20 ans, le prix du pétrole reprendra son ascension pour atteindre 140 dollars à la veille de la crise financière de 2007. Après une brève chute, il retrouve ce niveau mais la reprise sera de courte durée du fait de la révolution du gaz et du pétrole de schiste. Les membres de l’OPEP seront alors confrontés à un dilemme : faire baisser les prix pour affaiblir leurs nouveaux concurrents américains qui ont des coûts de production plus élevés ou protéger leurs revenus. La question est encore actuelle et divise l’organisation.

Un peu comme lors la crise des sub-primes, la chute consécutive à la récession provoquée par l’épidémie du covid-19 aura été de courte durée. Le baril de Brent est remonté jusqu’à 80 dollars au mois de septembre. Mais pour le consommateur final, sauf aux Etats-Unis, cette reprise a des conséquences limitées car les taxes sur les carburants, constituent la part la plus importante du prix. Si le choix de les augmenter est profondément impopulaire, comme le mouvement des « gilets jaunes l’a montré en France, l’évolution des cours mondiaux n’est pas susceptible d’avoir des conséquences économiques et politiques importantes. La situation est très différente pour le gaz et l’électricité.

L’envolée du prix du gaz depuis le début de l’année résulte de plusieurs facteurs. La reprise mondiale a engendré un fort accroissement de la demande, aggravée aux Etats-Unis par une vague de froid et par de violentes tempêtes qui ont provoqué au Texas notamment l’arrêt de la production de gaz de schiste. La spéculation sur les marchés a alors amplifié ce qui n’était qu’un épisode classique d’ajustement de l’offre et de la demande. Mais ces évènements intervenaient dans un contexte où de nombreux pays comme la Chine, pour réduire leurs émissions de CO2, avaient privilégié le gaz au détriment du charbon.

En Europe, le phénomène a été encore amplifié par l’échec de la politique énergétique allemande. La fermeture des centrales nucléaires n’a pas pu être compensée par les énergies renouvelables. L’absence de vent a mis les éoliennes à l’arrêt et il a fallu remettre en service les centrales thermiques au charbon et au gaz. La preuve était ainsi faite que ces sources d’énergie ne pouvaient jouer qu’un rôle d’appoint. Cette situation a provoqué une envolée des cours de l’électricité qui s’est répercutée sur les pays voisins, du fait des règles européennes de tarification.

L’énergie a aussi été un terrain privilégié pour que s’exprime la rivalité entre Moscou et Washington. Le second gazoduc dans la mer Baltique reliant la Russie et l’Allemagne aurait dû satisfaire tout le monde puisque précisément il apportait une garantie d’approvisionnement pour l’Europe en levant toute incertitude et en rendant la spéculation sans objet. Mais il intervenait à un moment où les Etats-Unis ambitionnaient eux aussi d’exporter leur gaz de schiste. Or celui-ci se transporte difficilement et il faut prévoir des équipements coûteux pour son traitement et son expédition par méthaniers. Les menaces sur le réseau de transport comme par exemple les sanctions américaines appliquées aux entreprises européennes qui contribuaient à la réalisation et à l’exploitation de Nord Stream 2 ont encore aggravé une situation déjà tendue, déjà affectée par la dégradation des relations entre les pays du Maghreb et l’Espagne.

Les préoccupations relatives à l’environnement ont enfin contribué aux tensions sur le marché du gaz naturel. Pour atteindre leurs objectifs, les Etats ont favorisé le transfert au détriment du charbon, lourdement émetteur de gaz à effet de serre et de particules dangereuses pour la santé des populations avoisinantes, au profit du gaz naturel. Cela a été spectaculaire aux Etats-Unis, qui ont réussi pour la première fois à réduire de façon significative leurs émissions.  Mais cela a provoqué l’augmentation de la demande mondiale de gaz naturel, de son prix et donc du prix de l’électricité. C’est ce que l’éditorialiste du Financial Times, Gillian Tett, a appelé la « greenflation », l’inflation verte.

Ce phénomène est d’autant plus important que tout concourt à un accroissement de la consommation d’électricité. Le changement dans les modes de déplacement, avec le transfert vers des véhicules électrique, la digitalisation et la robotisation des entreprises, les monnaies numériques et l’interdiction des chaudières au fuel et au charbon nous conduisent vers une société de plus en plus électrifiée qui ne pourra pas se satisfaire des seules énergies renouvelables intermittentes car des activités essentielles nécessiteront une sécurité d’approvisionnement qu’aucun gouvernement responsable ne pourra ignorer. Pour concilier cette exigence avec les objectifs de réduction des émissions de CO2, il n’y a alors que deux possibilités, le gaz naturel ou le nucléaire.

La hausse des prix de l’électricité en France n’aurait jamais dû avoir eu lieu puisque moins de 10% de la production est assurée par des énergies fossiles. Quant au gaz naturel, les inquiétudes sur une éventuelle pénurie sont excessives car les stocks, à la fin du mois de juillet étaient, malgré un printemps anormalement frais, supérieurs au niveau observé en 2018 et 2019. C’est la régulation des prix en Europe qui en est la cause. Une réunion des ministres concernés se tient cette semaine et le gouvernement français devrait agir pour obtenir une réforme de ce mécanisme qui pénalise les consommateurs. Il devrait aussi chercher à obtenir que les investissements dans l’énergie nucléaire soient éligibles au programme de relance décidé par Bruxelles.

La principale leçon de cette nouvelle crise de l’énergie, c’est qu’en France, les entreprises et les consommateurs ne peuvent pas avoir à la fois une baisse des émissions de CO2, des prix raisonnables et une sécurité d’approvisionnement garantie sans avoir recours au nucléaire. Le temps de la procrastination et des annonces floues est révolu. Les investissements en faveur d’une meilleure isolation des logements et des bâtiments sont nécessaires mais les progrès réalisés seront lents et, de toutes façons insuffisants pour compenser la baisse nécessaire du recours aux énergies fossiles.

Il est donc urgent de regarder la réalité en face, de réviser la loi de programmation de l’énergie, de confirmer le programme d’investissements destiné à allonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes pour leur permettre de fonctionner en toute sécurité et de lancer le programme de construction de nouveaux réacteurs.

Les candidats à l’élection présidentielle devront assumer leurs responsabilités et ne pas tromper les électeurs avec des engagements qu’ils seront incapables de tenir en faveur de l’environnement. La nouvelle crise de l’énergie aura alors eu ce mérite. Les chocs pétroliers des années 70 avaient conduit la France à se doter d’un parc de centrales nucléaires parmi les plus sûrs et les plus compétitifs du monde et assurer son indépendance énergétique.  La crise actuelle devrait permettre, avec la relance du nucléaire, de protéger à la fois le pouvoir d’achat et l’environnement.