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Le blog d'Alain Boublil

 

La bonne transition énergétique (suite)

 Les prochaines réunions internationales consacrées à la lutte contre le réchauffement climatique, et notamment la Conférence de Glasgow qui se tiendra au mois de septembre, devraient aboutir à des progrès significatifs dans la prise de conscience des enjeux puisque les dirigeants des deux principaux pays émetteurs, les Etats-Unis et la Chine, ont confirmé leurs engagements dans ce sens et fait de la transition énergétique l’une de leurs priorités. C’est dans ce contexte que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de publier un long rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif d’émissions nettes nulles de CO2 en 2050.    

 Malheureusement, ce rapport ignore l’une des règles essentielles du bon sens : l’excès en tout est un défaut. Ses conclusions se présentent comme le résultat de choix radicaux fixés à l’avance et non comme l’évaluation comparée de différentes options ce qui permettrait d’offrir aux décideurs politiques les éléments indispensables à leurs prises de décisions. L’AIE fait d’abord le pari que les innovations qui sous-tendent ses raisonnements donneront les résultats escomptés, ce qui reste à démontrer. Puis son rapport fait l’impasse sur l’accueil que ces innovations recevront auprès des agents économiques, qui est la condition du succès de leur mise en œuvre. Le scénario retenu passe sous silence les conséquences sociales, à l’intérieur de chaque pays, des bouleversements qu’il va créer et semble ignorer les enjeux géopolitiques d’une recomposition radicale des conditions de la production des énergies fossiles. Or ce secteur depuis un siècle a été au centre des tensions politiques et économiques internationales.

Pour que la transition énergétique soit réussie, il faut donc que les résultats des innovations technologiques sur lesquels elle repose soient garantis et surtout que les agents économiques modifient leurs choix et leurs comportements dans le sens attendu. Or ceux-ci présentent des caractéristiques et ont des objectifs très différents d’un pays à l’autre. Qu’y a-t-il de commun entre un paysan chinois qui fait cuire sa nourriture au charbon de bois (ils sont des centaines de millions) et un cadre supérieur qui vit à Manhattan ? Peut-on faire l’hypothèse que le gouvernement indien s’inscrira dans la même logique de développement et d’utilisation de l’énergie que les pays du Bénélux ? Or le travail de l’AIE ignore ces différences pour aboutir à un scénario global.

Il part du principe que la seule solution est la quasi-disparition du recours aux énergies fossiles, peut-être pour effacer ses positions passées qui allaient exactement dans la direction opposée. L’usage du charbon aurait ainsi disparu en 2050, et les consommations de gaz naturel et de pétrole auraient baissé respectivement de 55% et de 75%. Dans ces conditions, l’objectif « net-zéro » sera atteint. Mais il ne faut pas confondre l’hypothèse de départ avec le résultat. Rien dans le rapport de l’IAE ne permet d’être convaincu que les consommations chuteront dans cette proportion malgré les nombreuses restrictions citées relatives aux centrales à charbon, aux moyens de transport et aux normes de constructions.

Le calendrier des transformations est impressionnant, qu’il s’agisse de l’isolation des bâtiments qui atteindrait 85% du parc immobilier mondial en 2050, de l’abandon accéléré des véhicules utilisant l’essence ou le gas-oil avec 60% des ventes de voitures électriques en 2030 (elles ont représenté moins de 8% en 2020), la fermetures de toutes les centrales à gaz ou au charbon d’ici 2030 dans les pays développés et 70% de la production d’électricité fournie par les panneaux solaires et les éoliennes en 2050. Mais rien n’est dit sur la faisabilité économique et politique de ce calendrier et encore moins sur sa crédibilité technique.

La principale contradiction du rapport de l’Agence réside dans la mutation vers le tout électrique alors que la production sera essentiellement fournie par le solaire et l’éolien. Entre 2020 et 2050, la part du nucléaire régressera de 10 à 8% et celle de la production hydraulique  de 17 à 12% alors que la consommation d’électricité sera passée de 27 000 à 71 000Twh, soit une hausse de 150%. L’AIE n’ignore pas que les énergies solaires et éoliennes sont intermittentes et que la sécurité d’approvisionnement est une préoccupation majeure pour les Etats comme viennent d’en témoigner les incidents intervenus à cause de la vague de froid qui a frappé le Texas cet hiver ou les inquiétudes provoquées par le piratage de l’oléoduc qui alimente le nord-est des Etats-Unis.

Le pari qui est fait est que les nouvelles technologies numériques et de stockages vont permettre de pallier ce handicap majeur. Mais rien ne permet d’en être sûr. Pour qu’une innovation donne les résultats escomptés, il faut d’abord qu’elle intervienne et qu’ensuite elle soit politiquement et économiquement acceptée par ceux qui seront chargés de la mettre en œuvre et par ceux qui auront recours aux produits et aux services concernés. Cela fait beaucoup de « si ». En outre le choix du tout-électrique renouvelable suppose des investissements considérables dans le réseau de transport et de distribution comme dans la mise en exploitation de nouvelles mines pour produire les métaux nécessaires aux batteries. Sur ce point précis, là aussi, les conséquences sur l’environnement sont sous-estimées. Il peut ainsi arriver que les remèdes soient pires que le mal.

 Ces choix politiques se traduiront par un renchérissement des prix de l’électricité. Au même moment, les Etats perdront les recettes fiscales provenant de la production et de la vente des énergies fossiles, ce qui devra se traduire par des augmentations d’impôt. Qui peut sérieusement imaginer que les gouvernements pourront alors assumer de telles mesures aussi impopulaires et ne devront pas reculer devant la pression populaire, comme ce fut le cas en France avec les « gilets jaunes » ?        

 L’essentiel du processus de transition énergétique décrit par l’AIE repose sur des paris technologiques et des investissements lourds alors que les différences de situation d’un continent ou d’un Etat à un autre sont considérables. Pour que la transition énergétique soit réussie, il faut abandonner l’idée d’une vision globale et privilégier des solutions « sur-mesure », chaque pays s’attachant à convaincre ses partenaires que ce qu’il a mis en œuvre donne des résultats significatifs.

En France par exemple, les émissions du transport routier sont dix fois plus importantes que celles du transport aérien. Pourtant on assiste à une forte mobilisation pour réduire le second alors qu’après l’épisode désastreux des « portiques », qui ont coûté au pays plus d’un milliard d’euros, plus rien n’est envisagé pour privilégier le transport ferroviaire des marchandises. On envisage même de supprimer des lignes. Les milliards des plans de relance français et européens pourraient utilement être employés pour développer une logistique verte alliant sur les longues distances le rail et pour les derniers kilomètres les véhicules qui pourraient alors sans difficulté être convertis à l’électrique. On ferait ainsi des économies considérables autant dans la mise à disposition de bornes de recharge que dans leur alimentation par le réseau électrique.

Pour que la transition énergétique cesse de devenir un élément de communication récupéré maintenant par les organisations internationales après avoir été un facteur central du discours politique, et entre enfin dans la réalité, il faut que les décisions prises soient pragmatiques et concertées. Pour que les comportements changent, il faut que les acteurs soient convaincus qu’ils ont tout intérêt à le faire. Ce ne sont donc pas des rapports ou des paris technologiques hasardeux qui vont changer le monde mais le comportement quotidien des agents économiques que leurs dirigeants politiques auront su faire évoluer.