Vous n’êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

Inscription

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

La bonne transition énergétique

Le sujet n’est pas nouveau. Déjà, dans les années 70, était apparue la nécessité de dissocier la croissance, indispensable pour assure l’emploi et l’élévation du niveau de vie, de la consommation d’énergie. Les deux chocs pétroliers avaient déstabilisé les échanges extérieurs et la France, à l’époque, n’était pas protégée par l’euro contre les spéculations causées par  son déficit extérieur. La sécurité des approvisionnements énergétiques était devenue une priorité, ce qui avait conduit au choix en faveur de la production nucléaire. Aujourd’hui, l’enjeu est climatique mais l’objectif reste le même : il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de la consommation d’énergie, d’où la nécessité de faire baisser celle-ci. Les plans de relance décidés tant au niveau national qu’au niveau européen pour surmonter les effets de la crise économique provoquée par l’épidémie de la Covid 19 mettent à la disposition de l’Etat des moyens financiers considérables. Il est donc essentiel qu’ils soient mis en place et que leur utilisation aboutisse aux résultats escomptés.

Près de la moitié de la consommation d’énergie provient en France des secteurs résidentiels et tertiaires, soit 46%. Cette part est relativement stable depuis dix ans. Sa principale composante provient du chauffage et dans une moindre mesure de la climatisation des locaux. D’où une évidence : l’isolation thermique des bâtiments permettrait de réduire les besoins en énergie. Les travaux créeraient de l’activité et des emplois sur le territoire. Ainsi la croissance serait dissociée de la consommation d’énergie et provoquerait moins d’émissions. Inciter à la réalisation de ces travaux constituerait donc la meilleure politique possible. Depuis des décennies, les gouvernements s’y sont employés. Les dernières annonces en France relatives au plan de relance ont même fait de cette action l’une des toutes premières priorités.

Malheureusement, les incitations déployées dans le passé n’ont pas permis d’atteindre les objectifs escomptés. Le fossé s’est même élargi entre la place que cette priorité occupait dans le discours politique et les résultats obtenus sur le terrain. Les chiffres à cet égard sont sévères. Depuis dix ans la part de la consommation d’énergie des secteurs résidentiels et tertiaires dans la consommation totale est stable : 29% pour le premier, 17% pour le second. Sur cette période, la croissance en moyenne s’est située en France autour de 1%. La consommation d’énergie du secteur résidentiel était de 41 millions de tonnes d’équivalent pétrole (TEP) en 2010. En 2019, derniers chiffres connus, elle était de 41,2 millions de TEP. Le niveau n’a donc pas diminué depuis 10 ans. Le constat pour le secteur tertiaire est le même : la consommation est passée  de 24 millions de TEP en 2010 à 24,1 millions de TEP en 2019.

La principale cause de cette situation réside dans la non-rentabilité des investissements à effectuer. Les bailleurs comme les propriétaires occupants n’ont aucun intérêt à engager ces dépenses. Les gains à en attendre ne couvrent pas, même sur longue période, les économies réalisées. L’Etat n’a que deux possibilités : augmenter fortement les prix des différentes sources d’énergie, l’électricité, le gaz et le fuel domestique ou offrir des incitations efficaces et suffisantes. La première solution est politiquement impossible, on l’a vu avec les hausses annoncées sur les carburants qui ont déclenché la révolte des gilets jaunes. Il ne lui reste donc qu’à financer tout ou partie des travaux en offrant des formules adaptées aux différentes situations d’occupation des locaux. Il en a les moyens puisque cela fait partie de la politique de relance et ce sera même une condition pour pouvoir bénéficier des fonds prévus dans le Plan Européen.

 Pour une partie du secteur tertiaire et notamment les administrations, la situation devrait changer car là, l’Etat est en première ligne pour accomplir la rénovation thermique des locaux qu’il occupe, comme ceux de la multitude de collectivités publiques auxquelles il pourrait apporter son concours. Mais encore faudrait-il qu’elles le souhaitent. Quand on voit la taille de l’Hôtel de Ville de Paris et des locaux occupés par ses services, on peut se demander si, au lieu de construire des voies pour bicyclettes dans la capitale, il ne serait pas plus judicieux de faire en sorte que ces bâtiments consomment moins d’énergie.

Pour l’habitat, l’échec provient de l’inadaptation des incitations proposées aux différents statuts d’occupation des locaux. Quand le local est loué, la question est complexe car celui qui est censé financer les travaux ne profitera pas du résultat puisque c’est le locataire qui verra sa facture d’énergie allégée. Pour les organismes sociaux, l’Etat par ses aides peut prendre en charge une très large part du coût. Il contribuera en plus de la création d’emplois et de la  réduction de la consommation d’énergie, à améliorer le pouvoir d’achat des locataires. Il réduira aussi le nombre de foyers atteints par la précarité énergétique. En revanche, pour les autres bailleurs, qu’ils soient institutionnels ou des personnes privées, la solution doit être plutôt réglementaire. La réalisation d’un Diagnostique de Performance Energétique (DPE) doit être systématique et aucun logement qui en est dépourvu ne doit pouvoir être offert à la location à l’occasion d’un nouveau bail. Le respect de ces dispositions doit être systématiquement contrôlé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le projet de loi en cours de discussion ne prévoit de rendre ces dispositions obligatoires que dans cinq à huit ans. Ce délai est beaucoup trop long.

L’action de l’Etat, dans le cadre du plan de relance, doit être bien plus volontariste lorsque l’occupant est le propriétaire. Le niveau de la prise en charge doit être relevé et surtout aucune restriction ne doit être instaurée en fonction des revenus de celui-ci. Il faut savoir ce que l’on veut et ne pas chercher plusieurs objectifs à la fois, la réduction des émissions et la redistribution sociale. Les personnes ayant des revenus supérieurs à la moyenne consomment plus d’énergie. Ce sont eux en priorité qu’il faut inciter à faire les travaux, à travers des subventions directes ou des avantages fiscaux. A la différence des véhicules électriques largement subventionnés et le plus souvent importés, au moins cela créerait des emplois.

La baisse des factures d’électricité et d’énergies fossiles qui résultera de ces travaux offrira aux bénéficiaires une augmentation durable de leur pouvoir d’achat, ce qui va là aussi dans le sens de la relance de la croissance. Pour les familles qui se sont endetté pour acquérir leur logement et qui n’ont en aucune façon la possibilité de financer des travaux d’isolation, ces économies viendront soulager le poids de leurs remboursements.

Pour obtenir des résultats significatifs, l’Etat doit s’affranchir de deux tabous. D’abord, il ne doit plus hésiter à intervenir directement sur les bâtiments qu’il occupe et agir vis-à-vis des collectivités locales pour qu’elles en fassent de même, au besoin en les finançant. Ensuite, il ne doit plus conditionner ses aides en fonction des revenus des intéressés. Quand on veut atteindre plusieurs objectifs à la fois, il arrive presque toujours qu’on les manque tous. 

En continuant d’affirmer des ambitions élevées en matière de transition énergétique sans investir directement et sans modifier son système d’incitations, le gouvernement prendrait le risque d’un double échec : économique avec l’inefficacité de son plan de relance et environnemental avec le maintien, au niveau actuel des consommations d’énergie, donc des émissions de gaz à effet de serre, contrairement au discours qu’il tient lors des débats politiques ou à l’occasion des conférences internationales sur le climat.