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Le blog d'Alain Boublil

 

Taux d'intérêt : toujours zéro

Durant le mois d’avril, le taux d’intérêt des emprunts d’Etat français à dix ans a oscillé entre -0,07% et +0,08%. Cette étonnante stabilité apporte d’abord un sérieux démenti à ceux qui, depuis des années annoncent que les taux faibles sont une anomalie et qu’ils vont forcément remonter. La situation n’est pas propre à la France. Dans plusieurs autres pays européens, parfois plus endettés, les taux sont restés à un niveau très bas. Aux Etats-Unis, les incertitudes sur la politique économique du nouveau président et sur sa capacité à la faire approuver par le Congrès, avaient apporté une certaine volatilité. Mais le taux des Bonds à 10 ans n’a jamais dépassé 1,75%, niveau où il se situait avant le déclenchement de l’épidémie.

La conséquence immédiate pour chaque pays est une forte et durable réduction du coût budgétaire de leur endettement. En France, la charge a baissé en cinq ans de près de dix milliards d’euros, et la baisse sera durable malgré l’augmentation de la dette consécutive à la politique de soutien de l’économie et au plan de relance qui interviendra cette année. Cette baisse est souvent mal comprise. Elle résulte du remboursement, année après année, des emprunts passés qui avaient des taux d’intérêt très élevés et de leur remplacement par les titres actuels qui vont garder pendant toute leur durée des taux voisins de zéro. L’Agence France Trésor qui gère la dette publique française, a indiqué que depuis le début de l’année, la durée moyenne des emprunts émis à moyen et long terme était supérieure à 9 ans. Quant aux emprunts à court terme, qui représentent 160 milliards d’euros environ sur les 2000 milliards de la dette de l’Etat, ils ont des taux négatifs, -0,60%, et rapportent donc chaque année à l’Etat environ un milliard d’euros.

Cette situation n’a pas été affectée par la légère reprise de l’inflation mais on ne retrouvera pas dans les pays développés les hausses observées durant les années 70. Les matières premières, là encore contrairement aux prévisions alarmistes, sont abondantes, la concurrence internationale joue son rôle en maintenant la pression sur les prix et les innovations ont permis des gains de productivité spectaculaires que le développement de l’économie numérique amplifiera encore dans l’avenir. Mais la tension très modérée observée depuis le début de l’année qui résulte de la forte reprise économique en Chine notamment et de conditions météorologiques qui affectent les énergies fossiles et les produits alimentaires aboutit à réduire encore davantage le coût réel de l’endettement. Si l’inflation est de 1,5% et si les taux sont nuls, le taux d’intérêt réel est de -1,5%, c’est-à-dire encore plus bas qu’aux moments les plus sévères de la récession de 2020.

 La situation ne devrait pas changer au moins durant les deux prochaines années. Les annonces du président de la Réserve fédérale américaine, Jérôme Powell écartent pour l’instant le retour à une politique monétaire plus restrictive. Les fluctuations du taux des Bonds qui ont donné lieu à d’abondants commentaires, ne sont donc pas les signes précurseurs d’une remontée durable, malgré la très forte augmentation des besoins de financements publics due aux mesures annoncées par l’administration Biden. Dans la zone euro, la Banque Centrale Européenne a confirmé que le programme spécial d’achats de titres publics lancé pour aider les Etats à faire face à l’épidémie s’étendrait au moins jusqu’en 2023. Les pays dits « frugaux » ont dû s’incliner et les obstacles constitutionnels en Allemagne ont été jusqu’à présent surmontés. Les taux à court comme à moyen et long terme vont donc rester à des niveaux proches de ceux observés actuellement. La réduction de la charge budgétaire des dettes publiques se poursuivra. Pour que la tendance s’inverse, il faudrait que les taux à long terme repassent au dessus du niveau des taux des emprunts qui viennent à échéance et ce n’est certainement pas pour demain.

Mais les conséquences de cette situation sur l’activité économique sont plus complexes qu’on ne le pense. En ce qui concerne les ménages, le faible taux de rémunération n’a pas empêché les ménages de constituer, à un niveau record, une épargne de précaution. Seule une petite minorité a profité de la chute des cours boursiers pendant la crise pour y placer une partie de ses économies. Les taux faibles pratiqués par les banques ne les ont pas davantage incités à acquérir un logement. On note, sur les douze derniers mois par rapport à la période précédente, une baisse de 17,4% des permis de construire délivrés et de 9,5% des mises en chantier. Les restrictions d’accès aux commerces dits « non-essentiels » qui concernent souvent les biens d’équipement durables ont pesé sur les achats souvent réalisé à crédit. L’impact de la baisse des taux sur la demande des ménages a donc été très faible, comme en témoigne la première estimation de la croissance au 1er trimestre que vient de publier l'INSEE..

Elle n’a pas davantage incité les entreprises à investir, donc à préparer l’avenir et à créer des emplois. Les inquiétudes concernant la reprise les ont incitées à la prudence et la priorité a été donnée à leur survie avec le recours aux financements garantis par l’Etat pour traverser la crise. Quant aux secteurs peu affectés, ils ont profité de la baisse de leurs frais financiers qui leur permettait d’afficher pour les exercices en cours des résultats plus favorables qu’espérés initialement. En réalité la baisse des taux n’a profité qu’aux Etats et aux marchés financiers.   

Le maintien de taux aussi bas a permis non seulement d’adopter les mesures de soutien aux entreprises qui ont évité une vague de faillites mais aussi de financer la politique de relance. La France en a particulièrement profité car le pays a un déficit important de sa balance des paiements courants. Sans l’Europe et sans l’euro, le risque était réel d’avoir à offrir des taux d’intérêt très élevés, à la fois pour soutenir la devise et pour attirer les capitaux étrangers nécessaires pour financer les déficits publics, c’est-à-dire de se retrouver dans une situation qui rappelle celle de l’Argentine ou de la Turquie. On ne dira jamais assez à quel point l’euro a permis à la France à traverser cette crise et on ne mettra jamais assez en garde ceux qui veulent rompre avec l’Europe.

Les autres grands bénéficiaires ont été les marchés d’actions. Ce n’est pas un hasard si aux Etats-Unis comme en Europe des records sont battus. Certes, la situation de nombreuses entreprises a été préservée mais c’est l’abondance de capitaux disponibles qui a été à l’origine de ces records. En outre les rémunérations offertes sont bien plus attractives du fait des faibles taux d’intérêt. Les investisseurs et derrière eux les épargnants ont été nombreux à assumer le risque attaché à tout placement financier.

Historiquement, ce sont les crises financières qui ont provoqué les récessions, comme en 1929 aux Etats-Unis et en 2007-2008 dans les pays développés. Là, le monde se trouve dans la situation inverse. La crise sanitaire a provoqué une crise économique majeure mais les mesures adoptées ont provoqué une envolée des marchés financiers et des valorisations d’entreprises, aux Etats-Unis principalement, sans rapport avec leurs résultats actuels.  Le principal risque aujourd’hui, et les banques centrales devraient en prendre conscience, ce n’est plus la hausse des prix des biens et des services, mais bien celle de certains actifs financiers qui résulte indirectement de leur action. Il est temps pour elles et derrière elles pour les Etats, de se préparer à affronter ce nouveau risque. A défaut, une crise financière majeure réduirait à néant les efforts faits pour sortir de la crise sanitaire.