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Le blog d'Alain Boublil

 

Keynes est revenu

L’action des gouvernements contre les conséquences économiques de l’épidémie témoigne d’un profond bouleversement des principes qui, depuis près d’un demi-siècle constituaient les fondements de la politique économique. Ils ont, dans l’urgence, mis à la disposition des entreprises et des salariés des financements leur permettant dans l’immédiat de faire face à la chute d’activité et aux réductions d’emplois en résultant. Les prêts garantis par l’Etat permettaient aux banques de soutenir leurs clients sans prendre elles-mêmes de risque. La prise en charge du chômage partiel avait le même objectif : elle offrait aux entreprises la possibilité de conserver leurs salariés sans que le système d’assurance-chômage soit affecté. L’augmentation du déficit budgétaire était alors financé à un taux très faible, voire négatif, grâce à l’action des banques centrales qui rachetaient directement quand leur statut le leur permettait ou sur le marché, ce qui revenait au même, quand cela était interdit, comme pour la Banque Centrale Européenne, les titres émis par les Etats.

Mais ces actions dictées par la gravité de la situation étaient temporaires et défensives. Elles n’avaient pas pour objet de replacer les pays concernés sur une trajectoire de croissance leur permettant de rattraper le terrain perdu durant la crise. A partir de l’automne 2020, les gouvernements ont alors décidé d’établir des « plans de relance ». Aux Etats-Unis, ce n’était pas dénué d’arrière-pensées électorales. Une fois élu, Joe Biden annonça qu’il irait même plus loin que ce qu’avait proposé Donald Trump. Il vient d’obtenir l’accord du Congrès pour un plan de 2000 milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures étalé sur huit ans qui s’ajoute aux mesures préparées par l’administration précédente. En Europe, les Etats firent de même, chacun ajoutant aux mesures décidées lors du déclenchement de l’épidémie, des plans de dépenses publiques destinées à favoriser la reprise. Un programme européen de 750 milliards d’euros fut même négocié à Bruxelles incluant pour la première fois le principe de solidarité : les Etats ne recevraient pas automatiquement les ressources en fonction de leur taille. Il y aurait une part de redistribution. Même si ce plan n’a pas encore été ratifié par tous les Etats et vient d’être contesté devant le Cour Constitutionnelle allemande, il entrera tôt ou tard en application. Le FMI, pourtant traditionnellement conservateur, a lui-aussi encouragé les Etats à dépenser plus. L'ère du consensus de Washington est révolue.

Ces choix furent justifiés en rappelant qu’au lendemain de la crise de 1929, le président Roosevelt, s’inspirant des réflexions de Keynes avait procédé de la même façon pour relancer l’économie américaine et avait atteint ses objectifs. Ce n’était pas la première fois que l’économiste anglais voyait juste. Il avait quitté en 1919 la délégation britannique qui négociait le Traité de Versailles parce qu’il estimait que les réparations demandées à l’Allemagne étaient trop lourdes et qu’elles déstabiliseraient le pays avec de graves risques politiques. Mais ramener sa contribution au concept de relance par l’investissement public est trop restrictif. Ce qu’il démontra, dans ses travaux, c’est que le marché ne permettait pas en toutes circonstances de rétablir les grands équilibres économiques, notamment en ce qui concerne l’emploi. L’Etat devait donc intervenir. Il avait ainsi inventé le concept de politique économique et les solutions qui domineront les trente années qui suivirent la guerre.

Mais les libéraux, hostiles par principe à l’intervention des Etats, lui opposèrent rapidement un autre outil, capable de garantir la croissance et la stabilité financière, la politique monétaire, avec la fixation des taux d’intérêt par les banques centrales, ce qui deviendra pendant quarante ans la pensée unique. Pour s’en être écarté, la gauche en 1981, fut et est encore stigmatisée. Ses choix auraient été à l’origine du creusement du déficit commercial et de trois réalignements monétaires aboutissant à la dévaluation du franc. Ce procès est injustifié car l’aggravation du déficit avait pour seule origine le renchérissement des approvisionnements pétroliers découlant de la hausse brutale du dollar, elle-même conséquence de la hausse des taux d’intérêt américains. L’instabilité du SME provenait de sa conception qui méconnaissait l’analyse proposée par l’économiste canadien Robert Mundell : on ne peut pas avoir entre différents pays à la fois des changes fixes, des politiques monétaires autonomes et la liberté des mouvements de capitaux. La création de l’euro a permis de corriger ce défaut initial.

Jusqu’à l’apparition de l’épidémie, l’action par la dépense publique sera déconsidérée au profit de la politique monétaire. On en trouve la manifestation dans l’architecture du Traité de Maastricht dont le principal objet est de garantir l’indépendance de la BCE et d’encadrer sinon de limiter les déficits et les dettes publics. Tout vient de changer avec la crise résultant de l’épidémie. Si les banques centrales en finançant le « quoiqu’il en coûte » nécessaire pour en atténuer les conséquences ont joué leur rôle, elles ne disposent pas des outils permettant de faire repartir les économies. C’est ce qui a été constaté aux Etats-Unis et en Europe et ce qui a conduit les différents gouvernements et les institutions européennes à revenir aux remèdes keynésiens traditionnels.

A Washington, ce retour est sans complexe : 2000 milliards de dollars vont être dépensés en huit ans pour rénover les infrastructures du pays, les routes, les ponts et les chaussées des villes qui en ont bien besoin. Les projets sont clairement identifiés, les travaux peuvent commencer et l’emploi dans le secteur du bâtiment et des travaux publics en bénéficiera comme tout le reste de l’économie. Cela rappelle les grands projets à Paris et la création du Fonds spécial des Grands Travaux en 1982.

En Europe, le projet de réforme des critères de Maastricht vise à s’affranchir des contraintes budgétaires qui ne sont plus respectées depuis longtemps par de nombreux Etats et des plafonds fixés pour l’endettement public. Mais les plans de relance sont plus ambigus. Ils semblent autant dictés par des considérations de communication politique que par l’efficacité économique. Ils dépendent, pour une large part, de l’attitude des agents économiques face aux propositions d’aides que l’Etat leur consentirait. Or rien ne garantit que ceux-ci y auront recours. Ainsi, en France, les subventions aux propriétaires pour les travaux de rénovation thermique sont limitées en fonction du revenu du ménage ce qui va exclure ceux qui consomment le plus d’énergie et ceux qui, même avec cette aide, n’auront pas les moyens d’entreprendre les travaux. L’effet sur la croissance et l’emploi en sera diminué d’autant. La situation aurait été différente  si, par exemple, l’Etat avait demandé à EDF de démarrer sans tarder un programme de modernisation et de renouvellement de son parc nucléaire en lui accordant les financements nécessaires ou si l’on avait lancé un plan de rénovation des lignes secondaires de la SNCF. L’impact sur la croissance et l’emploi aurait été immédiat.

Le raisonnement vaut aussi pour les aides concernant les projets d’investissement dans les nouvelles technologies. Rien ne permet d’être sûr que les entreprises vont élaborer de tels projets. On observe, comme pour les ménages une forte augmentation de leur endettement résultant de l’octroi des financements publics mais aussi, simultanément de leur trésorerie car elles sont inquiètes pour leur avenir et ont un comportement attentiste qui risque de vider d’une part significative de son contenu l’action en faveur de la relance.

Keynes est donc de retour mais son retour est bien plus réel aux Etats-Unis qu’en Europe et spécialement qu’en France où l’Etat, avec succès, a rempli sa mission de pompier mais où on attend qu’il joue son rôle de stratège et qu’il s’implique plus directement pour soutenir la reprise économique.