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Le blog d'Alain Boublil

 

Le nouveau rôle des banques centrales

L’élimination progressive des frontières pour les mouvements de capitaux, à partir de la fin des années 80, avait donné aux banques centrales un rôle majeur dans la définition et la mise en œuvre des politiques économiques. A l’origine, elles étaient chargées d’approvisionner les pays en moyens de paiement et de venir au secours des Etats quand ceux-ci traversaient une crise ou devaient financer un effort de guerre. Les économistes, sous l’égide de Milton Friedmann et de l’école de Chicago, leur ont attribué ensuite une mission déterminante dans la réalisation des grands équilibres. En contrôlant l’évolution de la masse monétaire, elles devaient permettre d’assurer une croissance stable sans déclencher de vague inflationniste.

Mais pour cela, elles ne devaient pas être soumises aux interventions des gouvernements. L’Allemagne, en garantissant dans les textes l’indépendance de la Bundesbank avait donné l’exemple. Son passé historique avec la grande crise inflationniste des années 20 qui n’allait pas être étrangère à la montée du nazisme, justifiait cette vigilance, acceptée par la population et assumée par les forces politiques. Aux Etats-Unis, il n’y avait pas eu besoin de textes. L’autorité personnelle des dirigeants de la Réserve Fédérale nommés par le président au terme d’une procédure complexe au Congrès, leur avait donnés les moyens de résister aux pressions politiques qui auraient pu affecter leur mission. La situation n’était pas très différente au Royaume-Uni dont la prospérité était étroitement liée à la confiance des investisseurs internationaux. Des interventions politiques sur l'action de la Banque d'Angleterre auraient affecté cette confiance et les gouvernements ne s’y risquaient pas sans qu’il y ait besoin de dispositions statutaires.

La situation était différente au Japon et dans les autres pays européens. En France, la Banque de France avait toujours été un instrument de l’Etat, donc du pouvoir en place. Tout changea avec la création de l’euro. L’Allemagne, voulant se protéger contre les dérives inflationnistes qui auraient pu venir des autres pays membres et contre les risques de devoir combler les déficits de ses partenaires, imposa des règles garantissant l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. Elle fit adopter des statuts définissant son mandat, au premier rang desquels figurait la stabilité des prix. Elle pouvait agir pour soutenir la croissance et l’emploi à condition que cela ne remette pas en cause cette stabilité. Le principal outil était la fixation des taux d’intérêt à court terme. Mais son pouvoir d’intervention restait limité puisqu’elle ne pouvait pas financer directement les Etats-membres en souscrivant à leurs émissions.

La BCE adopta comme objectif que la hausse des prix devait se situer dans la zone euro à un niveau inférieur mais proche de 2%. La Réserve Fédérale, sans le dire explicitement, se fixa un objectif analogue et l’économie mondiale, jusqu’à la crise financière de 2007-2008, s’accommoda bien d’un système qui privait les gouvernements d’un outil d’intervention stratégique sans que cela cause de déséquilibres économiques ou financiers majeurs. La crise des sub-primes a même abouti au renforcement des pouvoirs de contrôle des banques centrales sur les institutions financières, dont l’imprévoyance, aux Etats-Unis avait été à l’origine de la crise. De même, la crise de l’euro, qui était une conséquence indirecte de la crise financière américaine, a ouvert à la BCE, un nouveau champ d’intervention en facilitant  le sauvetage des pays du sud de l’Europe et de l’Irlande en rachetant sur le marché pour 220 milliards d’euros de titre et en facilitant ainsi le placement de nouvelles émissions. Sans cela ils risquaient le défaut de paiement qui aurait affecté l’existence même de l’euro.  .

Mais cette crise a aussi marqué un tournant avec le recul du risque inflationniste. L’intensification de la concurrence internationale a pesé, dans tous les pays, sur les prix des biens. La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis, à la différence de ce qui s’était passé durant les trente années précédentes, a éliminé tout risque de hausse significative des prix de l’énergie. Enfin l’innovation, pour les biens avec les nouvelles technologies de fabrication comme pour les services avec la multiplication des plates-formes, a également contribué à la stabilité des prix. Le mandat des banques centrales a alors perdu une large part de son objet. Au lieu d’agir pour que l’inflation repasse en dessous de 2%, elles ont estimé que leur rôle était au contraire d'agir pour que la hausse des prix retrouve  un niveau proche de 2%. Elles ne risquaient donc pas de se trouver en désaccord avec leurs gouvernements et d’être obligées d’invoquer l’indépendance qui leur avait été accordée, explicitement ou implicitement.

L’épidémie que le monde traverse les a conduit à aller encore plus loin. Elles ont été appelées par les Etats pour les aider à financer la brutale augmentation de leurs déficits en maintenant des taux négatifs à peu près partout dans le monde et en achetant massivement sur les marchés financiers des titres des dettes publiques. En Europe, la BCE contournait ainsi l’interdiction statutaire qui lui était faite d’acquérir ces titres au moment de leur émission, ce qui n’a soulevé aucune critique. Un nouveau programme (PEPP) a été lancé dès le début de la pandémie pour 600 milliards. Il a été porté à 1350 milliards au mois de juin 2020 puis a encore été révisé en hausse pour atteindre 1850 milliards. La BCE soutenait aussi le plan de relance de 750 milliards décidé par les Etats, approuvé par le Parlement européen mais dont la ratification est bloquée en Allemagne par la saisine de la Cour Constitutionnelle.

Aux Etats-Unis, le président de la Federal Reserve a clairement annoncé qu’il approuvait la politique de relance proposée par Joe Biden et adoptée par le Congrès, abandonnant toute référence aux objectifs de stabilité des prix, aux risques causés par l’ampleur des déficits publics et allant même jusqu’à déclarer que les taux d’intérêt pratiqués par son institution resteraient durablement très bas et au moins jusqu’à la fin de 2023. A Washington comme à Francfort, on est donc prêt à soutenir en la finançant une politique de relance d’inspiration Keynésienne.

Pourtant leur action va être confrontée à une double limite. Il n’est pas possible d’ignorer le lien entre leur action et la hausse massive des marchés d’actions, en parfaite contradiction avec l’état de l’économie. Les conditions de financement très favorables ont alimenté des opérations spéculatives de grande ampleur. La politique monétaire a été détournée de son objet. Les faillites de fonds d’investissement qui affectent les banques qui leur ont prêté de l’argent n’ont pas encore atteint, comme lors de la crise des sub-primes, un niveau systémique mais il n’est plus possible d’écarter complètement un tel risque.

L’autre limite concerne la situation des banques centrales elles-mêmes. Du fait de leurs achats massifs d’obligations, elles portent dans leurs bilans des actifs qui seraient lourdement affectés en cas de hausse des taux d’intérêt. Elles sont alors placées devant un dilemme : exécuter leur mandat ou protéger leurs bilans. On peut répondre que comme les Etats sont leurs seuls actionnaires, ce sont eux qui, à la fin en subiraient les conséquences. Mais ce sont des organisations indépendantes et il sera difficile, pour elles d’assumer des décisions dont la conséquence immédiate sera l’apparition de lourdes pertes causées par leur action.

La mondialisation avait déjà changé le monde. La gravité des dommages causés à l’économie mondiale et à ses populations par l’épidémie conduira probablement à repenser les instruments de la politique économique. Les banques centrales n’échapperont pas à une réflexion sur une éventuelle transformation de leur rôle.