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Le blog d'Alain Boublil

 

La mondialisation n'est pas morte

La signature d’un accord de libre-échange entre les dix pays de l’ASEAN et la Chine, la Corée du sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande apporte une preuve spectaculaire que des négociations regroupant de nombreux pays pour franchir de nouvelles étapes en matière de libéralisation des échanges de biens et de services peuvent aboutir. Est apporté un cinglant démenti à ceux qui prédisent la fin de la mondialisation. Pourtant de profonds désaccords politiques subsistent entre les pays signataires. La Chine et le Japon se reprochent mutuellement de vouloir annexer des territoires qui ne leur appartiennent pas, en l’occurrence des îles. La Corée du sud accuse le Japon, comme d’ailleurs la Chine, de ne jamais avoir admis ses crimes commis durant le siècle précédent. Les pays riverains de la mer de Chine du sud, membres fondateurs de l’ASEAN, contestent à leur puissant voisin ses velléités de s’annexer des eaux territoriales qu’ils estiment leur revenir. Et les désaccords entre l’Australie et Pékin dans l’utilisation des nouvelles technologies sont nombreux. Mais cela n’a pas empêché ces pays de se réunir autour d’une table virtuelle pour négocier et signer un traité qui a pour objet de faciliter leurs échanges.

Ce traité intervient à un moment où, dans d’autres parties du monde, la tendance est inverse. La politique américaine durant l’administration Trump s’est focalisée sur la dénonciation des accords internationaux et le retrait des organisations multilatérales. En Europe, le Brexit est un autre exemple de cette tendance mais il n’est pas le seul. Les divisions permanentes entre pays dits dépensiers au sud du continent et les pays frugaux autour de la mer du Nord affaiblissent le projet européen. L’attitude de la Pologne et la Hongrie, tentant de bloquer le plan de relance destiné à faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire illustre encore ce nouvel état d’esprit. De nombreux dirigeants politiques ont même, parfois avec succès, cherché à convaincre leurs peuples que les difficultés auxquels ils étaient confrontés venaient d’ailleurs, c’est-à-dire de la mondialisation ou que celle-ci vit ses derniers jours et qu’il vaut mieux se replier sur soi. L’échec de Donald Trump montre que ce n’est pas toujours efficace, mais la tendance demeure.

La mondialisation, pour ceux qui la dénoncent, a une origine bien établie : c’est l’essor de la Chine depuis les réformes des années 80, qui traduit la nouvelle volonté de puissance du pays. Il serait ainsi devenu le principal gagnant d’un phénomène qui serait la source de tous nos maux. Force est de constater que ce point de vue n’est pas partagé par ses voisins, qui auraient dû en être les premières victimes mais qui viennent de signer un traité destiné précisément à faciliter encore leurs échanges. Mais c’est surtout ignorer que si la Chine s’est développé en devenant « l’usine du monde », c’est précisément du fait des grandes entreprises américaines, japonaises ou allemandes qui y ont implanté leurs usines pour réduire leurs coûts en profitant d’une main d’œuvre abondante et qualifiée. Cela leur a permis d’approvisionner leur pays d’origine, d’exporter plus et maintenant de fournir l’immense marché intérieur chinois. La mondialisation n’est donc pas la traduction de la volonté de la Chine de dominer le monde  mais la conséquence de la stratégie des grandes firmes internationales.

La mondialisation a résulté aussi du progrès technique qui n’a pas concerné uniquement l’exceptionnel développement des moyens de traitement et de transmission des informations et des données. La réduction des coûts du transport maritime grâce au développement des containers a rendu possible et accompagné la constitution de chaînes de production internationales. L’innovation a aussi concerné les énergies fossiles en permettant par exemple, grâce à la liquéfaction, le transport du gaz naturel. Ces phénomènes sont irréversibles même si, notamment dans le cas des données, des règles doivent être adoptées pour respecter les normes de sécurité et de protection de la vie privée.

Dans toute grande mutation, il y a des gagnants et des perdants. L’un des arguments des perdants, ou de ceux qui estiment l’être, est que le seul gagnant serait la Chine qui satisferait ainsi sa volonté de puissance en devenant là première économie mondiale ravissant cette place aux Etats-Unis. Les dirigeants américains croient trouver là la justification de leur action contre le multilatéralisme et à la « nouvelle guerre froide » déclenchée contre Pékin. Mais l’économie mondiale n’est pas le championnat de France de 1ère division de football et les classements n’y ont pas la même signification. Le PIB de la Chine dépassera un jour celui des Etats-Unis. Mais la Chine est quatre fois plus peuplée. L’aspiration du peuple chinois à un niveau de vie plus élevée peut difficilement lui être reprochée et l’action de son gouvernement en vue d’y parvenir, quelques soient ses pratiques autoritaires, n’est pas moins légitime que celle des autres pays, comme l’Inde aujourd’hui ou hier la Corée du sud.

Cette ascension est longtemps passée sinon inaperçue du moins tolérée parce qu’elle résultait essentiellement des stratégies des entreprises occidentales ou japonaises. Mais avec le temps et l’émergence d’une vaste population très qualifiée, la croissance de l’économie chinoise a permis l’émergence de grands groupes publics et privés capables de s’imposer sur le marché mondial face à leurs concurrents. Cette situation nouvelle n’a pas suscité en Asie la même inquiétude ou la même hostilité que dans les pays occidentaux et principalement qu’aux Etats-Unis tout simplement parce que dans le passé des pays comme le Japon et la Corée du sud avaient suivi la même voie. Il y a maintenant sur le marché mondial de nouveaux et puissants acteurs, ce qui ne fait que donner davantage de contenu à la mondialisation et la rend encore plus irréversible.

Plutôt que de se cantonner dans le déni ou de s’enfermer dans une attitude hostile, il faut chercher à s’adapter à ce changement du monde. L’Allemagne, par exemple, l’a compris. Ses entreprises ont su tirer depuis longtemps parti de cette nouvelle situation. Ce qui a permis aux constructeurs automobiles de surmonter la crise et les scandales comme celui des moteurs diesel, c’est leur succès en Chine où ils produisent et vendent des millions de véhicules chaque année. Leur capitalisation boursière cumulée est de 135 milliards d’euros alors que la somme de celles de Renault et de PSA dépasse à peine 25 milliards. Cela peut s'appliquer partout. Si Airbus traverse la crise actuelle, ce sera aussi grâce à ses clients et ses partenaires chinois. Enfin, la lutte contre l’épidémie passe par la mise au point de vaccins. L’effort est mondial et on assiste à une course des différentes autorités publiques pour bénéficier des premières livraisons. Il en avait été de même au printemps pour les masques. Là aussi la coopération et les échanges internationaux seront déterminants.

La mondialisation ne va pas mourir. Mais elle va accentuer le clivage entre les gagnants et les perdants. Les gagnants seront ceux qui l’auront admis, ceux dont les entreprises auront su nouer les nouveaux partenariats qui reflètent le changement économique du monde et ceux dont les consommateurs auront compris que ce sont leurs comportements d’achat qui déterminent leur emploi et leur niveau de vie. Les perdants, ce sont ceux qui chercheront à s’isoler, ce sont les Etats qui feront preuve d’égoïsme et qui refuseront de voir le monde tel qu’il est. Les enjeux sont suffisamment graves pour qu’en Europe et même en France on commence à comprendre quel est l’état réel du monde.