Vous n’êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

Inscription

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

L'avenir du gaz naturel

Les tensions entre la Grèce et la Turquie et les sanctions américaines contre l’achèvement du gazoduc Nordstream 2 en mer du Nord font apparaître au grand jour l’importance nouvelle et les enjeux géopolitiques associés au gaz naturel. Le XXème siècle avait été le siècle du pétrole avec des conséquences politiques et économiques majeures. Dans les années 20, le démantèlement de l’Empire ottoman et le partage entre les puissances occidentales des territoires où se trouvaient les gisements du Moyen-Orient avait, grâce aux « Accords de la ligne rouge », permis l’émergence des majors pétrolières et assuré l’approvisionnement de l’Occident. Ce fut l’embargo pétrolier vis-à-vis du Japon décidé par les autorités américaines qui déclencha l’offensive de Pearl Harbour et l’entrée des Etats-Unis en guerre. Si l’Allemagne dirigea son offensive contre l’URSS, bloquée à Stalingrad, vers la mer Caspienne, c’était pour avoir accès aux champs pétroliers nécessaires pour son effort de guerre. La paix revenue, le pétrole ne perdit pas son rôle stratégique, cette fois sur le plan économique, comme le montra la crise de 1971 suivie de la constitution de l’OPEP, d’un embargo temporaire et des deux chocs pétroliers qui ébranlèrent les économies occidentales. Dans un contexte heureusement moins violent, le gaz naturel est devenu une matière première stratégique et devrait jouer un rôle essentiel dans l’avenir.

Le gaz naturel a toujours été abondant et bon marché. Ignorant les conséquences sur l’environnement, les compagnies qui exploitaient des gisements pétroliers, le brulaient lorsqu’il sortait des puits. Son utilisation était limitée par les difficultés liées à son transport et à sa distribution qui nécessitaient en outre des capacités de stockage coûteuses. Face au pétrole et au charbon, qui se transportaient facilement jusqu’au domicile des utilisateurs, son avantage en terme de coût disparaissait. Mais deux innovations majeures sont intervenues. Les progrès faits en matière de liquéfaction et le transport du Gaz Naturel Liquéfié par voie maritime ont permis de fournir des marchés trop éloignés des gisements pour être desservis par des gazoducs. Les nouvelles techniques d’extraction par fracturation ont accru considérablement l’offre de gaz naturel disponible, aux Etats-Unis, en Chine et demain en Amérique Latine, ce qui, combiné avec la liquéfaction et l’autorisation d’exporter accordée par les autorités américaines, a créé un véritable marché mondial.

Ces transformations sont intervenues au moment où la prise de conscience du rôle néfaste des matières fossiles sur l’environnement et sur le climat s’affirmait, ce qui allait déboucher sur l’Accord de Paris. Or la combustion du gaz naturel, dans les centrales thermiques ou dans les chaudières industrielles ou domestiques est nettement moins émettrice de CO2 et de particules que le pétrole, le charbon et surtout le bois. Aux Etats-Unis, la baisse des prix permise par l’augmentation de l’offre a engendré un basculement sans précédent en faveur du gaz naturel et au détriment du charbon dans la production d’électricité. En Chine, le développement de nouveaux gisements, le raccordement du pays par gazoducs à l’Asie centrale et plus récemment à la Sibérie, comme la construction de nombreuses usines de liquéfaction ont permis à la consommation d’être multipliée par quatre en dix ans et de freiner la croissance des émissions de CO2. Au plan mondial, le gaz naturel a vu sa consommation et sa production croître de plus de 5% au total sur les deux dernières années, ce qui a généré un intérêt croissant pour cette matière première et entrainé de nouvelles tensions géopolitiques.

En Europe du Nord, alors que l’Allemagne commence à comprendre que son recours excessif au charbon ne peut plus durer et qu’il va falloir reconvertir ses centrales au gaz naturel puisque le pays a décidé de renoncer au nucléaire, les investissements pour acheminer la ressource ranime de vieilles rivalités Est-Ouest. L’achèvement du gazoduc Nordstream 2 qui doit acheminer le gaz extrait du champ géant de Yamal en Russie est mis en suspens du fait des menaces de sanctions américaines vis-à-vis des entreprises comme Engie qui participent à sa construction et demain à son exploitation. A l’inverse, le projet de la Pologne de construire à travers la Baltique un gazoduc alimenté par les champs gaziers norvégiens suit son cours, ce qui  réduira sa dépendance vis-à-vis de Moscou. Cela nous rappelle que la crise ukrainienne fut en partie causée par un désaccord entre les deux pays sur les tarifs. L’insistance de Pékin sur les questions de souveraineté maritime n’est pas non plus étrangère à ses préoccupations relatives à la sécurité de ses approvisionnements gaziers et pétroliers qui transitent par la partie méridionale de la mer de Chine. En revanche, on note moins de tensions en Afrique, ce qui permet à Total de lancer son grand projet à 23 milliards de dollars d’exploitation d’un champ gazier sous le bras de mer qui sépare Madagascar du Mozambique.

La situation est toute différente dans la partie orientale de la Méditerranée où, à la guerre civile qui déchire la Lybie, s’ajoute maintenant un conflit entre la Turquie et la Grèce sur la définition des eaux territoriales dans une zone où l’on considère que la probabilité de contenir d’importants gisements de gaz naturel est élevée. Des ressources très importantes ont déjà été mises en évidence au large de l’Egypte et d’Israël. Elles s’étendent jusqu’en Lybie où une guerre civile oppose le général Haftar à la tête de l’Armée de Libération Nationale qui contrôle l’est du pays, soutenu par la France, l’Egypte et la Russie, et le gouvernement officiel reconnu par l’ONU et soutenu par la Turquie. L’enjeu n’est un mystère pour personne : il s’agit de contrôler les nouveaux gisements du pays riches en pétrole et en gaz naturel. La tension entre la Turquie et la Grèce, pour la même raison, est bien plus grave puisqu’elle oppose à nouveau la France et la Turquie avec une escalade qui se traduit par des promesses de commandes d’avions de chasse de la Grèce à la France.   

Le gaz naturel est donc devenu une matière première stratégique appelée à compenser le lent déclin du charbon et du pétrole. La demande croissance d’électricité, provoquée notamment par les nouvelles mobilités ne pourra pas être assurée avant très longtemps par les énergies renouvelables du fait de leur intermittence. Comme aucun pays ne peut renoncer à la sécurité de ses approvisionnements en électricité et que ceux qui maîtrisent les technologies nucléaires sont peu nombreux, le gaz naturel apparait de plus en plus comme la solution de transition qui permet de concilier l’objectif de réduction des émissions de toutes natures et l’aspiration au développement de pays comme l’Inde ou la Chine, qui sont potentiellement les plus gros émetteurs. A cela s’ajoute la reconversion des pays développés comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Pologne qui reste encore trop dépendants du charbon. La production et la consommation mondiale de gaz naturel va donc augmenter dans les décennies à venir.

Les tensions, voire les conflits, pour contrôler la production et l’acheminement de cette matière première stratégique devraient donc se multiplier dans plusieurs régions du globe. Plutôt que d’imaginer un monde « dé-carbonné » parfaitement irréaliste, il importe de construire un monde « décharbonné ». Il convient donc de s’y préparer pour éviter que des crises graves rappelant ce qui s’est passé avec le pétrole, se reproduisent à propos du gaz naturel. C’est d’autant plus opportun pour la France car ses entreprises disposent des compétences humaines et des technologies permettant d’extraire, de transporter et de distribuer le gaz naturel.