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Le blog d'Alain Boublil

 

Les chiffres de la crise

     

Les résultats des principales économies pour le 1er semestre permettent d’avoir une appréciation de l’ampleur des répercussions de la crise du corona virus et de leur diversité. Les pays les plus touchés ont été le Royaume-Uni, l’Espagne, la France et les Etats-Unis avec un niveau du PIB inférieur entre 15 et 20% à celui atteint un an auparavant. L’Allemagne a été frappée par une récession moins violente, -10% après -2% au premier trimestre. Le Japon et surtout la Corée du Sud ont connu des baisses d’activité bien plus modestes, inférieures à 5%.  Le Chine, où l’épidémie s’était développée à partir du mois de janvier, a enregistré un net rebond au deuxième trimestre (+11%), après une chute de 6,8% au premier trimestre, ce qui lui permet d’espérer pour l’ensemble de l’année une croissance légèrement positive. On peut, comme toujours, contester ces statistiques flatteuses mais ce résultat n’est contredit, ni par l’évolution des échanges extérieurs du pays, ni par la reprise significative de la consommation des ménages qui a retrouvé un niveau proche de celui atteint il y a un an, comme en témoignent les ventes d’automobiles ou les informations publiées par des grands groupes comme L’Oréal ou LVMH pour lesquels le pays est l’un de leurs principaux marchés.

Dans tous les pays, les effets sur l’emploi ont été considérables mais les chiffres publiés n’ont pas partout la même signification car ils dépendent des mesures adoptées par les Etats et des règlementations sociales. C’est aux Etats-Unis que le choc a été le plus violent avec, dès les mois de mars et d’avril, des pertes d’emploi de plusieurs dizaines de millions. Même si on assiste durant l’été à de nombreuses créations d’emplois, le pays est encore très loin d’avoir retrouvé le niveau du début de l’année quand le président américain annonçait que le pays connaissait le plus faible taux de chômage depuis la guerre.

La situation est inverse en France, où le nombre de demandeurs d’emploi n’a augmenté que d’environ 800 000 depuis le début de l’année, grâce aux mesures de chômage partiel. Le pays aurait même atteint un taux de chômage à la fin du 1er semestre de 7,1%, inférieur à celui observé à la fin de l’an dernier. Mais, et l’INSEE le reconnait, ces chiffres sont artificiels car ils découlent de la définition retenue qui exige que le demandeur d’emploi soit immédiatement disponible et procède de façon active à la recherche d’un emploi mais c’était  rendu impossible par le confinement pour de très nombreuses personnes. La France devrait donc connaître une brutale remontée du chômage dès la rentrée. Ces présentations différentes ne sont pas sans conséquences. Le pire semblant passé aux Etats-Unis, les ménages et les entreprises adopteront des comportements moins restrictifs, ce qui pourrait favoriser un redémarrage, alors que les publications à venir en France aggraveront l’inquiétude et encourageront encore plus les entreprises à geler leurs investissements et à procéder à des réductions d’effectifs et les ménages à constituer une épargne de précaution qui a déjà atteint un niveau record. A la fin du 1er trimestre, le taux d’épargne financière avait déjà atteint 10,6% du revenu disponible brut contre 4,4% en moyenne en 2019.

La France a en outre un double handicap. La part des services y est très importante et les mesures destinées à enrayer l’épidémie ont très lourdement pénalisé le secteur du tourisme et les annonces récentes sur une remontée du nombre de personnes infectées ne vont pas contribuer à relancer ce secteur. Ses entreprises industrielles se sont engagées depuis 20 ans dans une stratégie de délocalisation de grande ampleur. On a pu le constater quand il s’est agi de s’approvisionner en produits pharmaceutiques ou en équipements essentiels pour protéger la population ou accueillir les patients en milieu hospitalier. Alors que la consommation restait très inférieure à la normale et que les prix des produits fossiles chutaient, le déficit extérieur ne cessait de se creuser. Au mois de juin, il a atteint un niveau record de près de 8 milliards d’euros, situation certes aggravée par la crise qui a pesé sur les livraisons d’Airbus. La contribution du commerce extérieur à la croissance a donc été fortement négative au 2ème trimestre et a accru la récession de 2,3%. Une fois de plus les raisonnements suivant lesquels la hausse de la consommation provoquait l'accroissement du déficit ou la réduction du coût du travail améliorait la compétitivité des entreprises ont été invalidés.

La crise a eu peu d’impact sur l’inflation. Partout, sauf en Chine, elle est restée inférieure à 2%. Il n’y a pas eu davantage de pression déflationniste. Mais cela a incité les banques centrales à prolonger leur politique accommodante ou, comme aux Etats-Unis, après une longue période de croissance, à adopter des dispositions destinées à faire baisser les taux d’intérêt. Ceux-ci sont restés, en termes réels, c’est-à-dire après déduction de l’inflation à des niveaux négatifs ou nuls pour toutes les échéances jusqu’à au moins dix ans. Dans la zone euro, les écarts entre les pays se sont même resserrés, ce qui est favorable à ceux qui étaient les plus endettés ou considérés comme les plus fragiles, comme, à côté de la Grèce, l’Italie, la France et l’Espagne. Ainsi le spread entre l’OAT et le Bund, pour les maturités à 10 ans a retrouvé son niveau historiquement bas de 30 points de base, alors que le taux d’endettement de la France rapporté au PIB est proche du double de celui de son voisin d’Outre-Rhin. Cette situation permettra d'atténuer les conséquences de l'augmentation importante des déficits budgétaires dans les années à venir.

Elle n’a pas davantage provoqué de brutales fluctuations sur les marchés des changes, à la différence de toutes les crises précédentes. Le dollar s’est légèrement affaibli contre l’euro (7%) et le yuan s’est maintenu autour de 7 Yuans pour un dollar, malgré les tensions politiques et commerciales entre les deux pays. Le livre est restée stable vis-à-vis de l’euro (0.90). La monnaie européenne sort renforcée de cette épreuve puisque les divergences économiques entre les pays n’ont pas provoqué, comme cela avait été le cas dans le passé, des tensions monétaires qui auraient constitué un facteur aggravant. Les réponses à la crise de la BCE comme de l’Union Européenne, même si pour cette dernière un accord a été difficile à obtenir, ont prouvé que la situation de chaque Etat-membre serait meilleure que s’il avait dû agir seul.

Enfin les marchés financiers ont bien reflété les différences entre chaque pays, suivant que leur économie était plus ou moins affectée par l’épidémie et que ses autorités avaient plus ou moins bien géré la situation sanitaire. Selon ce critère, le grand vainqueur est sans nul doute la Chine. Les indices de la bourse de Shanghai sont en hausse depuis le début de l’année, en moyenne de 10% et l’indice de Shenzhen où sont cotées les sociétés à haute technologie, de 29%. A Hong Kong, en revanche, du fait de la crise politique majeure que traverse l’ancienne colonie britannique, l’indice Hang Seng est en baisse de 10% A Tokyo, l’indice Nikkei se retrouve à un niveau voisin de celui du début de l’année (-1,5%), comme le Dow Jones (-2%). Mais le Nasdaq, lui, bat tous ses records (+28%). Les investisseurs estiment que l’épidémie va entrainer une modification des comportements qui sera favorable aux géants que sont Amazone, Apple ou Microsoft.

Le paysage est bien différent en Europe, alors que la situation sanitaire est meilleure qu’aux Etats-Unis et que les différentes institutions publiques ont annoncé des mesures de soutien massives à l’économie. Les marchés en France, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni, ce dernier étant en outre confronté aux incertitudes liées au Brexit, ont chuté entre 15 et 20% depuis le début de l’année. Seule l’Allemagne a une performance moins désastreuse avec une baisse du DAX, si on enlève la prise en compte des dividendes d’environ 7 %.   

Malgré une gestion de l’épidémie qui a permis à la France de limiter significativement le nombre des décès, le pays apparait comme étant bien plus affecté sur le plan économique que la moyenne, qu’il s’agisse de la croissance, de l’emploi, des équilibres extérieurs ou des résultats de ses entreprises. En outre, les perspectives de redémarrage ne sont pas rassurantes tant la vague de suppressions d’emplois à venir semble importante. L’Etat a pourtant pris des mesures massives de soutien au plus fort de l’épidémie et se prépare à annoncer un vaste plan de relance. Mais pour que celui-ci soit convainquant aux yeux des agents économiques, il est essentiel qu’il soit précis, ciblé et qu’il ne cherche pas à atteindre plusieurs objectifs à la fois. En d’autres termes, il faut qu’enfin la communication laisse la place à l’action stratégique.