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Le blog d'Alain Boublil

 

Le modèle allemand sous pression

L’Allemagne a mis une quinzaine d’années à digérer sa réunification. Elle a certes bénéficié du concours de l’Europe mais le facteur déterminant a été  la stratégie suivie par ses entreprises consistant à transformer les anciens satellites politiques de l’ex-Union soviétique pour en faire les nouveaux satellites économiques de leur pays réunifié, tout en conservant le maximum de valeur ajoutée sur leur propre territoire. L’Allemagne n’est pas seulement devenue la première puissance économique de l’Union Européenne, position qu’elle partageait avec la France jusqu’alors puisque leurs poids respectifs  n’étaient pas très différents, elle est aussi devenue le pays le plus vertueux, ce qui a encore accru son influence. Ses résultats économiques sont devenus la référence et le « modèle allemand » l’exemple à suivre pour les autres membres de l’Union qui devaient donc accomplir des « réformes » s’en inspirant.

L’aspect le plus spectaculaire du modèle a été et est toujours, même si elle est aujourd’hui fragilisée comme on le verra, sa réussite industrielle. Elle a permis au pays de dégager chaque année des excédents commerciaux de plusieurs centaines de milliards d’euros, quand la France, par exemple connait un déficit qui n’a jamais été inférieur à 50 milliards depuis dix ans. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, ces succès ne sont pas liés à un « coût du travail » ou à une productivité exceptionnelle qui conférerait aux entreprises une compétitivité supérieure à celle de leurs concurrents, ou encore à l’euro qui profiterait à notre voisin mais à deux raisons bien ancrées dans son modèle social. A la différence des entreprises françaises, les groupes allemands ne se sont pas lancés dans des acquisitions coûteuses à l’étranger pour répondre aux défis de la mondialisation. Elles ont préféré adapter leurs produits à la demande des consommateurs dans chaque pays. Cela tient aussi au mode de recrutement de leurs dirigeants qui dans la plupart des cas avaient fait toute leur carrière dans l’entreprise. Ils étaient donc imprégnés de sa culture et sans « volonté de puissance ou « goût excessif du pouvoir » acquis lors de l’appartenance à un cabinet ministériel.

La seconde raison tient à la philosophie de la prospérité partagée. Cet équilibre entre l’intérêt à long terme de l’entreprise, la rémunération des actionnaires et la satisfaction des salariés est ancré dans le fonctionnement des grands groupes où les représentants des salariés siègent dans les instances dirigeantes. Il est aussi présent dans les entreprises familiales ce qui assure leur pérennité. Mais ces atouts ne suffisent plus et l’Allemagne est confrontée à un fort ralentissement de sa croissance. Après avoir frôlé la récession au 2ème semestre 2018 (-0,2% au troisième trimestre et 0 au quatrième), la prévision pour l’année 2019 se situe suivant les experts entre 0,5% et 0,6%, soit un rythme deux fois moins élevé que la France. Les autres indicateurs restent néanmoins en apparence bien meilleurs que la moyenne européenne avec depuis cinq ans un excédent budgétaire qui a atteint en moyenne 1% du PIB. L’endettement public se rapproche de l’objectif de 60% du PIB fixé par le traité de Maastricht alors que la France est proche de 100% et que l’Italie dépasse 120%. Le taux de chômage, suivant la définition adoptée se situe à 3% ou à 5%, soit deux fois plus bas qu’en France. L’écart préoccupant pour l’Allemagne des profils démographiques n’en est pas la seule raison.

Comment expliquer alors le mécontentement du peuple allemand qui inflige, à chaque élection un cinglants revers à Angela Merkel et la dégringolade du SPD qui n’a pas dirigé le pays depuis quinze ans et qui a perdu la moitié de ses électeurs en 20 ans ?  Si l’économie allemande allait si bien, on peut se demander pourquoi ceux qui ont été à l’origine de sa réussite sont sanctionnés. En réalité, la situation de quasi plein emploi de l’Allemagne est largement apparente et la libéralisation du marché du travail dont on voudrait s’inspirer en France n’a pas eu les effets positifs escomptés. Contrairement à ce qu’on pense dans notre pays, leur objet n’était pas de rendre le marché du travail plus efficace mais de stopper le regain d’émigration entre l’Est et l’Ouest apparu à partir de 2002. Le SPD, alors au pouvoir  craignait de voir arriver dans les länder où il avait la majorité des populations qui lui étaient hostiles.

La création des fameux « mini-jobs » et le durcissement de l’indemnisation du chômage ont été à l’origine d’un accroissement de la pauvreté et des inégalités. L’absence de services publics dédiés à l’enfance a contraint les femmes à accepter des emplois à temps partiel dont la part, dans l’emploi total est très supérieure à ce qu’on connait en France. Cela a été aussi un facteur déterminant dans la baisse de la natalité. L’inquiétude face au vieillissement de la population explique l’obsession du gouvernement sur l’endettement public mais débouche sur une politique sociale qui a les effets inverses en aggravant la situation démographique et sur une dégradation des infrastructures. Voilà plus de dix ans que l’on attend la mise en service du nouvel aéroport de Berlin. La politique énergétique a abouti à un renchérissement des factures d’électricité sans contribuer à une réelle réduction des émissions de CO2 qui sont par habitant deux fois plus élevées qu’en France.

Ces fractures sociales n’expliquent pas à elles seules l’affaiblissement de l’économie allemande marquée depuis le début de l’année par les mauvais chiffres de la production industrielle et des carnets de commandes. Le monde est confronté à un retournement du cycle productif après l’expansion de ces dernières années stimulée notamment par la Chine. Ce retournement est amplifié par l’apparition des tensions commerciales provoquées par l’administration américaine. Or la force de l’industrie allemande réside dans sa capacité à satisfaire le marché mondial des biens d’équipements et des véhicules automobiles. Cette situation, même passagère, pèse sur les programmes d’investissement et sur les secteurs industriels essentiels pour la croissance.       

Entre 2005 et 2017, le nombre de véhicules assemblés est passé de 4,9 millions à 5,7 millions  alors qu’en France, du fait surtout de Renault, il chutait de 3 millions à 1,7 millions. Mais la tendance outre-Rhin s’est retournée et la production est retombée ces douze derniers mois à 4,8 millions. L’instauration par Bruxelles de nouvelles normes d’émission de CO2 à partir de 2020 risque d’aggraver la situation des constructeurs et leurs investissements car si les véhicules vendus dépassent un certain seuil d’émission, ils devront payer de lourdes amendes. Le problème, c’est que les entreprises ne sont pas responsables des choix de leurs clients qui  aujourd’hui plébiscitent les SUV et ne prêtent aucun intérêt (2% des immatriculations) aux véhicules électriques. Les annonces de mise sur le marché de nombreux modèles de ce type, qui témoignent de la volonté des constructeurs allemands d’aller dans le sens souhaité par Bruxelles, ne garantissent pas que les automobilistes vont modifier leurs choix dans l’avenir. On prévoit dès 2021 des amendes supérieures à 10 milliards principalement payées par les constructeurs allemands, ce qui affaiblira un secteur industriel essentiel, déjà fragilisé par les menaces de guerre commerciale.

Ce qui a fait le succès de l’Allemagne par le passé, son pacte social et sa réussite industrielle est aujourd’hui menacé. Il reste au pays des marges de manœuvre, notamment budgétaires mais il a résisté jusqu’à présent aux suggestions de ses voisins de les utiliser. Si le pays persiste dans cette voie, il en sera la première victime et c’est une mauvaise nouvelle pour tout le monde en Europe.