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Le blog d'Alain Boublil

 

General Electric et Alstom (suite)

L’annonce, au lendemain des élections européennes d’un millier de suppressions d’emplois à Belfort a suscité l’indignation et de vives critiques à l’égard du gouvernement. Lors de la cession à General Electric des activités liés à l’énergie d’Alstom approuvée par l’Etat en 2015, il avait été prévu, au contraire des créations d’emplois à hauteur d’un millier. Incapable de tenir cet engagement, le groupe américain s’est vu réclamer par l’Etat 50 millions d’euros de pénalités. Mais les réductions d’effectifs annoncées ne concernent pas les activités acquises il y a quatre ans. Elles résultent des erreurs stratégiques majeures faites il y a 25 ans par Alsthom, qui comportait alors la lettre « h » dans son nom, et des incohérences observées en Europe dans la politique de l’énergie. Si un procès doit être fait à l’Etat, celui-ci doit tenir compte des origines de la crise que connait aujourd’hui le secteur des turbines à gaz, activité concernée par les suppressions d’emplois et de son incapacité à faire adopter par Bruxelles les mesures qui permettront aux engagements pris lors de l’Accord de Paris d’être respectées.

Alsthom n’a jamais maîtrisé la conception et la fabrication des turbines à gaz. Le marché en France était marginal, le pays s’étant lancé dans un vaste programme d’investissement pour construire des barrages et bien sûr, des centrales nucléaires. Pressentant qu’un nouveau marché pouvait s’ouvrir, durant les années 80, Alsthom se rapprocha alors de General Electric et acquis les licences nécessaires pour produire et pour vendre en Europe et sur certains marchés asiatiques ces équipements. Le groupe américain prit alors une participation minoritaire dans la société nouvellement constituée. Son activité se situait principalement sur le site de Belfort, celui-là même qui est en crise aujourd’hui. Alsthom commit sa première erreur au début des années 90 en fusionnant avec la General Electric anglaise, concurrent historique de GE. Le nouvel ensemble ne cessa de perturber le fonctionnement de l’accord de licence au point que GE et Alstom, qui avait entre-temps perdu son « h » durent divorcer. GE devenait alors le seul propriétaire du site de Belfort. Pendant les vingt-cinq années qui suivirent, chaque fois que la France exportait des turbines à gaz, ce dont nous étions très fiers,  c’était celles fabriquées par GE à Belfort.

Alstom commit alors une nouvelle erreur. Prenant conscience que le groupe ne pouvait rester absent d’un tel marché, il acquit l’activité correspondante de son concurrent suisse ABB dont les principales unités de production et les centres de recherche étaient en Suisse et en Allemagne. Malheureusement l’opération se révélera désastreuse sur le plan financier. Les modèles livrés ne tenaient pas leurs promesses et les clients réclamèrent des pénalités. Cela allait conduire Alstom au bord de la faillite. L’Etat, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, prendra une participation minoritaire, ce qui rassura les banques  et permit le rétablissement de l’entreprise. Une fois celle-ci redressée, la participation de l’Etat fut revendue à Bouygues avec une réelle plus-value.

Malheureusement l’embellie fut de courte durée et les dirigeants, soutenus par leur principal actionnaire, vendirent l’ensemble de ses métiers liés à la réalisation et à la maintenance des outils de production d’électricité à GE.  Après cette acquisition le groupe américain disposait donc d’un double outil de production de turbines à gaz, ses installations de Belfort et celles acquises par Alstom provenant d’ABB. La première question qui mériterait d’être posée est de savoir si des réductions d’effectifs sont aussi envisagées pour les sites de production situés en Allemagne et en Suisse et si General Electric a choisi ou non de les privilégier par rapport à leur outil de Belfort.

La raison invoquée pour ces réductions d’effectifs est la crise que subirait dans le monde  la construction des centrales électriques au gaz. C’est pour le moins paradoxal. Ce secteur comme toutes les activités de production de biens d’équipement est par nature cyclique. Mais ses perspectives sont plutôt encourageantes. Aux Etats-Unis et en Chine, on  observe une forte croissance de la part du gaz naturel dans le « mix électrique ». C’est même ce qui a permis au premier de connaître depuis cinq ans une baisse de ses émissions de CO2 et à la Chine de stabiliser les siennes. Une centrale au gaz naturel émet beaucoup moins de dioxyde de carbone qu’une centrale à charbon et très peu de particules fines, si néfastes pour la santé des voisins comme de ceux qui vivent plus loin quand le vent les transporte. La pression internationale en faveur d’une réduction des émissions de CO2 comme le bon sens économique, puisque les ressources en gaz naturel sont considérables, a entrainé et entrainera en Asie et dans d’autres pays émergents des investissements importants.  Malheureusement et malgré les déclarations des dirigeants politiques en faveur du climat, on n’observe rien de tel en Europe, marché qui permettrait de sauver les emplois à Belfort.  Deux émetteurs de CO2 parmi les plus importants, l’Allemagne et la Pologne, continuent à exploiter leurs mines de charbon et de lignite et bruler ces combustibles dans leurs centrales électriques alors qu’ils devraient progressivement les fermer et les remplacer par des centrales au gaz naturel pour respecter les engagements qu’ils ont pris.

Un mécanisme avait été instauré par Bruxelles pour inciter les entreprises, au premier rang desquelles les producteurs d’électricité, à renoncer aux techniques les plus polluantes. On distribuait des quotas d’émission de CO2. Les entreprises qui avaient un faible niveau d’émission revendaient leur surplus à ceux qui en avaient besoin pour respecter les normes imposées. Malheureusement les allocations ont été beaucoup trop généreuses. La valeur des quotas s’est effondré ce qui a fait perdre tout aspect incitatif au dispositif. Au lieu de faire des efforts pour réduire leurs émissions, les entreprises pouvaient acquérir les quotas revendus à bas prix par celles qui étaient les plus vertueuses. Même si la valeur des quotas s’est redressée depuis quelques mois, durant toute cette période, la France s’est montrée bien trop tolérante vis-à-vis de Berlin ou de Varsovie qui s’opposaient activement à une réduction des allocations destinée à faire remonter les cours et à inciter les gros utilisateurs de charbon à changer d’énergie fossile.

Cela aurait atténué les difficultés des producteurs d’équipements pour les centrales électriques et surtout cela aurait permis la réalisation des objectifs en matière d’environnement. On peut ajouter que les discours enflammés en Europe, et surtout en Allemagne où la Chancelière vient de fixer comme objectif la « neutralité carbone » pour 2050, sur la fin des énergies fossiles, ne contribuent pas à garantir l’emploi chez les fabricants de turbines, à Belfort comme ailleurs en Europe. Les évolutions observées aux Etats-Unis et en Chine montrent que ce discours n’a aucune crédibilité et ne sert qu’à protéger l’utilisation dommageable pour l’environnement comme pour la santé, du charbon en Europe. Le fait de tenir un discours aussi radical permet d’éviter les questions qui fâchent. Le silence de la France, pourtant si engagée dans ce combat parfaitement justifié contre le réchauffement climatique n’en est que plus incompréhensible.

La crise de Belfort résulte en réalité des erreurs passées d’une entreprise et des défaillances de l’Etat en matière de politique industrielle. On doit y ajouter ses contradictions dans le domaine de la transition énergétique. Comment s’étonner de la disparition d’un outil industriel majeur, quand on ne fait rien pour lui permettre d’avoir des débouchés et surtout quand on proclame haut et fort qu’à l’avenir il n’aura plus de clients?