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Le blog d'Alain Boublil

 

Le grand retour de l'Etat

Les sujets abordés  depuis le début de la campagne pour les élections européennes comme les mouvements sociaux montrent qu’un réel tournant est en train de s’opérer dans les opinions publiques. Depuis des décennies, et pas seulement dans le monde anglo-saxon, la tendance au désengagement de l’Etat faisait l’objet d’un large consensus populaire. On assiste aujourd’hui à un retournement qui n’est pas étranger à l’essor, dans le monde occidental, du populisme. Le rétablissement des frontières et la stabilisation sinon l’arrêt de l’immigration sont des missions d’essence régalienne. Les procès de la mondialisation et du multilatéralisme sont instruits par ceux qui veulent que l’Etat retrouve le pouvoir de négocier les conditions dans lequel s’effectuent les échanges internationaux. L’hostilité que suscitent l’Europe et l’euro résulte de la conviction que chaque Etat agirait mieux dans l’intérêt de sa population s’il retrouvait les pouvoirs qu’il a abandonné au profit des institutions communautaires.  

La crise de 2007-2008 et les difficultés de plusieurs Etats qui ont mis en péril l’euro ont laissé de lourdes traces. Les pays n’ont pas retrouvé le rythme de croissance et d’élévation du niveau de vie et de richesse qu’ils connaissaient auparavant. Beaucoup estiment que c’est parce que l’Etat s’était privé des moyens d’agir. Plusieurs exemples étrangers militent dans le sens d’un retour en arrière. Aux Etats-Unis, pays pourtant qui depuis longtemps défendait les thèses les plus libérales, le slogan de Donald Trump, « America First » s’est traduit par la restauration d’un Etat omniprésent qui subventionne à l’intérieur et qui dresse des barrières vis-à-vis de l’exterieur. Les résultats économiques, même s’ils comportent une part de mirage, sont meilleurs qu’en Europe. En Chine, malgré le ralentissement de la croissance, la réussite spectaculaire de ces trois dernières décennies est aussi attribuée à l’action publique, directement à travers les entreprises publiques ou indirectement par le biais de financements ou de réglementations strictes destinées à orienter les choix des agents économiques dans la direction fixée par l’Etat.

L’évolution profonde et irréversible du monde vers plus d’échanges de biens, de services, de capitaux et d’informations a bouleversé les modalités d’intervention de l’Etat sur l’économie. Pendant longtemps, on avait cru que ce n’était pas son rôle, que les mécanismes du marché assuraient en toute circonstance l’équilibre, en particulier pour l’emploi. Il y a presque un siècle, Keynes, face à la persistance du chômage, suggéra qu’une augmentation de l’investissement via la dépense publique permettait d’y remédier et de rétablir les équilibres ce que le marché était impuissant à accomplir. Ce n’était pas le remède employé qui comptait, et contrairement à ce que l’on lit souvent, le point le plus important dans la pensée keynésienne. C’était le principe posé. Ainsi était né le concept de politique économique. Les Etats pouvaient corriger les imperfections du marché. Ce concept a été ensuite enrichi avec l’apparition de l’outil monétaire employé pour lutter contre la surchauffe économique génératrice d’inflation. Le relèvement des taux d’intérêt fut alors utilisé pour freiner l’investissement et la consommation et rétablir la stabilité des prix.

Le premier outil est devenu difficile à mettre en oeuvre à cause de l’endettement élevé des Etats et des inquiétudes démographiques. Face à une population déclinante, qui serait chargé de rembourser les dettes ? Le second est devenu largement sans objet. L’inflation a quasiment disparu dans les pays développés du fait de l’intensité de la concurrence intérieur et extérieure L’innovation, pour de nombreuses catégories de biens et de services a aussi permis des gains de productivité et des baisses de coûts. En revanche, la manipulation de l’outil monétaire est devenue la principale cause de fluctuation des marchés financiers et celui-ci doit être utilisé désormais avec la plus grande prudence. La Banque Centrale Européenne l’a compris. En maintenant ses taux à un niveau aussi bas, elle allège la charge des dettes publiques et permet implicitement aux Etats de disposer de marges budgétaires pour soutenir l’activité. Encore faut-il que ceux-ci les emploient de façon appropriée. L’Etat doit donc devenir un Etat-stratège, et non plus seulement un Etat-dépensier ou un Etat- régulateur.

Il doit d’abord définir sa stratégie financière. La gestion de la dette publique doit tirer le maximum d’avantages du très faible niveau des taux d’intérêt en allongeant la maturité des titres qu’il émet pour profiter le plus longtemps possible de la politique actuelle. Il doit gérer ses participations publiques dans le même esprit. Il est absurde de vendre des actions qui rapportent de copieux dividendes pour obtenir une réduction infinitésimale de la dette publique quand les intérêts économisés sont en moyenne cinq fois plus faibles que les dividendes auxquels il a renoncés. En revanche une quantité considérable de biens immobiliers sont sous-utilisés et coûteux à entretenir ou à rénover. Leur vente pourrait constituer des ressources au lieu d’engendrer des charges.

L’Etat doit élaborer une stratégie industrielle s’appuyant sur une politique de l’emploi industriel. La politique de l’offre serait bien plus efficace si elle était ciblée. Les baisses massives de charges n’ont pas les mêmes conséquences pour la grande distribution ou la restauration que dans la recherche, les nouvelles technologies ou les outils de production industrielle. Jusqu’à présent cette politique n’a rien donné. Le déficit de la France en biens manufacturés est une anomalie en Europe. La réduction du taux de chômage a principalement résulté de l’explosion du nombre d’emplois précaires, avec des contrats de travail d’une durée inférieure à un mois. Mais on ne saurait garantir la qualité d’une production et donc la satisfaction des clients avec une main d’œuvre aussi volatile. Les conséquences financières de cette politique ont en outre été lourdes pour le pouvoir d’achat donc pour la croissance.

Il doit enfin adopter une stratégie dans le domaine de l’environnement. Il est commode de faire de belles déclarations et de prendre des engagements à très long terme, puisque ceux qui les annoncent ne seront plus là depuis longtemps pour être jugés sur les résultats. En matière stratégique, on ne peut pas non plus poursuivre deux objectifs à la fois. Chaque mesure incitative doit résulter d’un choix clair, de la définition d’une priorité. Si l’on veut aboutir à une meilleure isolation des logements et une réduction significative de l’utilisation des énergies fossiles, il faut que les systèmes d’incitation soient efficaces et les financements faciles à obtenir. Soumettre les aides à des conditions de ressources va à l’encontre de ces objectifs puisque ce sont ceux qui disposent de moyens importants qui vivent dans des logements vastes et qui consomment proportionnellement plus d’énergie. Il ne faut pas non plus être naïf. Si Bercy insiste autant pour instaurer des plafonds de ressources dans ce domaine comme par exemple pour le remplacement des véhicules les plus polluants, c’est bien pour que le nombre des bénéficiaires soit le plus faible possible et que ces mesures coûtent moins cher à l’Etat. Les objectifs affichés ne seront donc jamais atteints et la crédibilité de l’action publique, tant vantée dans des discours enflammés, sera sévèrement mise en cause.

Tant que l’Etat, en France, ne saura pas devenir un Etat-stratège, il sera critiqué, parfois violemment, et il favorisera la montée du populisme. Le défi est le même pour l’Europe. Tant que les Etats mettront sur le dos de Bruxelles la responsabilité de leurs insuffisances, le mécontentement des électeurs grandira. L’Allemagne a une responsabilité particulière car elle  ne peut pas à la fois profiter des consommateurs européens quand ils achètent ses produits et imposer à leurs Etats des politiques restrictives qui affaiblissent l’adhésion à l’Europe.