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Le blog d'Alain Boublil

 

L'économie américaine : miracle ou mirage?

La publication de la première estimation du PIB américain pour le 1er trimestre 2019 a donné lieu à des commentaires enthousiastes, tout comme les derniers chiffres du chômage, les meilleurs depuis 49 ans. Avec une croissance de 0,8%, soit un rythme annuel supérieur à 3%, l’économie américaine a infirmé les analyses qui prévoyaient pour cette période 0,5%, du fait en partie du « shutdown ». L’arrêt de l’activité administrative du pays provoqué par le désaccord entre la Maison Blanche et le Congrès sur le relèvement du plafond de la dette publique avait entrainé la mise au chômage technique d’une partie de l’administration. Cela aurait dû peser sur l’économie. Il n’en a rien été.  Le taux de chômage a baissé de 3,8 à 3,6% au mois d’avril ce qui est tout aussi révélateur de l’apparente bonne santé de l’économie américaine. Au plus fort de la récession de 2009, il avait atteint 10%.

 Le cycle de croissance dure depuis dix ans, ce qui est exceptionnellement long. La plupart  des économistes en prédisaient donc la fin prochaine et l’entrée du pays en récession. Ils avaient été entendus par les marchés financiers qui avaient chuté à la fin de l’an dernier. Le mouvement avait été aggravé par la perspective d’une guerre commerciale avec la Chine. L’administration américaine avait alors corrigé son attitude  et un accord semblait imminent jusqu’aux dernières déclarations belliqueuses de Donald Trump, qui viennent de provoquer un vif repli des bourses en Asie et en Europe. A un an et demi de l’élection, il n’est pourtant pas sûr que le président des Etats-Unis prenne le risque d’un krach provoqué par un échec de ces négociations. Auparavant, Wall Street avait retrouvé les niveaux records atteints en 2018 à l’automne. Le Nasdaq, qui comporte des entreprises ayant une capitalisation boursière sans rapport avec leur capacité bénéficiaire, ce qui aurait du inquiéter, avait également retrouvé des sommets historiques à la fin de la semaine dernière. Mais ces hausses proviennent davantage des mesures fiscales adoptées par l’administration Trump que d’une amélioration des performances opérationnelles des entreprises. Elles sont donc en partie artificielles.

La croissance américaine a été stimulée depuis dix ans par la mise en exploitation des gisements de pétrole et de gaz de schiste. Les Etats-Unis sont redevenus l’un des tous premiers producteurs mondiaux d’or noir et ont commencé à exporter non seulement du pétrole mais aussi du gaz naturel. Cette tendance est durable tant ces nouvelles techniques d’extraction semblent efficaces et compétitives. La bataille que se livrent Occidental Petroleum, soutenu par Warren Buffet et Chevron pour prendre le contrôle d’Anadarko en témoigne avec une surenchère du premier à hauteur de 38 milliards de dollars. Malgré la baisse des importations de pétrole, le déficit commercial américain en 2018 a atteint un record avec 620 milliards de dollars. Cela montre que la politique menée n’a pas encore  obtenu les résultats escomptés. Les entreprises américaines n’ont pas rapatrié les activités qu’elles avaient délocalisées et les citoyens, n’ont pas suivi le mot d’ordre « America First » de leur président dans leur mode de consommation.

Quant à la situation de l’emploi, qui est évidemment bien meilleure que dans la plupart des pays européens, elle comporte un double biais. Il y a, comme en Europe, un niveau élevé d’emplois précaires ou à temps partiel. Mais cela n’est pas nouveau. En revanche, le taux d’activité reste en dessous de ses niveaux passés, ce qui relativise les bons chiffres du taux de chômage. Nombre d’Américains, après la récession de 2008-2009, ne sont pas revenus sur le marché du travail. L’existence d’une vaste main d’œuvre encore disponible explique bien pourquoi on ne note pas encore de véritable tension sur les salaires, même si ceux-ci viennent d’augmenter de 3,5%. Mais on est loin d’avoir effacé les pertes de pouvoir d’achat observées depuis dix ans. Le niveau du salaire minimum est, lui, inchangé autour de 7,30$ soit 6,50€. L’inflation est donc restée modérée (1,6% sur un an) et la Réserve Fédérale a renoncé à relever davantage ses taux d’intérêt.          

Quand on analyse de près les chiffres du 1er trimestre 2019, on constate que la croissance résulte d’abord d’une forte augmentation des stocks. Les entreprises, inquiètes d’un possible échec des discussions avec Pékin, ont pris le maximum de précaution en cas de relèvement massif des droits de douane. Mais les stocks se réduiront tôt ou tard et la croissance a donc bien peu de chance de se maintenir à un tel rythme. La poursuite du cycle actuel résulte aussi de la politique budgétaire de l’administration Trump. Les baisses massives d’impôt ont creusé le déficit qui a atteint 4,5% du PIB en 2018 et devrait s’accroître à nouveau en 2019. L’endettement public total dépasse  les 100% du PIB et il est largement financé par l’étranger en raison de l’insuffisance de l’épargne des ménages américains. Faut-il pour autant faire un parallèle avec la crise de 2007 qui fut une crise de la dette privée et qui mit en péril l’ensemble du système bancaire mondial et provoqua la crise que l’on sait ? Non, car la situation est différente.  Aujourd’hui, c’est la dette publique américaine qui est en cause. Ses détenteurs sont surtout des Etats à travers leurs banques centrales avec au premier rang le Japon et la Chine. Ils n’ont aucun intérêt à déstabiliser leur principal débiteur car ils en seraient les premières victimes.

La politique monétaire américaine va donc jouer un rôle essentiel dans les mois qui viennent. Traditionnellement, pour combler un déficit extérieur, les pays dévaluaient, tout en adoptant des politiques monétaires restrictives. Mais avec l’internationalisation des marchés financiers et les énormes masses de liquidités disponibles, tout relèvement de taux d’intérêt provoque une hausse de la devise du pays concerné et va à l’encontre de l’objectif de réduction des déficits extérieurs. Après les hausses de taux opérées en 2018, le dollar a retrouvé son plus haut niveau depuis deux ans. La Réserve Fédérale est donc confrontée à un délicat dilemme : si elle relève encore ses taux pour faciliter un atterrissage en douceur de l’économie américaine et éviter une récession brutale, elle renchérit le financement de la dette publique et elle fait monter le dollar, ce qui pénalise les exportations. Elle contribue ainsi à l’aggravation du double déficit, intérieur et extérieur. Ce sont ces conséquences qui ont suscité les critiques de la Maison Blanche à l'encontre les hausses passées. Mais si elle renonce à toute action restrictive, la banque centrale américaine prend un autre risque, celui d’encourager la création d’une bulle spéculative sur les marchés financiers dont l’éclatement aurait de lourdes conséquences sur l’économie réelle, tout en n’apportant aucun remède aux déséquilibres actuels. Les Etats-Unis sont donc à la recherche des outils leur permettant de gérer au mieux les déséquilibres auxquels le pays est confronté.

La bonne santé apparente de l’économie américaine est trompeuse car elle va de pair avec un endettement public élevé, qui n’a pas comme contrepartie la création de richesses réelles comme la réalisation d’infrastructures. Les baisses d’impôt ont surtout profité aux entreprises qui les ont ensuite répercutées à leurs actionnaires au travers de dividendes et de rachats d’actions massifs. Ces évolutions s’accompagnent d’un endettement extérieur préoccupant. C’est pour cela que ce que d’aucuns qualifient de miracle contient une bonne part de mirage.