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Le blog d'Alain Boublil

 

L'inquiétante Allemagne

On connait la métaphore : le football est un sport qui se joue entre deux équipes et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne. Elle faisait suite à la fameuse défaite de l’équipe de France en 1982 à Séville en demi-finale de la Coupe du monde. Elle a été ensuite abondamment employée pour comparer les performances économiques respectives des deux pays mais elle est  bien moins d’actualité aujourd’hui. Lors de la dernière édition, l’Allemagne a connu une cuisante élimination après avoir été battue par la Corée du Sud au terme de la phase préliminaire et la France a remporté le titre. Sur le plan économique, si la France ne brille pas par ses succès, son voisin est lui aussi confronté à des difficultés qui mettent en doute la supériorité du « modèle allemand » et qui inquiètent sur ses capacités d’adaptation à long terme aux nouvelles donnes de la mondialisation. En 2019, sa croissance, suivant les prévisions officielles et celles des instituts privés, comme l’IFO, devrait tomber autour de 0,7%, soit la moitié du taux escompté pour la France. L’Allemagne ne serait donc plus autant que par le passé un modèle de réussite économique. On aurait tort de s’en réjouir car la bonne santé de l’économie allemande est essentielle à l’équilibre de l’Europe et à l’influence du continent dans les discussions internationales actuelles, avec les Etats-Unis comme avec la Chine.

Jusqu’à présent, ce qui avait fait la force du pays, c’était l’accumulation de ses excédents. Les comptes publics ont un solde positif depuis trois ans alors que la France a peiné pour revenir en dessous de 3% de déficit en 2017 et 2018. Elle dépassera à nouveau ce seuil en 2019. La balance commerciale de la France l’an passé a connu un déficit d’environ 60 milliards quand l’excédent de l’Allemagne était supérieur à 220 milliards, ce qui constitue un des arguments favoris de Donald Trump contre l’Europe. La puissance de l’industrie allemande, qui est à l’origine de cette réussite internationale ne s’est pas faite en un jour. Durant tout le XIXème siècle, en même temps que se construisait la nation forte et unie que nous connaissons aujourd’hui et que la population triplait pour atteindre près de 60 millions d’habitants, les ressources du pays étaient employées à constituer un puissant outil industriel, celui-là même que Paul Valéry décrira en 1897 dans « La conquête méthodique ». Pendant ce temps-là, la France consacrait ses ressources à la colonisation, privilégiant son rayonnement politique au détriment de sa puissance économique ou pensant que les deux allaient de pair, ce qui se révélera être une profonde erreur.

Le parallèle est tentant avec les stratégies différentes adoptées par les entreprises des deux pays face à la mondialisation. Les groupes français procédèrent à des acquisitions tout azimut souvent financées par endettement alors que les firmes allemandes construisirent des chaines d’approvisionnement avec l’étranger pour abaisser leurs coûts, tout en gardant le maximum de valeur ajoutée et donc d’emplois sur leur territoire. Les positions extérieures nettes des deux pays traduisent bien cette différence : débitrice à hauteur de 34% du PIB en France, elle est créditrice de 44% du PIB en Allemagne. Les conséquences sur l’emploi ne sont pas non plus négligeables ce qui explique en partie l’écart entre les taux de chômage, 5% en Allemagne contre près de 9% en France. Le nombre de salariés des filiales des groupes français à l’étranger (six millions) est supérieur à celui des implantations des groupes allemands (cinq millions) alors que la taille de l’économie allemande est largement supérieure à celle de l’économie française.

Le redressement des comptes publics allemands après les lourds déficits causés par le financement de la réunification est tout aussi spectaculaire mais pas forcément très sain. Il s’est fait au détriment de la politique familiale, dont la faiblesse n’est pas sans lien avec la crise démographique que traverse le pays. Les infrastructures sont vétustes et il faudra bien y remédier. Les dépenses militaires sont très inférieures en pourcentage du PIB à celles de la France. Le niveau élevé de l’emploi s’explique aussi par la proportion importante de salariés en situation précaire ou à temps partiel, ce qui provoque de profondes inégalités et pèse sur la consommation et la croissance de la demande intérieure. Pour compenser ce déficit démographique, le gouvernement a fait appel à l’immigration mais cela a suscité la montée de mouvements populistes et affaibli les formations politiques traditionnelles. Leurs politiques successives avaient été à l’origine de la prospérité mais celle-ci devient de moins en moins partagée ce qui, à terme, fait peser des doutes sur sa persistance.    

La prédominance de quelques secteurs, comme l’automobile ou l’industrie mécanique, et leurs succès spectaculaires sont à l’origine des excédents commerciaux. Mais elle a un revers : l’insuffisante diversification de l’économie allemande. On compare les poids respectifs de l’industrie de nos deux pays pour dénoncer la « désindustrialisation » de la France. Mais on pourrait aussi montrer, ce qui commence à être fait Outre-Rhin, son mauvais côté, à savoir la faiblesse du pays dans les services et la fragilité de son système bancaire. L’une des raisons du décrochage de la croissance allemande tient précisément au secteur automobile, frappé par un vaste scandale, le « dieselgate » dont il a peine à se remettre, par le durcissement des normes imposées par Bruxelles et par la montée en puissance de la concurrence chinoise. Ces deux facteurs ont peu de chance de s’inverser dans l’avenir.  

L’accumulation des excédents a aussi un effet dépressif à long terme chez ses partenaires, ce qui pèse sur leur croissance. Comme ceux-ci sont majoritairement membres de la zone euro, cela conforte la Banque Centrale Européenne dans son choix de maintenir des taux d’intérêt très bas voire négatifs. Cela pénalisera encore davantage les mécanismes de retraite qui comportent une large part de capitalisation, alors que du fait du vieillissement de la population, ces systèmes seront de plus en plus sollicités. En outre, dans les actifs accumulés figurent à un niveau élevé des créances sur des pays ou des agents économiques étrangers affectés par cet environnement dépressif. Ce risque, à la fin, sera supporté par les épargnants ou les futurs retraités et fragilisera le système bancaire allemand, déjà confronté aux conséquences sur ses marges du faible niveau des taux d’intérêt. Le projet de fusion entre la Deutsche Bank et la Commerzbank résulte de l’incapacité des deux premières banques du pays à se construire un avenir indépendant. La somme de leurs capitalisations boursières (25,2 milliards) est à peine supérieure à celle de la troisième banque française, la Société générale (22,6 milliards). Le peu de confiance que les marchés financiers accordent  donc aux banques allemandes est un signe de plus contredisant l’opinion très positive qu'on réservait jusqu'à présent en France à l’économie de notre principal partenaire.              

La comparaison incessante et toujours en défaveur de la France qui est faite entre les deux pays met en lumière les faiblesses de notre économie. Elles résultent autant de choix politiques inappropriés que de stratégies d’entreprises inadaptées qui ont pesé sur l’emploi et sur nos échanges extérieurs sans produire des résultats concluants. Mais l’admiration unanime et sans nuances que suscite notre voisin est excessive. La dernière crise qui frappa l’Europe est venue des pays du Sud. Si aucune inflexion n’est apportée, la prochaine crise pourrait bien venir du plus important des pays du Nord, l'Allemagne.