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Le blog d'Alain Boublil

 

Les vieilles politiques économiques face au Nouveau Monde

Le monde a plus changé au cours des 25 dernières années que durant le demi-siècle qui l’a précédé. Une vague extraordinaire d’innovations dont personne n’avait prévu le succès est intervenue depuis la circulation de l’information au moyen d’outils domestiques accompagnant la vie quotidienne jusqu’au pétrole et au gaz de schiste qui ont repoussé de plusieurs siècles les inquiétudes sur d’éventuelles pénuries. Il y a eu aussi un bouleversement du contexte géopolitique avec la fin de la guerre froide symbolisée par la chute du mur de Berlin,  le renforcement du projet européen et le décollage de l’économie chinoise. Les Etats n’ont eu d’autre choix pour répondre à ces défis que d’ouvrir leurs frontières aux personnes, aux biens, aux services et aux flux financiers. Comment maintenir des barrières quand  l’information circule librement dans le monde entier et quand la baisse des coûts de transport offre à chacun la possibilité de se déplacer ? Comment s’opposer aux mouvements de capitaux quand des entreprises étendent leur activité sur toute la planète ? Pourquoi, enfin, interdire aux consommateurs de profiter d’une vaste variété de produits et de services à des prix accessibles grâce à la concurrence ? C’est ce que l’on a appelé la mondialisation.

Parallèlement, les sociétés changeaient en profondeur. L’aspiration des femmes à avoir une vie professionnelle de nature à assurer leur épanouissement était progressivement reconnue. Les progrès technologiques transformaient la nature et la quantité de travail nécessaires pour répondre aux nouveaux besoins. Les préoccupations relatives à l’environnement surgissaient à la suite des inquiétudes provoquées par les lourdes atteintes portées au milieu naturel, à la qualité de l’air, de l’eau et au climat. L’impact de ces profondes mutations était amplifié par les nouveaux moyens de communication, les réseaux sociaux et la multiplication des plates-formes et des chaînes d’information.

Mais pendant ce temps là, la seule chose qui ne changeait pas, c’était le raisonnement économique et les outils supposés être à la disposition des Etats. On continuait d’opposer les recettes keynésiennes conçues dans les années Trente, basées sur le soutien de la demande intérieure quand celle-ci ralentissait et le chômage s'accroissait, à la politique monétaire, inspirée par les économistes de l’école de Chicago dans les années soixante, pour qui c’était l’évolution de l’offre de monnaie qui était l’outil approprié. Il revenait alors aux banques centrales d’agir par le biais des taux d’intérêt et de l’évolution de la taille de leur bilan.

Les résultats n’ont pas été concluants. L’accroissement des inégalités a fragilisé l’équilibre politique de nombreux pays. La réglementation insuffisante des marchés financiers a provoqué en 2007-2008 une crise financière majeure. Partie des Etats-Unis elle s’est propagé sur tout le monde occidental. Le pays constitue toujours une menace avec des déficits extérieur et intérieur massifs qu’il ne finance que grâce au statut particulier du dollar. L’Europe traverse une crise existentielle qui ne se limite pas à la sortie du Royaume-Uni. L’adhésion des populations au projet dans plusieurs pays fondateurs dont l’Italie est remise en question. L’attente de résultats était de plus en plus vive alors que les Etats étaient privés progressivement des instruments traditionnels de la politique économique. L’indépendance  de la Banque Centrale Européenne pour mener la politique monétaire était garantie par les traités. La politique budgétaire était sévèrement encadrée par les mêmes traités avec des règles uniformes pour chaque pays, malgré leurs différences structurelles, et les interventions directes sur les entreprises étaient limitées par la prohibition des aides d’Etats.

La transformation de l’économie mondiale a eu deux conséquences en France : la disparition de l’inflation et un enrichissement général mais insuffisamment partagé. L’arsenal de moyens affectés à la lutte contre l’inflation est devenu sans objet au point que les banques centrales se fixent désormais pour objectif de faire remonter les prix. Les Etats sont devenus les grands perdants puisqu’ils ne remboursent plus leur dette avec de l’argent dévalué. Les transferts se font désormais en sens inverse, au profit des ménages. La chute des taux d’intérêt permettra peut-être de corriger en partie cette situation dans l’avenir. Mais l’objectif de stabilisation du ratio entre dette publique et PIB devient obsolète. Il était facile à atteindre quand l’inflation était forte. Il accroit aujourd’hui les tendances déflationnistes. Le bon indicateur de solvabilité, ce serait un ratio entre dette publique et actifs financiers nets des ménages. En France, il est stable depuis vingt ans car l’évolution de leur patrimoine financier a été spectaculaire mais il s’est accompagné d’une inégalité croissante que la fiscalité n’a pas su corriger. Cela devrait rassurer nos voisins allemands, toujours inquiets à l’idée de devoir payer pour les autres. L’Etat n’a pas su non plus adopter une politique de gestion de son patrimoine adaptée au Nouveau Monde. Il doit cesser de sacrifier des actifs rentables qui contribuent à la croissance au moment où les intérêts payés sont si faibles. Ce principe doit aussi s’appliquer aux retraites qu’il est inutile de réduire pour accumuler des excédents dans les caisses des régimes dont ceux-ci n’auront nul besoin avant très longtemps.

Le partage des responsabilités doit changer. L’Etat n’est plus le seul agent économique dont l’action importe. C’est même celui dont les moyens d’intervention se réduiront le plus dans l’avenir. Un  effort de pédagogie est à faire vis-à-vis des consommateurs car c’est d’eux dont dépend le niveau de l’emploi et la réduction des atteintes à l’environnement. Ils ont une influence considérable mais sous-utilisée. Quand une marque célèbre a un comportement social choquant ou des pratiques fiscales douteuses, les consommateurs, mobilisés par les réseaux sociaux devraient en tenait compte dans leurs choix. L’effet dissuasif serait suffisant pour faire cesser ces pratiques pour le plus grand profit de l’emploi et des finances publiques, ce qui profiterait aux salariés et aux contribuables. Si au moment de faire un achat ou de choisir un lieu de vacances, le même consommateur tenait compte des lieux de production ou de sa destination, les équilibres intérieurs et extérieurs du pays en bénéficieraient. Il ne s’agit pas de patriotisme économique, car cette idée évoque le sacrifice. Se comporter ainsi n’en serait pas un puisque tout le monde à la fin en sortirait gagnant. Il existe des pays où ces réflexes sont naturels, comme l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord. Leurs résultats si souvent mis en avant en sont la conséquence. A l’Etat de promouvoir ce changement de comportement qui s’applique aussi à la protection de l’environnement.

Les entreprises ont une responsabilité analogue. Elles peuvent contribuer à un meilleur partage de la richesse créée et elles doivent mieux exploiter les possibilités offertes par la mondialisation. Il ne s’agit pas, par le biais d’acquisitions coûteuses et financées par l’emprunt de s’imposer sur le marché mondial. Les parts de marché ne s’achètent pas. Elles se conquièrent par la qualité des produits offerts et leur adéquation à la demande des clients. Les pays qui dégagent des excédents et profitent des créations d’emplois sont ceux où les entreprises ont mis en œuvre de telles stratégies de développement international, réservant une large part de la valeur ajoutée au territoire national.    

Les comportements doivent changer. Les vieilles recettes de la politique économique ne sont plus suffisantes pour relever les défis du Nouveau Monde. Les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux où les consommateurs et les entreprises ont compris les nouvelles règles du jeu. Il faut passer de l’obsession pour la macroéconomie à une prise en compte des véritables enjeux microéconomiques.