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Le blog d'Alain Boublil

 

La coupe du monde et la croissance

Il y a juste vingt ans, la France, pour la première fois, remportait la coupe du monde de football. Dimanche, son équipe gagnera peut-être le droit de porter une deuxième étoile sur son maillot. La victoire en 1998 contribua, pendant quelques années, à renforcer la cohésion  du pays grâce à une équipe rassemblant des joueurs aux origines diverses : les « blacks », les « blancs » et les « beurs » auxquels on aurait bien pu ajouter les « basques ». On attribue aussi à ce succès une contribution significative à la croissance élevée que la France connut jusqu’en 2002, performance qui n’a pas été égalée ni même approchée depuis. Une victoire en 2018 aura-t-elle le même effet et soutiendra-t-elle le rebond économique observé en 2017 mais qui semble s’essouffler ?

Le contexte économique et politique est évidemment différent. Le gouvernement Jospin que le président Chirac dut nommer après la désastreuse dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, profitait lui aussi d’un environnement favorable. La France venait d’être admise dans la zone euro et le passage à la monnaie unique pour les transactions financières allait intervenir dès 1999. Durant toutes ces années, l’économie bénéficie d’un très bas prix du pétrole, autour de 20 dollars le baril. Le commerce extérieur s’est redressé avec un excédent de plus de 20 milliards d’euros en 1999 et de 60 milliards au total sur la période. La croissance approchera 4% en 2000 et le chômage reculera constamment grâce à un rythme  d’augmentation des créations d’emplois jamais égalé par la suite : 2,2 millions en cinq ans soit trois fois plus qu’entre 2012 et 2017 suivant les chiffres de l’INSEE. Un cercle vertueux s’était instauré : la baisse du chômage avait redonné confiance aux ménages qui consommaient davantage, ce qui profita aux entreprises qui recommencèrent à embaucher.

La réduction de la durée du travail à 35 heures a également soutenu ce retoour de la croissance, même si cette mesure reste très controversée encore aujourd’hui du fait de sa mise en œuvre bien trop technocratique et autoritaire dans le secteur public. Les recettes budgétaires comme celles de la sécurité sociale et de l’assurance-chômage augmentèrent  ce qui permit à la France de respecter les critères de Maastricht. L’euphorie provoquée par la victoire de 1998 contribua à renforcer ce sentiment de confiance propice à l’investissement et à la dépense. A l'époque, les entreprises ne songent pas encore à se lancer dans une politique de délocalisation ou d’acquisitions coûteuses à l’étranger qui sera la marque de la décennie suivante. Enfin, l’euro est faible face au dollar, bien en dessous de la parité malgré des taux d’intérêt à court terme autour de 4% alors qu’ils sont négatifs aujourd’hui. Ces succès économiques indiscutables ne seront pourtant pas suffisants pour assurer la victoire de Lionel Jospin aux élections suivantes. Son incapacité à rassembler la gauche entrainera son élimination dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2002.

Le contexte économique en 2018 n’est pas moins favorable qu’en 1998. Le prix du pétrole est certes bien plus élevé, même exprimé en dollar dont le cours a  chuté mais les taux d’intérêt sont proches de zéro, ce qui rend bien service à l’Etat et aux organismes publics qui sont lourdement endettés. Les ménages ont su en profiter et le nombre de logements mis en chantiers a augmenté depuis 2016, ce qui soutient le secteur du bâtiment. Mais la croissance est restée très faible, 6% en cumul sur la période 2012-2017 contre 15% entre 1997 et 2002. Les politiques économiques ont été aussi très différentes. Il y a vingt ans, la baisse de la durée du travail et l’augmentation du pouvoir d’achat avaient constitué la priorité. La politique suivie depuis 2012 et qui a été poursuivie sous une forme très proche depuis 2017 a choisi de mettre l’accent sur la restauration des marges des entreprises avec des transferts importants en leur faveur. Le CICE, décidé en 2013 a représenté chaque année 20 milliards d’euros et sera  transformé en 2019 en baisse définitive de charges. Personne n’a encore démontré son efficacité. Il est intervenu au moment où une réduction des déficits publics était devenue indispensable pour satisfaire aux règles européennes. Il a fallu le financer par une forte hausse de la fiscalité pesant sur les ménages. Cette conjugaison explique pour une bonne part la faiblesse de la croissance entre 2012 et 2017, même si ces contraintes ont commencé à s’alléger l’an dernier.

Du côté des entreprises, l’amélioration escomptée de la compétitivité, n’a pas été au rendez-vous. Le déficit commercial de la France n’a cessé de s’alourdir et tout l’effet de la baisse des prix du pétrole a été neutralisé. Sur les douze derniers mois, il atteint 60 milliards d’euros soit autant qu’en 2012 quand le baril de Brent était coté 110 dollars. La reprise de l’investissement observé en 2017 a surtout concerné le secteur tertiaire : construction de bureaux et de surfaces commerciales. La création de nouvelles capacités qui aurait permis d’accroître la production et l’emploi de façon durable est restée marginale. La production industrielle n’a cru que de 3% depuis trois ans. En revanche, les résultats des entreprises et surtout des plus grandes d’entre elles se sont nettement améliorés, ce qui a profité aux cadres de direction et aux actionnaires. A l’inverse, le pouvoir d’achat des salariés a peu progressé et la hausse des prix de l’énergie, consécutive à une fiscalité alourdie et à la reprise des cours du baril de pétrole constitue une menace.

Une nouvelle politique fiscale pourrait corriger les erreurs commises durant les années passées à condition d’être assumée comme un choix en faveur du pouvoir d’achat mais ce n’est pas le cas puisque les patrimoines financiers sont privilégiés par rapport au niveau de vie des retraités et que l’épargne elle-même commence à être menacée. Le taux servi sur les livrets de caisse d’épargne (0,75%) est, pour la première fois depuis près de dix ans, très inférieur à l’inflation (2% sur un an au mois de juin). Les choix économiques sont donc très différents de ceux faits en 1998. Une victoire de la France lors de la finale de dimanche renforcera la confiance du pays en lui-même. L’optimisme, au-delà de la fête qui célébrera l’évènement, prévaudra. Et les dirigeants politiques, surtout s’ils ont la sagesse de ne pas pratiquer la récupération, profiteront de cette victoire. Mais ils seront vite confrontés à un dilemme.

Ils peuvent s’accrocher à leurs choix actuels. L’essoufflement observé depuis le début de l’année s’aggravera et la brève période, après la victoire où l’on croit que tout est possible  apparaîtra vite come une parenthèse. La comparaison avec les années qui ont suivi la victoire de 1998 sera cruelle. Les Français se rendront vite compte que la fête est finie. Le retour à la réalité sera douloureux. Mais ces dirigeants peuvent aussi profiter de l’élan généré par cette victoire, au cas bien sûr où elle interviendrait, pour infléchir leurs choix économiques. Il ne saurait s’agir d’ouvrir les vannes de la dépense mais de comprendre que sans protection de l’épargne et sans progression du pouvoir d’achat, il ne peut y avoir de véritable réussite économique. La victoire de 1998 n’avait pas permis à Jospin de rester au pouvoir mais au moins la France avait progressé. Une victoire en 2018 non suivie de progrès partagé sur le terrain économique a peu de chance, dans l'avenir, de convaincre les Français que la politique d’Emmanuel Macron aura été un succès.