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Le blog d'Alain Boublil

 

Les deux faces de l'Amérique

Au moment où le président français arrive aux Etats-Unis, l’attention sera concentrée sur la personnalité de son homologue et sur la capacité des deux hommes à se comprendre mutuellement malgré leur différence d’âge et de caractère. C’est indispensable s’ils veulent  adopter des positions communes à propos des nombreux défis économiques et géopolitiques actuels sur la scène internationale. Ce devrait être aussi l’occasion de mieux comprendre l’Amérique d’aujourd’hui. Nous nous émerveillons devant les prouesses technologiques de ces entreprises qui ont changé notre vie quotidienne, avec leurs logiciels (Microsoft) et leurs smart phones (Apple), avec leurs plates-formes d’accès à l’information (Google) et leurs nouvelles formes d’échanges et de distribution (Amazon, Uber) ou plus simplement leurs nouveaux produits (Tesla). Mais nous assistons en même temps à la résurgence d’un racisme brutal, d’une violence qui s’étend et qui mobilise contre elle la jeunesse. L’obésité prend des proportions inquiétantes et l’espérance de vie recule. Où est la vraie Amérique, dans le rêve avec le tourisme spatial et les voitures autonomes ou dans la réalité avec les fusillades dans les écoles ? On dit souvent que le pays donne à l’avance une bonne image de ce que seront les sociétés occidentales dix ou vingt ans plus tard. Faut-il donc s’émerveiller ou s’inquiéter ? Faut-il surtout redouter une nouvelle crise, comme celle qui a éclaté il y a tout juste dix ans ?

Les firmes américaines ont indiscutablement gagné la bataille du rêve. Les capitalisations boursières des plus grandes d’entre elles, Amazon, Apple ou Alphabet, la maison-mère de Google ont atteint un niveau sans précédent, avec plus de 600 milliards d’euros chacune soit quatre fois la valeur des plus grandes sociétés européennes. Elles ont su convaincre les investisseurs et les épargnants qui leur confient leurs économies. Mais l’attrait qu’elles exercent sera-t-il durable ? Tout va dépendre de la réaction de leurs clients. Personne n’imagine abandonner son téléphone portable ou renoncer à consulter ses comptes bancaires sur internet. En sera-t-il de même pour acheter un livre ? Les librairies sont-elles condamnées à devenir des lieux du passé ? A-t-on renoncé pour toujours à aller dans un magasin pour choisir les produits dont on a besoin et préférera-t-on passer une heure devant son écran et attendre leur livraison ? Ces pratiques sont-elles une mode passagère ou une transformation durable des comportements des consommateurs ? Vu le niveau des capitalisations boursières des entreprises concernées aux Etats-Unis, la réponse à ces questions est importante. Il en va de même pour les nouvelles mobilités. La voiture particulière électrique malgré les subventions massives dont elle bénéficie est encore très loin de convaincre les utilisateurs. Elle représente moins de 1% des immatriculations aux Etats-Unis. Pourtant Tesla a une valorisation boursière (50 milliards de dollars) équivalente à celle des deux grands constructeurs américains General Motors et Ford.

Pour qu’une innovation, quelle qu’elle soit, une fois l’émotion provoquée par son apparition, se transforme en succès économique, il faut qu’elle satisfasse un besoin durable et qu’elle  convainque les clients potentiels de son utilité. L’engouement actuel pour les start-up, les plates-formes en tout genre et le miracle californien est justifié mais il est fragile. La prise de conscience des risques occasionnés par la divulgation massive d’informations fausses sur les sites et l’exploitation illégale des données constituent un premier avertissement. Les accidents provoqués lors de tests de véhicules autonomes comme les incertitudes relatives aux statuts des travailleurs sous le régime « Uber » en sont d’autres. Cet engouement, qui pourrait n’être que passager, survient dans un environnement économique et social bien moins séduisant.

Il y a d’abord le lourd déficit extérieur des Etats-Unis qui irrite tant Donald Trump, lui fait prendre des décisions qu’il remet en cause quelques mois plus tard mais qui affectent dangereusement les équilibres économiques internationaux. En 2017, le déficit commercial des Etats-Unis a atteint 566 milliards de dollars, partiellement compensé par l’excédent des services (224 milliards). La balance courante est dans le rouge pour 460 milliards, soit plus de 2% du PIB, et ceci chaque année depuis une décennie. Le Chine et surtout l’Europe affichent de confortables excédents. En même temps, les déficits publics s’envolent. Pour l’Etat fédéral, il devrait atteindre 833 milliards de dollars en 2018 et s’approcher de 1000 milliards l’an prochain du fait des mesures fiscales annoncées. La dette de l’Etat ne représente que 77% du PIB mais il faut lui ajouter celle des collectivités locales (3700 milliards) et des agences de l’Etat (1300 milliards). A la fin de l’année fiscale en cours, le 30 septembre, la dette publique américaine atteindra 24 600 milliards de dollars selon les estimations du Bureau de Congrès. Mais, et la différence est importante, celle-ci est financée non par l’épargne américaine mais par l’étranger ce qui rend le pays vulnérable à toute crise de confiance et l’oblige à pratiquer des taux d’intérêt à long terme trois fois supérieurs aux taux européens, ce qui pèse sur les dépenses et les comptes extérieurs puisque la dette n’est pas financée localement. Les critiques sont donc nombreuses à l’encontre d’une politique de baisses d’impôt qui accroit les déficits  alors que la croissance américaine ne donne pas de réels signes d’essoufflement.     

Ces taux d’intérêt élevés n’ont pas empêché l’affaiblissement du dollar en 2017  mais cela n’a eu aucun effet sur ses échanges commerciaux. Malgré le développement du pétrole et du gaz de schiste, qui constitue un succès majeur et durable pour l’économie américaine, le déficit commercial s’est aggravé et traduit un affaiblissement de l’industrie. Les stars des années 90 et 2000 sont en perte de vitesse. La France, où l’on se désole du sort d’un certain nombre de joyaux n’est pas un cas isolé. La valorisation boursière de General Electric est inférieure de près de 50 milliards de dollars à celle de LVMH. Et IBM ne vaut aujourd’hui pas beaucoup plus que L’Oréal. Les prises de position volatiles de l’administration Trump, qui ne sont pas toujours faciles à comprendre aggravent cette situation. Les grands groupes américains en sont les premières victimes car cela affecte  leurs choix stratégiques. Les Etats-Unis avaient décidé de se retirer du Traité Trans-Pacifique dont la philosophie profonde était  la recherche d’une réponse coordonnée aux défis nés de la montée en puissance de l’industrie chinoise. Se rendant compte de son erreur, Donald Trump revient aujourd’hui en arrière mais rencontre un accueil mitigé de ses anciens partenaires qu’il a involontairement jeté dans les bras de Pékin.

L’annonce d’une taxation des importations d’aluminium et d’acier, dont d’ailleurs ont été exonérés peu après les deux principaux exportateurs, le Canada et le Mexique, pour faire pression sur la Chine et le durcissement des sanctions à l’égard de la Russie ont provoqué une envolée des cours de l’aluminium et de plusieurs métaux rares comme le cobalt. Cela pénalisera les entreprises américaines dans deux secteurs stratégiques, l’aéronautique et l’automobile et ne contribuera pas à rééquilibrer les échanges extérieurs du pays.  

Le poids de l’économie américaine dans l’économie mondiale est tel qu’une crise dans ce pays aurait des répercussions ailleurs et en premier lieu en Europe. C’est ce que nous avons vécu il y a juste dix ans avec, au mois de septembre 2008, la faillite de Lehmann Brothers. La valorisation exceptionnelle de certaines sociétés du rêve californien et les lourds déficits intérieurs et extérieurs auxquels Washington n’apporte pas de remède quand elle ne contribue pas à les aggraver, constituent des facteurs de préoccupations majeures pour l’Europe et pour la France. Espérons que ces questions feront partie des sujets abordés entre les deux présidents cette semaine.