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Le blog d'Alain Boublil

 

France : la fiscalité du XXIème siècle

L’examen par l’Assemblée Nationale en première lecture de la partie relative aux recettes du projet de budget pour 2018 a donné lieu à un intense débat politique. Il comporte des mesures qui traduisent la nouvelle philosophie qui inspire le président de la République en matière fiscale, au premier rang desquelles figurent la réforme de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) et la suppression programmée de la taxe d’habitation pour 80% des Français. L’impôt a un triple rôle. Il permet de financer les dépenses publiques, il doit contribuer en réduisant les inégalités à renforcer la cohésion sociale et c’est enfin un instrument de politique économique, pour soutenir l’activité ou la freiner en cas de dérapage conjoncturel. L’outil fiscal participe aussi aux « réformes structurelles » visant à rendre aux entreprises les marges qu’elles auraient perdues, c’est la fameuse « politique de l’offre ». Ce sont toutes ces composantes qu'il faut avoir en tête quand on fait évoluer la fiscalité.

Les critiques se sont focalisées sur la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI). La taxation des patrimoines (Impôt sur les Grandes Fortunes) fut instaurée par la gauche et appliquée à partir de 1982. Son fondement était idéologique. Il avait servi à cimenter l’alliance entre les diverses forces de gauche, ce qui avait permis à François Mitterrand de conserver sa liberté d’action sur le plan international. Tel était le subtil équilibre trouvé à l’époque. Cet impôt fut supprimé par le gouvernement de Jacques Chirac en 1986, ce qui contribua à son échec électoral en 1988. Son successeur, Michel Rocard le rétablit en modifiant son intitulé pour introduire le concept de solidarité. Plus aucun gouvernement n’osera le remettre en cause jusqu’à l’élection d’Emmanuel Macron. Conformément à ses engagements électoraux, celui-ci a donné instruction d’en réduire l’assiette aux plus importants patrimoines immobiliers. Mais le débat reste politique et aucune réflexion n’a été amorcée sur le rôle économique d’une imposition des patrimoines et sur ses conséquences, si l’on excepte les questions relatives à l’exil fiscal et au retour éventuel des exilés. Mais on sait depuis longtemps, à partir des données communiquées par Bercy, que ces conséquences sont marginales sur les recettes fiscales comme sur l’activité économique, puisque le nombre de départs pour raisons fiscales n'a jamais dépassé le millier durant ces quinze dernières années. L’essentiel n’est donc pas là, le véritable enjeu, c’est l’adaptation de la fiscalité française au XXIème siècle.  

Qu’est-ce que quelqu’un de « riche » aujourd’hui ? Est-ce quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent ou quelqu’un qui a beaucoup d’argent ? C’est bien sûr quelqu’un qui a beaucoup d’argent. Or notre fiscalité ignore cette évidence puisque, pour les particuliers, elle est calculée sur leurs revenus. Le fondement de l’impôt, c’est l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme. Il y est indiqué que la contribution aux charges publiques de chacun est déterminée « à raison de ses facultés ». Résumer la faculté contributive aux revenus avait un sens lorsque les patrimoines étaient globalement insuffisants et concentrés entre les mains d‘une infime minorité, comme avant la Révolution ou au lendemain d’une guerre. La situation est très différente aujourd’hui. Les dépenses publiques servent, pour une part significative (défense, sécurité, justice notamment) autant à protéger les personnes que les biens. Il ne devrait donc pas être anormal que ceux qui ont des biens contribuent à leur protection en fonction de leur valeur. Le patrimoine des ménages en 2017  dépassera 11 000 milliards d’euros. Si l’on soustrait leurs dettes, il se situera autour de 9500 milliards. Une taxe avec plusieurs tranches mais un taux moyen de 1% rapporterait plus que l’impôt sur le revenu. On s’indigne à propos d’un impôt qui représentait jusqu’à présent 5 milliards environ. Mais quand un salarié brillant reçoit une prime conséquente pour récompenser une action qui a permis par exemple de remporter un marché et d’assurer l’avenir de centaines d’emplois dans son entreprise, personne ne s’indigne que cette rémunération exceptionnelle puisse être taxée jusqu’à 45%. C’est illogique et c’est pour cela qu’une véritable transformation fiscale aboutissant, pour l’imposition des personnes physiques, à prendre en compte à la fois leurs revenus et leurs biens et en rééquilibrant les parts respectives des deux prélèvements serait bien plus adaptée aux réalités économiques actuelles. La réforme proposée est un premier pas dans cette direction, contrairement aux apparences et doit permettre de  rompre avec une vision idéologique de la fiscalité sur les patrimoines. C’est d’autant plus justifié qu’en ce moment, les propriétaires endettés, grâce à la renégociation de leurs crédits sont les premiers bénéficiaires de la baisse massive des taux d’intérêt intervenus depuis deux ans. Et il est tout aussi logique que les patrimoines financiers soient imposés uniquement par le biais des revenus qu’ils génèrent ou des plus values qu’ils occasionnent comme le propose la réforme en discussion. Cette épargne sert à financer l’investissement des entreprises et comporte un risque.

La suppression, à terme, de la taxe d’habitation s’inscrit dans cette perspective car il n’est pas imaginable qu’elle subsiste longtemps pour seulement 20% des ménages. La réforme de son assiette qui est toujours basée sur les données de 1970 perd tout intérêt si elle s’applique sur une fraction aussi faible de la population. La disparition de cet impôt obsolète pourrait donc s’accompagner d’une extension progressive de l’IFI, dernière étape avant la création d’un impôt sur l’ensemble des actifs non financiers. L’instauration d’une taxe, collectée par les assureurs, comme celle relative aux catastrophes naturelles, mais assise sur les valeurs assurées, permettrait facilement d’étendre à l’ensemble des biens le prélèvement et de répondre à bien des critiques. Mais cette transformation n’aurait de sens qui si elle s’accompagne d’une baisse à due concurrence de l’impôt sur le revenu. Depuis cinq ans, son produit a augmenté de près de 50% mais le nombre d’assujettis a diminué d’environ un million. En 2016, seulement 42,8% des foyers l'ont acquitté. C’est un impôt qui prélève chaque année davantage sur une part de plus en plus restreinte de la population. La tendance doit être inversée afin que l’effort et la réussite ne soient plus taxés davantage que les patrimoines déjà constitués, quelle que soient leur origine, une réussite passée, un héritage ou l’épargne accumulée.

Nous ne sommes plus en 1981 et encore moins en 1945. Les Français, même s’il reste encore bien trop de pauvres et de familles en situation précaire, se sont considérablement enrichis et cette richesse est bien plus partagée qu’on ne le dit puisque 60% des foyers possèdent une résidence principale ou secondaire ou un investissement immobilier. Leur patrimoine est l’un des plus élevés d’Europe avant même de prendre en compte les droits acquis pour leurs retraites. Le niveau des dettes publiques et privées est certes élevé mais sans commune mesure, contrairement à ce qu’on entend, avec celui des actifs financiers privés. La solvabilité du pays, invoquée souvent pour faire peur et faire accepter des mesures impopulaires n’est pas menacée. La France est aussi un pays ouvert, à la différence de la situation qui prédominait en 1981. Cet état de fait est irréversible, en dépit des affirmations d’une minorité agissante et largement convoquée par les médias pour apporter la contradiction. La fiscalité de demain doit donc tenir compte de ces changements, notamment en privilégiant les prélèvements sur des ressources peu ou pas dé-localisables. Pour que cette transformation aboutisse, il faut qu’elle soit progressive et déterminée et fasse l’objet d’un intense travail pédagogique pour expliquer aux Français en quoi ces évolutions sont indispensables. Tel est le défi qui attend les dirigeants politiques maintenant.