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Le blog d'Alain Boublil

 

La mondialisation et nous

Le débat sur les enjeux et les conséquences de la mondialisation est au cœur de la fin de la campagne pour l’élection présidentielle, comme vient de le montrer la confrontation pathétique entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Il ne s’arrêtera pas le 7 mai et se poursuivra dès le lendemain et tout au long de la bataille politique en vue des élections législatives. Jusqu’à présent, ce débat a fait l’impasse sur un fait essentiel : la mondialisation ne va pas s’interrompre si, par leur vote, les français s’y déclarent hostiles. C’est un phénomène irréversible qui concerne tous les pays. L’échec des tentatives de Donald Trump pour le freiner en est la preuve. Le Congrès a rejeté le financement de sa mesure la plus symbolique, ce mur qui devait être construit sur la frontière mexicaine et l’idée d’une taxation générale des produits importés a été abandonnée. Le seul pays qui reste en dehors de la mondialisation jusqu’à présent, c’est la Corée du Nord. Est-ce un modèle ?

L’effondrement du communisme en Europe a permis aux Etats du pacte de Varsovie de participer aux échanges internationaux. Les réformes initiées par Deng Xiaoping à partir de 1979 ont fait entrer la Chine dans l’économie mondiale avec le succès que l’on sait. En moins d’une génération, le pays est devenu la deuxième puissance économique et a fait sortir de la pauvreté la plus absolue des centaines de millions de chinois. Le reste de l'Asie a suivi cette voie. L’Amérique latine, malgré les soubresauts politiques et financiers, essaye de participer au mouvement et Cuba, n’en déplaise à Jean Luc Mélenchon, commence aussi à ouvrir ses frontières. Seule l’Afrique peine à trouver sa voie, malgré l’abondance de ses ressources naturelles. Est-ce que la France aurait quelque chose à gagner en s’isolant, en affaiblissant le projet européen et en tentant de s’opposer à des tendances aussi puissantes qu’universellement partagées ? Cette idée est absurde mais la place que ce débat a prise dans notre vie politique révèle les faiblesses de notre société.

La première, c’est que les français ont tendance à croire qu’ils ne sont pas responsables des difficultés auxquels ils sont confrontés et que « c’est la faute des autres ». C’est commode puisque par définition, la mondialisation, c’est « les autres ». Donc s’il y a du chômage, ce n’est pas de leur faute, c’est de la faute des autres pays, donc de la mondialisation. La France est la première destination touristique mondiale, ce qui permet de faire vivre des millions de personnes, mais il faudrait fermer les frontières. Notre pays est le 5ème exportateur mondial ce qui assure des millions d’emplois mais ce ne serait pas grave si nous sortions de l’Union Européenne et de l’Organisation Mondiale du Commerce. Faut-il rappeler que si on rapporte nos exportations au nombre d’habitants, les français sont deux fois meilleurs que les japonais et quatre fois que les américains ?  Le rejet des responsabilités ne se limite pas aux pays étrangers. L’une des cibles privilégiés est la classe politique qui n’aurait fait que des erreurs depuis vingt, trente voire quarante ans ! Mais qui a élu ces dirigeants ? Les français. Quant à la critique, elle pourrait être plus nuancée. La France est la cinquième économie du monde et si on se réfère à la richesse, au patrimoine des ménages comme des entreprises, elle ferait envie à bien des pays développés, tout comme notre système de santé ou nos infrastructures.

L’attaque ne s’arrête pas à la classe politique et on s’en prend  aux « élites ». Nos prix Nobel, nos médailles Fields, nos chercheurs et nos universitaires que les plus grandes universités étrangères rêvent de recruter ne méritent pas ce procès. Alors il reste les banques et les banquiers. Mais là encore, même s’il y eut dans le passé de douloureuses expériences, on pense au Crédit Lyonnais et à Dexia, leurs difficultés ont été sans commune mesure avec celles de leurs concurrentes américaines, anglaises, dont plusieurs durent être nationalisées pour leur éviter la faillite, ou celles de la zone euro, en Italie, en Espagne et même en Allemagne. Le rejet sur les autres des responsabilités est commode, mais il ne résiste pas à l’analyse et surtout il ne permet pas de prendre conscience des vraies causes de nos faiblesses.

La seconde raison, c’est que les français, comme consommateurs, comme épargnants ou comme dirigeants d’entreprises ont mal compris  les nouvelles règles du monde dans lequel ils vivent. Ils prennent trop souvent de mauvaises décisions et rejettent donc sur « les autres » les difficultés qu’ils se créent par leur comportement. Qu’on l’admette ou qu’on le déplore,  notre système de protection sociale repose sur des prélèvements basés sur les salaires. Il est donc largement tributaire des choix des consommateurs. A la différence de leurs voisins allemands, italiens ou suisses, ils ne tiennent pas compte de ce que l’équilibre et à terme la survie de ce système dépend d’eux. Ils veulent les avantages de la mondialisation avec un choix toujours plus large de produits mais s’en s’astreindre à un minimum de discipline : pour gagner quelques centaines d’euros, ils risquent d’en perdre des milliers voire plus avec la hausse des prélèvements qui sera nécessaire pour combler les déficits, quand ils ne mettent pas en péril leurs propres emplois. Après ce qui vient de se passer, peut-on imaginer que nos compatriotes vont continuer à acheter des produits Whirlpool?

La même irresponsabilité se retrouve dans les entreprises qui pressurent leurs fournisseurs ou qui se lancent dans des acquisitions ruineuses à l’étranger en s’endettant avant de déclarer des pertes quelques années après, et même parfois à tomber sous le contrôle de groupes étrangers. La liste est longue, d’Orange à Vivendi Universal, de Lafarge à Alcatel et d’Arcelor à Péchiney. La désindustrialisation incontestable que la France a connu depuis quinze ans et qui se traduit dans notre déficit extérieur n’est pas la conséquence de la mondialisation. Elle résulte des erreurs stratégiques de dirigeants d’entreprises qui n’ont pas compris, à la différence de leurs concurrents allemands, les nouvelles règles du jeu. Il est vrai qu’il est facile, pour masquer ces défaillances, de mettre cela sur le compte « des autres », d’une « compétitivité » affectée par le « coût du travail » et de réclamer des mesures permettant de faire supporter par la collectivité les conséquences de ces erreurs ou de dénoncer le « système ».

La traduction quotidienne de ces comportements, c’est le dénigrement permanent qui permet précisément de cacher les vraies causes des difficultés tout en les aggravant. Quel est le vendeur qui pour attirer les clients va dire que ses produits sont mauvais ? Quelle est l’entreprise qui pour conquérir de nouveaux marchés va dire que ses techniques ne donnent pas les résultats escomptés ou qu’elle ne pourra pas livrer à temps ? Le succès des publications déclinistes et la place qu’elles occupent dans les médias permet à leurs auteurs de s’enrichir. Mais ce que leurs lecteurs ou leurs auditeurs n’ont pas compris, c’est qu’en leur accordant un tel écho, ils contribuent à leurs propres difficultés.

Si l’expression de « révolution culturelle » n’avait pas été déjà prise avec les conséquences que l’on sait, on serait tenté de dire que c’est de cela que la France a besoin aujourd’hui : changer la culture économique de nos concitoyens pour qu’ils prennent enfin conscience que s’il y a du chômage, des déficits et des dettes, ce n’est pas toujours de la faute des autres.