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Le blog d'Alain Boublil

 

Le retour de l'Etat-stratège

Ce n’est pas parce que Marine le Pen en a fait un thème de sa campagne que le rôle de l’Etat dans l’économie doit devenir un sujet tabou. Ce serait d’ailleurs un comble au pays de Colbert où, au lendemain de la guerre, on avait procédé à des nationalisations massives pour redresser le pays en le dotant de services publics efficaces, dans le prolongement de ce qui était intervenu en 1936, où encore, on avait poursuivi dans cette voie en 1982 en permettant la restructuration de plusieurs groupes industriels qui étaient, pour la plupart à la veille de s’effondrer. La France n’a aucun complexe à avoir en la matière. La présence de l’Etat italien dans l’industrie est notable. Les Etats-Unis et l’Angleterre n’ont pas hésité, à intervenir massivement dans le capital de banques et de groupes industriels, menacés de faillite lors de la crise financière de 2007-2008. Quant à l’Allemagne, cette action est tout aussi déterminée quand, par exemple, il s’agit à Bruxelles d’empêcher toute mesure pénalisant les mines de charbon ou de protéger l’industrie automobile contre des normes contraignantes.

Le sujet du jour n’est pas nouveau : il s’agit de garantir l’avenir de l’un de nos fleurons industriels, le chantier naval de Saint-Nazaire. La prise de contrôle par son rival et voisin, l’italien Fincantieri, constitue une menace. Qui peut penser une seconde que le jour où le marché fortement cyclique sur lequel interviennent ces deux constructeurs se retournera, le chantier italien ne privilégiera ses propres activités, ce qui mettra en péril Saint-Nazaire, ses salariés et la masse de ses sous-traitants, de façon irréversible? La région est l’une des rares sur notre territoire, qui connaisse un renouveau industriel. Le chantier, comme les activités liées à la construction aéronautique, y joue un rôle déterminant. Son histoire mérite d’être contée. Le site, où fut construit le paquebot France, à la fin des années 50, traversa trente ans plus tard une crise, comme toute la construction navale en France, sous la menace des concurrents coréens et japonais. Contre l’avis de nombreux observateurs et du ministère des finances, l’Etat, en 1984, permit, grâce à un crédit garanti par la COFACE, la construction d’un paquebot de croisière, le « Sovereign of the seas ». Cette décision fut à l’origine de la reconversion du chantier avec le succès que l’on sait puisque la presse ne s’est pas privé de célébrer il y a quelques mois  le lancement de l’un de ses successeurs, l’« Harmony of the seas », qualifié avec enthousiasme de « plus grand paquebot du monde ». C’est bien la défense de cet acquis qui est en jeu aujourd’hui à l’occasion de la recomposition du capital des Chantiers de l’Atlantique et l’Etat ne doit pas hésiter à jouer son rôle.

 Quand sa maison-mère, Alstom, a été en difficulté, Nicolas Sarkozy, durant son bref passage à Bercy en 2004, n’a pas non plus hésité à faire prendre par l’Etat une participation suffisante pour rassurer les banques et permettre à l’entreprise de rebondir. Malheureusement, l’Etat s’est désengagé trop tôt et n’a pas assumé ses responsabilités quand ses dirigeants et ses actionnaires ont voulu céder l’ensemble de son pôle énergie à General Electric dix ans plus tard, qui incluait une activité hautement stratégique, la maintenance de la partie conventionnelle de nos centrales nucléaires. Ce ne fut d’ailleurs pas sa première erreur et la disparition de fleurons industriels comme Péchiney et Alcatel aurait pu être évitée. Mais ce n’est pas parce que l’Etat n’a pas toujours joué son rôle dans le passé qu’il faut lui refuser le droit de la faire maintenant, d’autant qu’il n’y a pas si longtemps, et dans le scepticisme général, il a su prendre, pour Peugeot, des décisions essentielles qui sont aujourd’hui unanimement considérées comme ayant permis le redressement de l’entreprise. Et ce serait un comble d’y renoncer, au moment où, en Angleterre, Theresa May, dans le contexte du Brexit, a annoncé qu’elle comptait bien relancer dans son pays le concept de politique industrielle et où par exemple en Chine, l’Etat soutient le développement international de ses entreprises.

Mais le champ d’intervention de l’Etat-stratège ne saurait se limiter à rentrer dans le capital d’entreprises industrielles quand cela est utile. Les relations sociales doivent constituer un champ d’action nouveau et essentiel. Plutôt que de tout chercher à réglementer face à l’incapacité des organisations professionnelles et syndicales à se mettre d’accord pour trouver des solutions mutuellement profitables, l’Etat doit se mobiliser pour que ces organisations réapprennent à travailler ensemble et à trouver des solutions. C’est ce qui fait la force de l’Allemagne. Il y avait eu un lieu, dans un lointain passé, où ce travail s’effectuait, où les points de vue se rapprochaient et d’où il sortait souvent des accords, c’était le Commissariat au Plan. Le prochain président de la République devrait se fixer comme objectif de créer les conditions pour qu’un vrai dialogue social s’instaure enfin,  afin d’adapter les relations tumultueuses entre les différentes parties prenantes au monde nouveau qui se dessine. La France n’a pas besoin d’une nouvelle loi sur le travail mais de créer les conditions pour s’en passer.

Autre domaine stratégique, la gestion de la dette publique. Les invectives ou les propos alarmistes doivent cesser. Non, elle ne constitue pas un fardeau pour les générations futures puisque celles-ci hériteront des moyens de la rembourser. Le rapport entre la dette publique et l’épargne financière accumulée par les ménages est stable depuis vingt ans. Cette dette n’est une menace que si la France projette de sortir de l’euro, et cette menace n’est pas assez évoquée par ceux qui rendent compte de la campagne pour l’élection présidentielle. Le projet de sortir de l’euro ferait immédiatement planer un doute sur les capacités de la France à placer ses émissions sur le marché et entrainerait un risque de défaut de paiement. Au contraire, une stratégie intelligente de placement qui consisterait à tirer le maximum d’avantage de la baisse des taux d’intérêt pratiquée par la Banque centrale européenne, devrait être enfin mise en place. La stabilisation du niveau des dépenses publiques depuis trois ans résulte largement de la baisse de la charge de la dette. Il serait possible d’aller plus loin en cessant définitivement d’émettre des titres à des taux supérieurs à celui du marché. On note depuis le début de l’année une nette inflexion dans ce sens qui va se manifester à nouveau au mois d’avril, selon le programme rendu public par l’Agence France Trésor. Il faut que cette stratégie soit confortée à l’avenir et que l’Etat profite de ces conditions de financement exceptionnelles pour lancer ou soutenir des programmes d’investissement publics. Tant que la France est dans l’Europe et dans l’euro, le fait que des investisseurs étrangers souscrivent massivement à ces émissions est un signe de solidité et de confiance dans notre pays. Cela ne présente pas de risque particulier puisqu’en sens inverse les investisseurs français, notamment dans le cadre de l’assurance-vie en euros, souscrivent à des émissions européennes.

Stratégie industrielle, sans bien sûr se substituer aux dirigeants des entreprises, stratégie sociale pour soutenir l’amélioration des rapports patronat-syndicats dans l’entreprise, stratégie financière enfin, pour profiter d’un environnement monétaire favorable, telles sont les possibilités ouvertes  au « nouvel Etat-stratège ». Il pourrait alors se substituer, pour le bienfait de tous au « vieil Etat-bureaucrate ».