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Le blog d'Alain Boublil

 

Hausse des taux d'intérêt : pas d'affolement

Le taux d’intérêt sur les obligations d’Etat françaises à dix ans a atteint 1,17% vendredi 17 mars, soit, si l’on excepte une brève période au printemps 2015, son plus haut niveau depuis trois ans. L’attente des décisions de la Federal Reserve américaine, qui a relevé ses taux à court terme cette semaine-là de 0,25%, et les incertitudes politiques à la veille de l’élection présidentielle ont provoqué depuis trois mois, une lente remontée du coût de l’argent en France, légèrement plus accentuée qu’en Allemagne, qui est le pays de référence en la matière. L’écart de taux entre nos deux pays qui est traditionnellement de 30 points de base s’est tendu pour approcher 70 points. Ce mouvement a déclenché une vague de commentaires alarmistes largement injustifiée qui masquent la réalité des enjeux.

1,17%, c’est d’abord trois fois moins que ce que payait le Trésor public il y a cinq ans et, si l’on tient compte de l’inflation qui a été de 1,2% sur ces douze derniers mois, c’est un taux réel voisin de zéro. C’est aussi deux fois moins élevé que le taux payé en 2016 par l’Etat sur l’ensemble de sa dette. Depuis le début de l’année, du fait de l’action de la Banque centrale européenne, le financement à court terme, pour une durée inférieure à un an, continue de se faire avec un taux d’intérêt négatif, -0,6% en moyenne. Pour les émissions à moyen et long terme, là aussi en moyenne, le coût de l’argent est resté largement inférieur à 1%. La France, malgré la hausse récente, continue donc de bénéficier de conditions de financement très favorables. Cette année, aux mois d’avril et d’octobre, l’Etat va devoir rembourser deux emprunts, l’un de 27 milliards assorti d’un taux de 3,75% et l’autre de 33 milliards au taux de 4,25%. La charge d’intérêts pour ces deux emprunts était tous les ans d’environ 1,6 milliard. En refinançant cette dette au taux actuel, la charge ne représentera plus à l’avenir que 0,6 milliard et l’Etat va ainsi économiser un milliard lors de chacun des prochains exercices budgétaires. Cet exemple montre, de façon concrète, les véritables conséquences de la baisse des taux d’intérêt sur les finances publiques.

On a, dans ces colonnes, souvent dénoncé les pratiques de l’Agence France Trésor, qui gère la dette de l’Etat, lesquelles, en émettant à des taux supérieurs à ceux du marché et en empochant des primes d’émissions, réduisaient l’avantage procuré par la baisse des taux. Pour les deux exercices 2015 et 2016, le montant total des primes avait dépassé 45 milliards. La Cour des Comptes s’en était ému au mois de juin et la presse avait commencé à s’intéresser au problème au mois de décembre. La direction du Trésor semble avoir compris le message et elle a, depuis, abandonné cette pratique qui consistait, en échange d’un avantage en trésorerie, à reporter sur les exercices futurs le coût artificiellement élevé des emprunts émis. La France a émis depuis le début de l’année environ 55 milliards d’euros de titres, soit presque le tiers de son programme pour 2017. A la différence des deux années précédentes, la quasi-totalité de ces émissions s’est faite au taux du marché, et même parfois en dessous, ce qui va amplifier dans l’avenir, la baisse de la charge de la dette publique. Incidemment, la rapidité avec laquelle ce revirement s’est opéré, montre bien que la politique de placement suivie jusqu’à présent n’était pas seulement dictée par la demande des investisseurs.   

Contrairement à ce que l’on entend, la hausse actuelle des taux  n’aggravera pas la charge de la dette tant que ceux-ci ne dépasseront pas le taux des emprunts arrivant à échéance. Or leurs taux sont encore deux à trois fois supérieurs aux taux actuels. Au pire, et s’il se poursuivait, le mouvement en cours ne ferait que ralentir la baisse du montant annuel d’intérêt que doit payer le Trésor public aux investisseurs. Il est donc inutile de tirer la sonnette d’alarme. L’Etat va profiter encore pendant longtemps des décisions actuelles de politique monétaire, pour autant, bien sûr, que la France reste dans l’Europe. Les entreprises pourront ainsi réduire leurs charges financières, phénomène qui, curieusement, génère bien peu de commentaires. 

Les autres bénéficiaires de cette politique sont les ménages. La reprise de la construction de logements depuis un an profite des meilleures conditions d’emprunt offertes aux accédants à la propriété. Les mises en chantier devraient dépasser 400 000 unités en 2017 et retrouver le niveau atteint avant la crise financière. Les ménages qui se sont endettés par le passé pour acquérir leur logement ou une résidence secondaire pourront aussi profiter de la baisse des taux en renégociant leurs emprunts chaque fois que leur contrat le leur permet et si ceux-ci sont à taux fixe, ce qui est la grande majorité des cas. Le mécanisme est simple. Ils le demandent à leur banque ou, ce qui arrive le plus souvent, ils sont démarchés par une banque concurrente. Celle-ci remboursera le prêt à leur place et leur consentira un prêt d’un même montant mais avec un nouveau taux d’intérêt bien plus faible. Ce sera autant de gagné pour le pouvoir d’achat et même une meilleure garantie de solvabilité puisque l’emprunteur aura moins de mal à rembourser. Le mouvement en cours est d’une ampleur sans précédent. Depuis un an le niveau des renégociations de crédit a été multiplié par quatre pour atteindre, pour le mois de janvier 23 milliards, soit plus de la moitié de la production totale de prêts immobiliers qui s’est élevée ce mois-là à 37,6 milliards.  

Les seuls véritables perdants sont les épargnants, à travers la baisse de la rémunération de leurs dépôts et, dans certains pays, les retraités quand leurs pensions sont calculées à partir d’un système de capitalisation. Les revenus qui permettent de payer les retraites baissent au fur et à mesure que les obligations portant des taux élevés sont amorties et sont remplacés par des titres aux taux très faibles actuels. C’est le mécanisme symétrique de celui dont profite l’Etat. C’est aussi la raison pour laquelle des pays qui pratiquent la capitalisation avec des fonds de pension, comme l’Allemagne et la Hollande, sont hostiles à la politique de la Banque centrale européenne car elle fragilise le pouvoir d’achat de leurs retraités.

La France au contraire en est donc l’un des principaux bénéficiaires puisque nos systèmes de retraite reposent sur la répartition. Les actifs payent pour les retraités et les cotisations sont sans lien avec le niveau des taux d’intérêt. Mais tout cela suppose que la France reste dans l’euro et dans l’Europe. Dans le cas contraire, un sentiment général de défiance va s’instaurer et les investisseurs seront de plus en plus réticents pour prêter à l’Etat, au moins jusqu’à ce que la situation soit clarifiée. Cette perspective provoquera une hausse très brutale des taux d’intérêt avec des conséquences catastrophiques sur la charge de la dette et sur l’attitude des emprunteurs. Dissuadés par le coût de l’endettement et par la prudence des banques qui mettront forcément de nouvelles conditions plus restrictives pour prêter, ils cesseront par exemple d’acquérir un logement et le secteur de la construction replongera dans le marasme d’où il vient à peine de sortir. Quant à l’Etat, ce serait une illusion de croire que la planche à billet, compte tenu de notre déficit extérieur, suffira à combler le trou. Là est le vrai risque.