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Le blog d'Alain Boublil

 

Economie et démographie

L’écho médiatique des publications économiques est largement lié à leur caractère prédictif. Ce n’est pas nouveau. Depuis la nuit des temps, et l’apparition de  l’astrologie en témoigne, les hommes sont obsédés par ce qui va leur arriver et prêtent une grande attention à ceux qui prétendent le leur dire. Le succès de la « science économique » en est la version contemporaine. Il ne se passe pas de jour sans que soient publiées des « prévisions ». En raison du délai nécessaire pour rassembler les données permettant de mesurer ce qu’on a cherché à prévoir, on en est même arrivé à « prévoir » ou à réviser une « prévision » concernant le passé. On pourrait ajouter que la précision des mesures est faible et quand les variations sont peu importantes, parler de hausse ou de baisse n’a pas grande signification.

En revanche, il existe une discipline dont le caractère prédictif est indiscutable, en temps de paix bien sûr, c’est la démographie. Il est facile de mesurer à un moment donné par un recensement la taille d’une population et l’âge de ceux qui la compose. Et l’analyse du passé permet, avec une bonne précision, de prévoir son évolution à court et à moyen terme, grâce à la connaissance des taux de natalité, de mortalité et de l’espérance de vie. Personne ne conteste véritablement la pertinence des études dans ce domaine, mais personne ne s’étonne non plus du fait qu’elle sont rarement prises en compte dans le jugement que l’on porte sur une situation économique donnée et encore moins sur leur incidence sur cette situation.   

La stagnation économique du Japon n’est nullement liée à ses choix de politique économique. C’est la conséquence mécanique de sa situation démographique, que l’on connait, elle, parfaitement. Et pourtant les institutions internationales, outre bien sûr les administrations locales, dissertent à perte de vue sur tel ou tel aspect de la politique du pays censée le sortir de ce qu’ils ont baptisé « stagnation séculaire ». Mais cette situation découle du refus de faire des enfants ou d’accueillir des étrangers, et de rien d’autre. A l’inverse, l’extraordinaire croissance de la Chine depuis1980, dans un contexte de population moins stable qu’on ne le pense, a coïncidé avec l’arrivée à l’âge adulte de toute une génération issue d’une fécondité plus élevée. Elle doit être réévaluée dans ce contexte, surtout quand cette mutation démographique arrive à son terme. Assimiler les performances des pays à leur taux de croissance et les comparer entre eux, sans y inclure la dimension démographique, est dépourvu de toute rigueur scientifique. Ces considérations générales ont une portée très précise quand on observe l’Europe et la France en particulier, sur le terrain du chômage comme à propos de la fiscalité et des systèmes de transferts sociaux.

Ainsi les sempiternelles comparaisons sur les situations respectives en matière d’emploi entre d’un côté l’Allemagne et les pays scandinaves, qui ont depuis une génération, une natalité faible et la France, qui, au contraire a eu la natalité la plus forte d’Europe avec l’Irlande, n’ont aucun sens. On prétend comparer scientifiquement des situations qui ne le sont pas. Cela n’est pas du côté des choix économiques du pays concerné qu’il faut chercher l’explication. Imiter les politiques sociales, comme la réforme du marché du travail intervenue en Allemagne en 2001, qui avait un tout autre objet que la lutte contre le chômage, ne saurait résoudre nos propres difficultés. Les lois Harz n’avaient d’autre but, surtout la dernière d’entre elles, que de freiner le mouvement de migration entre les länder de l’ancienne Allemagne de l’Est vers ceux de l’Ouest qui avaient repris. C’était la hantise des sociaux-démocrates et cela risquait de faire basculer à droite leurs bastions ou profiter à l’extrême gauche. Ces lois n’ont eu aucun impact sur l’emploi à l’Ouest.

La relation entre la croissance et l’emploi est avant tout dictée par la démographie. C’est bien pourquoi la France a besoin d’une croissance beaucoup plus élevée que l’Allemagne pour atteindre le plein emploi. Appliquer aux deux pays les mêmes règles en matière de finances publiques n’est pas justifié . C’est pourtant l’erreur qui a été commise avec le traité de Lisbonne qui sacralise les critères de Maastricht, à la demande de l’Allemagne et des pays scandinaves membres de la zone euro. Mais cette exigence se retourne contre eux car la BCE a dû mener une politique expansionniste pour compenser les déséquilibres provoqués par ces critères, ce qui aboutit à mettre en péril l’équilibre de leurs systèmes de retraite.  

Ce déni démographique a des conséquences bien plus graves sur les équilibres politiques et sociaux. Notre système de transferts sociaux et notre fiscalité ont été bâtis dans un contexte démographique radicalement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Durant les fameuses « Trente Glorieuses », le déficit des naissances de l’entre-deux guerres avait provoqué une pénurie de main d’œuvre, qui a facilité, pendant plusieurs décennies, une situation de plein emploi. Elle s’est traduite après par une baisse du nombre de départs en retraire. Nous sommes aujourd’hui dans la situation inverse. L’arrivée en masse à l’âge de la retraite de la génération du baby-boom, assortie de l’augmentation de l’espérance de vie, coïncide avec le déséquilibre du marché du travail et la montée du chômage. D’où le double-peine infligée à la génération suivante : hausse des prélèvements sociaux provoquée par l’afflux des seniors et difficultés à trouver un emploi. Le financement de ces déséquilibres est assuré par l’endettement public ce qui fait dire à certains que c’est même une triple peine puisqu’il faudra  en plus à rembourser la dette des parents. C’est faux puisque cette génération héritera de sommes de loin très supérieures à cette dette. Seulement tout le monde n’héritera pas et les inégalités de richesse, pendant toutes ces années, se seront creusées.  

Comment sortir de cette situation qui est lourde de menaces pour nos équilibres politiques et sociaux ? De deux façons. Au niveau européen, il devient urgent d’intégrer dans les critères de déficit et d’endettement publics la dimension démographique et les taux d’épargne nationaux qui constituent une bonne protection contre l’endettement excessif. L’Allemagne, dit-on, y mettra son véto. Ce n’est pas sûr si on lui explique que c’est la seule manière de sortir d’une situation qui va la défavoriser de plus en plus : les taux d’intérêt négatifs ou nuls pratiqués par la BCE pour compenser l’insuffisance des politiques budgétaires, s’ils se prolongent trop, vont faire voler en éclat son système de retraite dans des proportions bien plus graves que les déficits que nous connaissons en France.

Par une réforme majeure des prélèvements fiscaux et sociaux en France, ensuite. Ceux-ci ne doivent plus exclusivement porter sur les revenus et la consommation. Cela se comprenait, quand le système a été conçu, au lendemain de la guerre, quand la richesse accumulée avait été largement détruite et tout au long des années suivantes quand l’inflation jouait le rôle d’un impôt indolore sur l’épargne. L’erreur de l’ISF et des droits de succession, c’est que ces prélèvements sont stigmatisant. L’homme ou la formation politique qui aura trouvé la manière de faire accepter aux Français l’inclusion dans l’assiette des prélèvements qu’ils subissent et qui sont la contrepartie des transferts sociaux qu’ils reçoivent ou qu’ils recevront, des données relatives à leurs patrimoines, à tous les niveaux, aura fait progresser le pays dans la voie d’un règlement équitable du conflit qui s’annonce entre les générations et dans l'atténuation d'un sentiment d’injustice qui, sinon, va aller grandissant.