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Le blog d'Alain Boublil

 

Les trois maux de l'économie allemande

Aussi grave soit-elle, « l’affaire Volkswagen » ne doit pas occulter les faiblesses structurelles de l’économie allemande. Par un procédé rédactionnel bien connu, pour éviter la répétition, le pays est systématiquement qualifié de « première puissance économique » ou de « première économie européenne » dans les commentaires, mais jamais, ce qui est pourtant la réalité, de « pays le plus vieux d’Europe ». La taille de l’économie allemande est une réalité statistique indiscutable mais elle n’a pas résulté de ses performances économiques. Elle est la conséquence mécanique de l’unification dont on fête le 25ème anniversaire cette année. Et cette mutation historique n’a pas été favorable à la croissance puisque pour absorber un pays, l’Allemagne de l’Est, qui connaissait un énorme retard par rapport à l’Ouest, des sacrifices considérables ont du être consentis, ce qui s’est traduit pendant plus de quinze ans par une croissance économique inférieure à celle de la France.

Mais l’économie allemande a su s’adapter, en modifiant son modèle industriel et social. En revanche, le pays n’a pas inversé « la courbe de son vieillissement », bien au contraire. Ce phénomène résulte dans tous les pays développés, de l’allongement de l’espérance de vie. Mais il est corrigé, ou pas, par la vitalité démographique. Le niveau élevé de la natalité peut, en effet comme en France, compenser, au moins en partie, l’augmentation de la durée de vie dans la pyramide des âges. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne où, bien au contraire, l’allongement de la durée de vie se cumule avec une chute du nombre des naissances, ce qui provoque à la fois le déséquilibre de la pyramide des âges et la baisse de la population. La première conséquence, c’est bien sûr, un niveau du chômage plus bas puisque l’arrivée des nouvelles générations sur le marché du travail est très loin d’atteindre, à la différence de la France, le départ en retraite des générations âgées, d’où le recours indispensable, mais qui ne peut être que transitoire, à l’immigration. Cette situation s’accompagne d’une baisse des besoins en matière de dépense publique, dans l’éducation, en premier lieu mais aussi dans le logement comme dans toutes les fonctions régaliennes puisque ce ne sont pas les personnes âgées qui recourent le plus aux juridictions ou qui mettent en danger la sécurité publique. Les ratios d’endettement public de l’Allemagne sont donc parmi les meilleurs d’Europe, et on ne se prive pas de le rappeler en France, mais pas uniquement pour de bonnes raisons.

La seconde conséquence du vieillissement, qui est, elle, très inquiétante, c’est qu’il tue la croissance. La consommation décline avec l’âge et si les jeunes générations ne sont pas suffisantes pour compenser ce phénomène, la demande intérieure faiblit, qu’il s’agisse du renouvellement des biens durables, des travaux dans les logements ou de la mobilité, avec tous les investissements qui en découlent. Le seul ressort de l’activité, c’est l’exportation, et l’Allemagne, à cet égard, a fait ses preuves, mais il ne saurait suffire. Le Japon, engagé avant notre voisin, dans ce processus de vieillissement a vu son dynamisme cassé il y a vingt ans pour cette raison. L’Allemagne, et c’est un phénomène inexorable, va exercer, dans les prochaines années un effet dépressif sur ses partenaires économiques. Mais ce n’est pas tout.

Le système des retraites allemand, qui va donc être fortement sollicité dans l’avenir, ne repose pas, comme en France, sur la principe de la répartition, ce qui, d’ailleurs chez nous impacte le ratio des prélèvements obligatoires et nous fait apparaître parfois comme un mauvais élève, mais sur un mécanisme de capitalisation. Les bénéficiaires recoivent des prestations définies à l’avance. Or les ressources collectées avant d’être restituées aux retraités, sont placées, pour l’essentiel en fonds d’Etat. Le niveau des prestations est alors fixé à partir d’hypothèses sur le rendement de ces fonds, c’est-à-dire, sur le niveau des taux d’intérêt. Seulement l’effet dépressif, sur toute la zone euro, que va provoquer l’Allemagne du fait du vieillissement de sa population, va engendrer des politiques économiques qui reposeront, c’est déjà le cas, sur des taux d’intérêt très bas, et trop faibles pour satisfaire les engagements de retraite. Les inquiétudes, c’est un euphémisme, du gouvernement allemand face à la politique de la BCE, sont largement motivées par cette contradiction : les taux bas menacent les retraites des allemands mais un relèvement serait pire puisqu’il condamnerait toute reprise en Europe donc les exportations allemandes qui sont en réalité le dernier moteur de l’économie outre-Rhin.

Tel est le contexte dans lequel intervient le scandale Volkswagen. Ce n’est évidemment pas la première fois qu’une entreprise est convaincue d’avoir triché. Les amendes colossales que BP paye pour la catastrophe du golfe du Mexique ou qui ont été imposées à l’électricien japonais qui exploitait sans respecter les normes de sécurité, ses centrales nucléaires à Fukushima sont là pour nous le rappeler, sans parler des amendes colossales qu’ont du acquitter les banques américaines et européennes depuis la crise financière. Mais le fait nouveau, c’est qu’il fait peser une menace sur ce qui est devenu, sans d’ailleurs qu’on le remarque, le premier secteur exportateur de l’économie allemande. Ce ne sont plus les fameuses PME du « Mittelstand » qui produisent les machines-outils que le monde envie à l’Allemagne, qui occupent la première place mais bien l’industrie automobile. La filière est devenue le premier secteur exportateur en 2014, avec 195 milliards d’euros, dont 26 milliards vers les Etats-Unis, dépassant de peu la mécanique. Sa contribution aux excédents est encore plus essentielle puisqu’avec 116 milliards sur un total de 215 milliards, elle en représente près de 60%.

Ce succès résulte de la stratégie mise en place par les constructeurs au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique et de l’adhésion à l’Union Européenne des pays d’Europe centrale. Au lieu de délocaliser, soi-disant parce que leurs coûts salariaux étaient trop élevés en Allemagne, discours que l’on entend trop souvent en France et qui a précisément abouti à ce que les échanges extérieurs du secteur deviennent déficitaires chez nous, les groupes allemands ont conservé sur leur sol bureaux d’études et chaines d’assemblage et construit des filières d’approvisionnent avec des unités implantées en Europe centrale, qui avaient des coûts réduits. Il suffit de circuler sur les autoroutes de Saxe ou du Brandebourg pour mesurer l’intensité de ces flux avec la Slovaquie, la République tchèque ou la Pologne. Ainsi les anciens satellites politiques de l’Union soviétique se sont reconvertis en satellites économiques de l’Allemagne, pour le plus grand profit de son industrie, l’automobile en tête.

C’est dire si l’affaire Volkswagen, qui ne manquera pas, au moins à court terme d’avoir des répercussions sur les ventes donc sur la production du secteur automobile, frappe l’Allemagne. Ce poids de l’industrie automobile n’est pas non plus étranger à l’insistance avec laquelle les autorités allemandes, et la chancelière Merkel en tête, ont freiné les décisions prises à Bruxelles pour imposer des normes d’émission de CO2 comme de tous les rejets des véhicules qui polluent l’atmosphère. Une opération vérité sur ces rejets est inéluctable et les constructeurs allemands seront les premiers touchés par un durcissement et auront donc le plus à perdre.

Vieillissement, crise des retraites et demain affaiblissement de l’industrie automobile, l’économie allemande n’est pas à l’abri de secousses dans les années à venir. Nous aurions tort de nous en réjouir car nos deux économies sont très imbriquées et cela affectera forcément aussi notre croissance.