Vous n’êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

Inscription

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

Les trois leçons de la crise grecque

L’Europe, pendant six mois, a vécu une crise sans précédent depuis que le Général de Gaulle, dans les années 60, avait pratiqué la politique de la « chaise vide » à Bruxelles. Sommets de la dernière chance convoqués à l’improviste, déclarations péremptoires de ses dirigeants jamais suivies d’effets, propos sur l’Allemagne qu’on pensait appartenir à un passé révolu, menace sur l’existence même du projet le plus ambitieux du continent : l’euro. Un Etat-membre, la Grèce, pesant 2% de l’Union, en termes de PIB comme de population, était confronté à des échéances financières qu’il ne pouvait honorer et refusait de se plier aux exigences des Etats-membres, eux-mêmes divisés sur les remèdes à appliquer.    

Pourtant, et c’est la première leçon de la crise, les difficultés auxquelles était confrontée la Grèce étaient parfaitement  prévisibles. Ses échéances financières, données certaines et publiques, comportaient un pic en 2015 de plus de 25 milliards d’euros, contre 6 milliards en moyenne pour les dix années suivantes, avec des remboursements de 8 milliards au FMI et à la BCE concentrés sur les trois mois de l’été. Tout cela était  connu, et depuis longtemps, par ses créanciers, par la Commission Européenne et par les membres de l’Eurogroupe.  Est-ce pour éviter cette échéance que le gouvernement Samaras  lança, au mois de décembre 2014, le processus d’élection d’un nouveau Président de la République, poste au demeurant honorifique, certain qu’il était d’échouer et de devoir appeler à des élections anticipées, qu’il était aussi sûr de perdre ? L’intransigeance des dirigeants européens, souvent dictée par des considérations de politique intérieure, face à l’arrivée du nouveau gouvernement grec, qui n’était pour rien dans la situation laissée par ses prédécesseurs, a alors rendu plus difficile, sinon impossible, la gestion des échéances financières du pays.

La seconde leçon concerne le fonctionnement des marchés de la dette publique. Contrairement à ce qu’on entend en permanence, les Etats ne « remboursent » pas vraiment leurs dettes, ils la refinancent. Ils émettent sur les marchés financiers des titres dont le produit couvre les dettes arrivées à échéance. Suivant que le niveau des nouvelles émissions est  inférieur (comme en Allemagne) ou supérieur (comme en France) au montant des dettes arrivées à échéance, l’endettement du pays diminue ou, au contraire augmente. Mais le facteur déterminant n’est pas le niveau de la dette mais la capacité d’un Etat à la refinancer. Dés qu’il y a un doute, le marché se ferme. C’est exactement ce qui est arrivé à la Grèce après les élections de janvier et la nomination d’Alexis Stipras. On a alors assisté à une escalade de déclarations contradictoires et de menaces de part et d’autre. Le risque de défaut de paiement ou de sortie de l’euro, objet des débats au sein de l’Eurogroupe, fermait, de facto, l’accès de la Grèce au marché financier, accès pourtant indispensable à tout pays endetté, et en particulier à la Grèce qui, outre les échéances vis-à-vis du FMI et de la BCE, devait refinancer 15 milliards de Bons du Trésor. 

Même si, en France et ailleurs, des voies discordantes étaient entendues à propos d’une issue favorable à la crise, il suffisait que le doute s’instaure, alimenté par les déclarations sur la crédibilité du gouvernement grec, pour que les circuits de financement se ferment et que la crise prenne les proportions qu’on a connues. C’est bien pourquoi, quand l’accès aux marchés financiers est en jeu, il faut bannir les « postures politiques ». En particulier, faire croire aux peuples européens, qui ne sont pas familiers du fonctionnement de ces marchés, qu’on va puiser dans leurs portes-monnaies pour sauver tel ou tel Etat, est irresponsable. Et si, malgré l’accord passé, certains continuent à instiller le doute, en évoquant à nouveau l’idée d’un « grexit » temporaire, ce n’est pas innocent. N’ayant pu imposer leurs vues, ils comptent sur la défiance des marchés pour provoquer l’échec de l’accord.  

La troisième leçon porte sur la question de fond, à savoir la pertinence de certaines mesures imposées à la Grèce. Le parallèle souvent invoqué avec l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal qui auraient réussi, grâce aux mesures courageuses appliquées, à surmonter la crise, est fallacieux. Ces pays ont souffert d’un excès d’endettement privé et non public, consécutif à une bulle immobilière financée à crédit. Ils faisaient même partie des bons élèves, au regard des critères de déficit imposés par les traités européens. Mais ils ont du reprendre à leur charge les dettes de leurs banques pour sauver celles-ci de la faillite, comme on l’a fait en France avec Dexia. C’est l’éclatement de la bulle immobilière et l’effondrement du secteur de la construction, qui a provoqué dans ces pays la récession et la montée du chômage.

En Grèce, c’était le déficit budgétaire chronique et massif qui s’était accumulé avant la crise (6% du PIB en 2006 par exemple) et qui a explosé en 2009, comme partout ailleurs en Europe, qui a placé le pays dans cette situation. Jusqu’en 2010, ce déficit avait été camouflé, avec la complicité d’une banque d’affaires américaine : en fin d’année, celle-ci achetait une part de cette dette, ce qui la faisait disparaître des chiffres communiqués à Bruxelles, pour la revendre au début du mois de janvier. Que les autorités chargées du contrôle des comptes publics dans la zone euro, se soient laissées prendre à de tels artifices est surprenant.

Quant aux pays européens dits vertueux, dès 2003, ils s’étaient affranchis de la règle des 3%, et avaient laissé, eux aussi, exploser déficit et endettement. La Grèce était pourtant depuis 2012 sur la bonne voie et avait ramené progressivement son déficit public sous les 3%. Mais elle  était  dans l’incapacité de faire face au « mur » des échéances de 2015 sans faire appel au marché. Profiter de cette situation pour lui imposer des mesures qui vont inévitablement faire retomber le pays dans la récession, est une erreur. Les récessions aggravent la situation des finances publiques des pays et non l’inverse.

Et traiter en même temps les sujets de circonstances, comme le « mur de la dette » de l’été 2015 et les sujets de fond, comme le fait de doter enfin la Grèce d’une fiscalité digne de celle d’un pays développé, est une erreur. Un bon système fiscal est un système accepté par les citoyens. Son rendement, quels que soient les moyens employés pour lutter contre la fraude, dépend de cette acceptation. Un système, qu’il soit d’ailleurs adapté ou non, au modèle social et politique grec, imposé dans de telles circonstances, sera forcément mal accepté et son rendement en sera affecté. Le lien  qui a été fait entre le risque d’insolvabilité du pays et donc sa sortie de la zone euro et l’adoption de mesures allant dans le sens de l’intérêt du peuple grec était donc contreproductif.

La gestion de la crise grecque a révélé trois faiblesses : une imprévoyance coupable et partagée, un mélange des genres entre les considérations politiques nationales et les exigences européennes préjudiciable à la résolution du problème posé et enfin une confusion entre les objectifs de court terme et les contraintes à moyen terme. Et une chose est certaine : faire porter au seul nouveau gouvernement grec la responsabilité des six mois calamiteux qui viennent de s’écouler et qui ont donné une image désastreuse de l’Europe tant au monde qu’aux peuples qui la constituent, serait une erreur. Car cela signifierait que les leçons de cette crise n’ont pas été tirées.