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Le blog d'Alain Boublil

 

Pétrole : la chute continue

A 72$, le baril de pétrole de la mer du Nord, qui sert de référence en Europe, poursuit sa chute et a franchi une nouvelle étape avec la décision de l’OPEP de maintenir sa production au niveau actuel, contrairement aux pratiques passées où l’offre était réduite  pour enrayer la baisse des cours. Cette  situation nouvelle  appelle deux observations.

D’abord elle infirme encore un peu plus les théories sur l’épuisement des ressources en hydrocarbures. Les compagnies pétrolières avaient longtemps soutenu cette approche, avec le concept de « peak oil », à savoir qu’une certaine année, qui se rapprochait, suivant les plus pessimistes, la production atteindrait son maximum, pour décliner ensuite. Ainsi en 1977, les « experts » avaient soutenu que le maximum serait atteint au début des années 90 avec un niveau de production de 60 millions de b/j. Nous serons proches de 89 millions en 2014. Ces affirmations étaient bien sûr, intéressées. Pour maintenir les prix à un niveau qui permettent une certaine rentabilité, il fallait brandir le spectre de la pénurie.

Malheureusement, ces « théories » ont été reprises par les mouvements politiques, les écologistes en tête, et ont servi d’argumentaire dans un débat d’une toute autre nature : la contestation de la société « technicienne », le refus du progrès né précisément de la capacité de l’homme à dépasser les frontières que dressait devant lui la nature. Ce n’était pas très nouveau : Gandhi, dès 1909, comme vient de le rappeler Roger-Pol Droit dans le dernier N° du « Monde des livres », affirmait que la machine était une chose mauvaise et que « le train ne pourrait jamais que propager le mal ». Les philosophes allemands, Heidegger en tête, puis  plus tard, son disciple Peter Sloterdijk, instruisirent à leur tour le procès de la société technicienne. La chute du cours du pétrole leur apporte un cinglant démenti : on a trouvé du pétrole et du gaz, notamment en Afrique, là où les recherches précédentes n’avaient pas abouti. Et surtout, les nouvelles technologies, et pas seulement dans le cas de l’exploitation du pétrole de schiste, ont amélioré le rendement des gisements. Contrairement aux Cassandre, il y a donc de plus en plus de pétrole et de gaz. Mais alors pourquoi, à la différence de ce qui s’était pratiqué ces dernières années, les producteurs ne se sont pas entendus pour régler le niveau du robinet afin d’éviter la chute des cours ?

C’est la conséquence des tensions politiques actuelles. Il est essentiel de les appréhender si l’on comprendre comment les cours réagiront dans l’avenir. La baisse résulte du changement d’attitude de l’Arabie Saoudite et des Etats-Unis qui cherchent, par ce moyen, à affaiblir l’Iran et la Russie, lesquels tirent des revenus pétroliers, une part importante de leurs recettes budgétaires. L’Iran soutient des régimes hostiles à Ryad. Et les Etats-Unis, en accord avec les pays européens, s’opposent aux visées russes en Ukraine et plus généralement vers tous les pays de l’ancienne Union soviétique. La baisse des cours du pétrole s’ajoutent aux sanctions économiques décidées par les pays occidentaux. Et comme la Russie soutient aussi l’Iran, il n’est pas surprenant que l’Arabie Saoudite ait trouvé là l’occasion de faire d’une pierre deux coups. Les arguments à caractère économique sont peu pertinents. L’excédent de production est structurel. Ce ne sont pas la stagnation en Europe et le ralentissement (à confirmer dans son ampleur) en Chine qui sont de nature à déséquilibrer aussi brutalement le marché. Quant à la théorie suivant laquelle l’Arabie Saoudite chercherait à pénaliser l’exploitation du pétrole de schiste aux Etats-Unis, elle ne résiste pas à l’analyse : d’autres gisements dont les coûts sont plus importants doivent être mis en exploitation, au Brésil notamment, sans que cela ait provoqué de réactions.    

Un accord avec l’Iran sur son programme nucléaire provoquera une normalisation des relations sans que l’Arabie Saoudite puisse s’y opposer. Et un règlement du conflit ukrainien entrainera très vite un retour à des prix plus élevés, à la plus grande satisfaction des grandes compagnies comme des nouveaux exploitants. Il ne faut pourtant pas surestimer l’impact sur la Russie du niveau actuel des pris. Le pays a d’importantes réserves financières et surtout un nouveau client qui ne lésine pas sur les quantités, la Chine, qui paye comptant et qui, de surcroît, étant importateur net, profite de la baisse des cours. La situation actuelle, au-delà des fluctuations quotidiennes, a toutes chances de perdurer, au moins jusqu’à l’été 2015.

Qu’est-ce que cela signifie pour la France ?  Toutes les périodes de baisse du prix du pétrole se sont traduites par une reprise forte de l’activité : 1987 et surtout 1998, où le baril était redescendu en dessous de 20$. Les marges dans l’industrie vont se  redresser et la facture énergétique des ménages chauffés au gaz ou au fuel va baisser, d’où des ressources nouvelles pour les entreprises et du pouvoir d’achat.                            

A l’inverse, la politique en faveur de la transition énergétique va subir un coup d’arrêt. Des investissements d’isolation rentables avec un baril à 100$ et un gaz naturel à 12 $ perdent tout intérêt si les prix sont divisés par deux. Pour les mêmes raisons, les incitations à réduire la consommation d’énergies fossiles et les émissions de CO2 vont être sérieusement affectées et les objectifs très ambitieux du projet de loi sur la transition énergétique adopté en première lecture par l’Assemblée nationale seront jugés peu crédibles dans ce nouveau contexte. Le principal ennemi de la croissance verte, c’est bien sûr la baisse des prix des énergies fossiles.          

C’est pourquoi, cette baisse étant temporaire, il serait opportun d’en neutraliser une partie, par un relèvement momentané de la taxation des carburants, et particulièrement du diesel qui pourrait s’aligner, sans douleur, enfin sur celui de l’essence, Il n’est pas trop tard pour passer à l’acte puisque le projet de loi doit venir au Sénat au mois de février. Et le produit de cette taxation temporaire pourrait soit servir à couvrir de nouvelles baisses d’impôt sur les ménages, soit à annuler la baisse programmée de prestations sociales ou même à compenser la baisse de rentabilité des travaux d’isolation. Bonne nouvelle, puisqu’elle permettra de réduire notre déficit commercial, la baisse des cours du pétrole, et du gaz, du fait de son indexation, pourra devenir une très bonne nouvelle si l’Etat sait en prélever une partie pour favoriser le pouvoir d’achat et la réduction des émissions.