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Le blog d'Alain Boublil

 

Déflation : le nouveau mythe

Pendant 30 ans, la France s’est singularisé, et a, de ce fait, affaibli sa crédibilité financière, par une inflation bien plus élevée que ses principaux concurrents. L’Allemagne, au contraire, du fait de son expérience catastrophique entre les deux guerres, a fait de la stabilité des prix un objectif central de sa politique et c’est sur ce terrain qu'elle a bâti sa réputation. Nous  croyions alors avoir trouvé un remède, le contrôle des prix. Reposant sur une vaste organisation bureaucratique, il imposait aux entreprises, dans la plupart des domaines, de solliciter de l’administration, une autorisation chaque fois qu’elles souhaitaient modifier leurs tarifs ou fixer ceux d’un nouveau produit ou d’un service.

Conscient de l’inefficacité de ce système, Pierre Bérégovoy, alors ministre des Finances, entreprit, à partir de 1985, de libérer progressivement les entreprises de ce carcan. Cette politique sera poursuivie par son successeur, Edouard Balladur, et quand il retrouvera le ministère, en 1988, Pierre Bérégovoy la mènera à son terme. Entretemps, la concurrence entre les entreprises avait joué et au bout de quelques années, car les « réformes structurelles », et celle-là fut l’une des plus importantes que notre pays ait connues, mettent du temps à produire leurs effets, la France avait surmonté ce handicap  qui minait sa capacité à conquérir des marchés et qui alourdissait ses coûts de financement. Nous devions payer des taux d’intérêt très élevés pour attirer les prêteurs. Le marché s’était révélé un outil plus efficace que la bureaucratie.

Mais cette fâcheuse réputation avait mis du temps à se dissiper et quand, en 1991, les discussions sur la création de l’euro s'engagèrent, l’Allemagne, en échange de l’abandon de sa souveraineté monétaire avec création de la Banque Centrale Européenne, exigea que la première priorité fixée à la nouvelle institution par le traité, soit la stabilité des prix. Elle pouvait se fixer d'autres objectifs, la croissance et le plein emploi, à condition que cela n’affecte pas sa mission prioritaire. En cela elle se distinguait de son homologue américain, la Réserve fédérale, qui mettait ces trois objectifs sur le même plan. Ce n’est que bien plus tard, une fois acquises, en particulier en France, l’adoption de pratiques saines en matière de prix, que la BCE, en interprétant le traité, donna sa propre définition de la stabilité, une hausse des prix inférieure mais proche de 2%.  Il s’agissait aussi, du fait de l’élargissement de la zone euro, d’offrir aux nouveaux entrants une marge de manœuvre leur donnant le temps de s’adapter aux nouvelles règles du jeu.

Ce rappel historique n’est pas superflu à un moment où, étonnant paradoxe, on attend de la BCE qu’elle lutte contre une hausse des prix trop faible (inférieure à 2%...), comme si cela correspondait à son mandat. On invoque alors le spectre de la déflation alors que l’objectif de stabilité des prix a été atteint et  on compare notre situation à celle du Japon des années 90.   

 La déflation est un phénomène qui se produit quand la demande des agents économiques est si faible que les entreprises sont obligées de baisser leurs prix ou de fermer, engendrant un chômage accru, lequel provoque une nouvelle baisse de l’activité. Ce cycle pervers se produisit pour la dernière fois après 1929 quand les gouvernements ne comprirent pas tout de suite qu’il revenait à l’Etat d’intervenir en créant une demande supplémentaire et transitoire pour remettre l’économie sur le droit chemin. Cette situation n’a rien à voir avec la situation actuelle où la stabilité des prix résulte d’une moyenne entre des hausses, (les loyers peu affectés par la concurrence extérieure, certains services où  la productivité ne progresse pas) et des baisses (communication et équipements numériques qui bénéficient d’innovations très fortes, produits pharmaceutiques avec les génériques ou l’habillement bas de gamme avec les importations en provenance de pays à bas salaires). A cela s’ajoutent les fluctuations des prix des matières premières, liés à des facteurs géopolitiques (pétrole, gaz) ou météorologiques (céréales). Et quand les prix des énergies fossiles qui sont importées baissent, l’effet est positif sur nos comptes extérieurs, et comme les consommations sont « contraintes », c’est bon pour  le pouvoir d’achat, donc pour la croissance. C’est ce que l’on a  constaté  entre 1998 et 2000.  Il est donc faux parler de déflation, à la fois parce que globalement les prix sont stables et que cette stabilité résulte d’une moyenne entre des secteurs qui connaissent une hausse et des secteurs qui enregistrent des baisses sans que ces fluctuations découlent du niveau de la demande.

Mais il est tout aussi faux de se référer au Japon, qui a effectivement connu une longue stagnation économique et une baisse des prix depuis 1990, date de l’éclatement des bulles boursières et immobilières, provoquées elles-mêmes par un excès d’épargne. Mais cela tient au caractère très particulier du pays, à sa géographie, à sa démographie et surtout à sa culture profonde.En 1990, le Japon était cité en exemple avec sa reconstruction rapide et son développement industriel foudroyant  qui avait mis en péril, comme la Chine aujourd’hui, bien des secteurs des économies occidentales. Le pays comptait environ 100 millions d’habitants pour une superficie égale à la  moitié de celle de la France, mais dont la partie habitable, du fait d’un territoire très montagneux, était en réalité encore bien plus faible. La densité du Japon était donc près de six fois supérieure à la nôtre. C’est cette impossibilité physique de croître (il n’y avait plus de place…) qui a incité les entreprises japonaises à se délocaliser dans toute l’Asie du sud créant à sa suite les fameux « dragons ». Et elle frappait les visiteurs qui dès cette époque émirent des doutes sur la capacité du Japon à retrouver la croissance passée.

Ce contexte n’a pas été sans impact sur  la démographie qui a chuté : bien avant l’Allemagne, la fécondité des femmes japonaises est tombée en dessous du niveau nécessaire pour assurer la stabilité de la population. La moyenne d’âge  est aujourd’hui l’une des plus élevées au monde. Il s’ensuit une demande intérieure faible et un taux d’épargne très élevé qui finance une dette publique colossale, proportionnellement presque trois fois plus élevée que la nôtre. Et à cela s’est ajoutée aussi une culture profondément protectionniste et frugale : pas d’immigration pour compenser le déficit des naissances, des dépenses quotidiennes limitées à l’essentiel que de rares exceptions festives et des produits de luxe ne suffisent pas à stimuler, une défense sacro-sainte de la terre agricole qui limite l’emploi de territoires qui pourraient être encore construits. La nouvelle politique économique du Premier Ministre Abe, à base de dévaluation et de création monétaire ne modifiera qu’à la marge la situation du pays, laquelle  n’est que la conséquence, répétons-le, de sa géographie, de sa démographie et d’un consensus social très fort peu propice à la croissance. Rien de tout cela n’est transposable à l’Europe.

La rhétorique de la déflation et du parallèle avec le Japon ne sert qu’à justifier des solutions (plus d’inflation, un euro plus faible) dont le seul mérite est d’être –apparemment – indolores et surtout de nous dispenser de changer nos comportements, qu’il s’agisse des ménages quand ils consomment, des entreprises dans leur stratégie d’investissement et dans leur attitude vis-à-vis de leurs fournisseurs et des collectivités publiques avec leurs frais de fonctionnement excessifs. Nos déséquilibres ne représentent que quelques pourcents de l’activité. Ces efforts sont à notre portée. A l’inverse, la dévaluation et le retour de l’inflation se traduiraient, au pire moment, par une baisse du pouvoir d’achat et un renchérissement de nos conditions de financement qui rendraient encore plus difficile la mise en œuvre de ces efforts indispensables.