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Le blog d'Alain Boublil

 

Une fiscalité pour le XXIème siècle

Les Français ont un rapport très particulier avec l’impôt. Ils trouvent toujours qu’ils en payent trop et surtout que leur voisin n’en paye pas assez. En même temps, ils réclament de meilleurs services publics et une protection sociale juste et étendue. Quand on leur montre que leur pays a un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, cela ne les dissuade pas d’en demander davantage, à condition, bien sûr que ce soit le « voisin » qui paye. Et quand, face à l’accumulation des déficits et à l’augmentation de la dette publique, il est suggéré de faire des économies ou de lever de nouveaux impôts, la révolte gronde. C’est ce que vit la France avec le mouvement des « gilets jaunes » dont la présence effective lors des manifestations est dérisoire mais qui bénéficie d’une large adhésion dès qu’il s’agit d’annuler la hausse de la CSG sur les retraités ou de rétablir l’ISF.

La fiscalité française est très ancienne. Elle est le reflet du « vieux monde ». L’impôt sur le revenu a été institué il y a plus d’un siècle et le quotient familial après la IIème guerre mondiale. La TVA a été créée dans les années cinquante, l’impôt foncier sous Georges Pompidou, la CSG, plus tard, au début des années quatre-vingt-dix, juste après l’impôt sur la fortune qui a subi plusieurs avatars avec une suppression, puis sa réintroduction sous un nouveau nom et enfin la réduction de sa portée l’année dernière. Les passions qu’il déchaîne sont inversement proportionnelles à son rendement qui est marginal par rapport aux autres formes d’imposition, surtout quand on sait que l’impôt foncier, établi sur des bases voisines mais que chaque propriétaire paye rapporte dix fois plus. Cette fiscalité est aussi instable et complexe. Chaque année sont ajoutées des dispositions modifiant les textes existants ou créant de nouvelles conditions pour bénéficier de tel ou tel régime. Cette pratique fiscale et son résultat, les codes des impôts et de la Sécurité sociale, sont-ils adaptés au « nouveau monde » ? Assurément non.

Trois changements majeurs sont intervenus ces dernières décennies. D’abord, les Français se sont considérablement enrichis. Quelqu’un qui est riche, ce n’est pas contrairement à ce qu’on entend dans les discours politiques, quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent, c’est quelqu’un qui a beaucoup d’argent ou de biens. L’Insee a publié les derniers chiffres pour l’année 2017. La fortune des ménages, une fois déduit leur endettement s’est élevée à 11 500 milliards d’euros. Entre 2015 et 2017, cette fortune a augmenté de 7%, soit bien plus que l’évolution des revenus. Le deuxième changement concerne la généralisation de la concurrence dans l’offre de biens et de services. Elle résulte de la libéralisation des échanges et du choix politique qui a consisté à ouvrir à la concurrence des activités qui étaient auparavant des monopoles publics. Le résultat a été la quasi-disparition de l’inflation qui avait marqué toute la seconde moitié du XXème siècle. Enfin l’innovation, qui a aussi contribué à la baisse des coûts, a permis une mobilité des produits, des capitaux et de l’information qui a bouleversé les modèles économiques et les systèmes de prélèvements conçus pour un monde simplement entre-ouvert. La fiscalité du XXIème siècle doit s’adapter à ces changements.

L’imposition directe des ménages ne pourra pas éternellement faire l’impasse sur les biens et les actifs possédés. La dépense publique ne sert pas seulement à la protection des personnes. Elle porte aussi sur la protection des biens. Ceux-ci devront donc, d’une façon ou d’une autre faire partie de la base imposable. Mais un immense effort de pédagogie doit être entrepris. Il ne s’agit plus de s’intéresser aux « fortunes » pour les dénoncer implicitement et les taxer explicitement mais d’intégrer les biens et les actifs financiers dans ce qui deviendrait alors le seul impôt direct frappant les ménages collectés par l’Etat. C’est conforme à l’esprit de la Constitution qui indique que chacun doit contribuer aux charges publiques selon ses moyens (et donc pas selon ses revenus). Les biens immobiliers seraient réévalués chaque année et les valeurs figurant dans les contrats d’assurances seraient reprises dans l’assiette ce qui permettrait de résoudre le problème complexe des biens mobiliers et des objets de collection. A prélèvement inchangé, voire réduit, les revenus du travail seraient donc moins taxés.

L’intensification de la concurrence change le contexte dans lequel évolue la TVA. Par le passé, une hausse des taux pesait sur le pouvoir d’achat. Les gouvernements avaient toujours hésité à se lancer dans cette direction. De nombreux produits industriels, grâce à l’innovation et il faut le dire aux délocalisations ont vu leurs prix baisser. Une hausse de la TVA procurerait des ressources nouvelles sans être forcément répercutée en totalité du fait de la pression concurrentielle. Elle serait en partie supportée par la grande distribution qui a bénéficié par le passé de généreuses réductions d’impôts comme le CICE ou la baisse de l’Impôt sur les sociétés sans contreparties.

La mondialisation et l’innovation conduisent à repenser le mode d’imposition des entreprises. Le débat actuel sur les GAFA n’est qu’une entrée en matière. Compte tenu de la complexité de la fiscalité française, toute idée d’harmonisation au niveau européen est illusoire. Le projet d’un simple accord avec l’Allemagne, annoncé par Nicolas Sarkozy il y a plus de dix ans, n’a mené à rien. Aligner les taux n’est pas de nature à résoudre le problème tant que les assiettes ne le sont pas et elles ne sont pas près de l’être. La première priorité est, au sein de l’Union Européenne, de faire preuve de la plus extrême fermeté vis-à-vis des pays qui ne jouent pas le jeu, le Luxembourg avec ses sociétés boîtes-à-lettres, l’Irlande avec la manipulation des prix de transfert et les Pays-Bas avec ses montages financiers douteux. En l’occurrence, il ne s’agit plus seulement de choix fiscaux mais de l’honneur donc, d’une certaine façon, de l’avenir du projet européen.

Le succès de la transformation de la fiscalité française, dont on a évoqué quelques pistes possibles, repose aussi sur la méthode qui pourrait être employée pour en élaborer le contenu. Un changement radical est indispensable. Il ne s’agit pas de faire de la communication avec des annonces, de nommer un « président » pour concevoir un « grand plan » ou diriger « un grand débat » avec un calendrier, ni encore moins un « Grenelle de fiscalité ». Pourquoi ne pas, pour une fois, revenir aux pratiques du « vieux monde » ? En ce temps-là une institution  aujourd’hui disparue, le Commissariat au Plan, réunissait des groupes de travail comprenant les organisations professionnelles et syndicales, des experts, des chefs d’entreprises et même parfois des responsables politiques pour réfléchir ensemble en toute liberté et en toute discrétion aux grandes questions du moment. On pourrait s’inspirer de cette méthode pour débattre, échanger des arguments, prendre connaissance de données chiffrées ou des résultats de simulations opérées sur des hypothèses de mesures fiscales. Bercy devrait accepter de perdre son monopole dans ce domaine, tout en participant aux débats. Les parlementaires pourraient apporter leur contribution même si l’exercice n’a pas à ce stade, pour mission, de rédiger un texte.

Réfléchir ensemble librement sans calendrier ni indiscrétions dans la presse pour élaborer un projet essentiel pour la France. Est-ce que cela ne doit pas faire partie aussi du « nouveau monde » ? 

 

 

      

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