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Le blog d'Alain Boublil

 

Le modèle social français et la croissance

La publication des premières estimations de la croissance de l’économie française au 4ème trimestre 2018 (+0,3%) et pour l’ensemble de l’année (+1,5%) après 2,3% en 2017 a donné lieu à plusieurs interprétations. Du côté du gouvernement on estime que ce résultat est rassurant. L’environnement international a été moins favorable et présente des risques d’instabilité importants. La crise sociale qui traverse le pays depuis le mois de novembre a aussi pesé sur l’activité. La politique suivie est donc la bonne et commence à produire ses effets. Le son de cloche est différent dans l’opposition où l’on dénonce la stagnation du pouvoir d’achat qui a affecté la consommation des ménages et l’augmentation du déficit extérieur qui montre que la politique de l’offre, mise en place depuis 2013 pour redresser la compétitivité des entreprises, a échoué. La baisse symbolique du nombre de demandeurs d’emplois (-1,5%) vaut certes mieux qu’une hausse mais elle n’est pas de nature à faire sortir la France du chômage de masse.

Les économistes sont tout aussi partagés. Mais un nouvel argument est intervenu dans le débat : ce serait le « modèle social » qui serait responsable de la quasi-stagnation économique que connait le France depuis la crise de 2007-2008. Le niveau des prélèvements est excessif et son fonctionnement assuré par des institutions publiques est inefficace. Si la France apparait dans les comparaisons internationales avec un poids des prélèvements publics parmi les plus lourds, c’est aussi dû à son organisation. Dans les pays d’Europe du Nord, où la protection sociale n’est pas significativement inférieure à ce que connait la France, à la différence des pays anglo-saxons par exemple, ces prélèvements transitent souvent par des circuits privés. Leur taux de prélèvement apparait donc inférieur au nôtre. Le modèle social français et sa critique seront donc au cœur du débat national dans les prochaines années.  

Les  chiffres publiés pour l’année 2018 ne confortent pas cette analyse, notamment en ce qui concerne le comportement des ménages. L’augmentation de la pression fiscale et sociale, réelle ou ressentie ou même anticipée, a provoqué à partir du deuxième trimestre un coup d’arrêt de la consommation. Malgré une persistance de taux d’intérêt historiquement bas, contrairement aux prévisions officielles, on a assisté à un retournement dans le secteur de la construction de logements. Les mises en chantiers et, plus inquiétant pour l’année 2019, les autorisations de construire ont reculé de 7% en 2018. Non seulement les ménages restreignent leurs dépenses quotidiennes mais ils renoncent à acquérir un logement et commencent à thésauriser, signe indiscutable de leurs inquiétudes face à l’avenir.

Du côté des entreprises, et surtout des plus grandes, la situation est différente. La restauration  des marges d’exploitation depuis la crise s’est amplifiée grâce aux réductions d’impôts et de charges. Le surplus de résultat disponible a été consacré à la distribution de dividendes et à l’augmentation de la rémunération des dirigeants qui dépendait des profits réalisés. L’investissement en a aussi bénéficié mais il a été peu consacré à l’accroissement des capacités de production du fait d’une demande intérieure stagnante. La situation est très différente suivant la nature et les volumes d’activité. Pour un grand groupe international, les anticipations relatives à la demande intérieure jouent peu. Le bon indicateur est la demande mondiale et les investissements seront dirigés là où ils sont les plus pertinents pour la satisfaire. Les incitations fiscales dont ils ont été les bénéficiaires n’ont donc pas été forcément employées en France. Pour tout le tissu industriel et les services, la variable déterminante est la demande intérieure. Sa faible croissance n’a pas incité les entreprises à consacrer les moyens nouveaux à se développer.

Le « modèle social » français a deux composantes. Il vise, dans le cadre du droit du travail, à sécuriser la situation des salariés. Cette sécurité est jugée excessive et serait un frein à l’embauche. Elle constituerait l’une des causes principales du chômage de masse qui frappe la France. La seconde composante concerne la protection sociale au travers de la prise en charge collective des problèmes de santé et de retraite. Il lui est reproché son coût excessif qui ferait peser sur les entreprises des charges encore trop lourdes malgré la reprise par l’Etat d’une partie d’entre elles. Tout un discours politique s’est construit autour de la critique des politiques menées dans le passé pour préserver ces deux acquis. Quand on explique que rien n’a été fait depuis trente ou quarante ans et que là se situe la cause des difficultés du pays, on vise bien le refus par les dirigeants politiques de tous bords durant cette période de remettre en cause ce modèle. Le procès de « l’ancien monde » se fonde sur son incapacité à s’adapter au « nouveau monde ». L’accumulation de richesses pendant quatre décennies et la mondialisation ont changé les comportements des agents et il doit en être tenu compte dans les choix de politique économique. En  réalité, s’il y avait dans le modèle quelque chose à remettre en cause, ce serait sa lourdeur bureaucratique qui pèse sur la vie quotidienne des Français comme sur l’activité des entreprises et nous n’en prenons pas le chemin.  

Mais le remède proposé a toutes chances d’être pire que le mal car le système économique a été construit autour de la recherche d’une certaine sécurité qui est devenue synonyme de progrès social et qui s’est intégrée dans le comportement des ménages et des entreprises. On dépense, durant la vie active parce que l’on croit que l’on bénéficie d’un emploi stable et que les droits à la retraite seront protégés. On obtient un bail pour se loger parce que le propriétaire pense que vous avez un revenu garanti. Les banques ne consentiront des prêts que sous les mêmes conditions. La prospérité collective est intimement liée à la sécurité qu’offre le modèle social. Les discours visant à leremettre en cause ont eu l’effet inverse de ce qui était attendu : ils ont contribué à l’affaiblissement de la consommation au profit d’une épargne de précaution croissante. Les Français sont même devenus les champions du monde de l’épargne car ceux qui ont un emploi craignent de le perdre.

Les discours sur la réforme des retraites sont perçus comme une menace supplémentaire sur leur niveau de vie future. Ces menaces sont injustifiées pour trois raisons. Les régimes de retraite disposent de réserves considérables, plus de cent milliards. En moyenne, grâce à l’allongement de l’espérance de vie, on hérite maintenant peu avant de partir en retraite. Chaque année, ce sont près de 250 milliards qui sont transférés aux futurs retraités qui en plus pourront bénéficier de l’épargne qu’ils ont accumulée ou qui sont propriétaires de leur logement, comme plus de la moitié des français. Mais tout ceci suppose que le pays conserve un rythme de croissance suffisant pour réduire enfin le chômage et permettre l’indispensable redistribution qui garantit l’équilibre politique et social du pays. Le discours sur les erreurs de ces trente ou quarante dernières années contribue au contraire à fragiliser cet équilibre et à diffuser dans le pays un sentiment d’inquiétude dont on voit les effets dans les derniers chiffres de l’économie française.

Des raisonnements faux peuvent conduire à adopter des politiques qui aboutissent à l’effet inverse de celui qui était recherché. La remise en cause du modèle social français pourrait malheureusement en fournir un nouvel exemple.

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