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Le blog d'Alain Boublil

 

Les infrastructures et la mondialisation

Cet été aura été marqué par deux évènements affectant des infrastructures avec de lourdes conséquences. L’incendie d’un centre de distribution d’électricité a paralysé pendant une semaine le trafic ferroviaire depuis de la gare Montparnasse vers toute une partie de la France au moment des départs en vacances. L’effondrement d’un pont autoroutier à Gènes a causé la mort de plusieurs dizaines de personnes et menace, en raison du rôle essentiel de la liaison concernée, l’activité d’une région, la Ligurie, et d’un des principaux ports de la Méditerranée. Des failles dans la maintenance de ces équipements ont été invoquées comme étant à l’origine de ces accidents. A la SNCF, l’absence d’un dispositif de secours en cas de défaillance de son fournisseur d’électricité a été critiquée. A Gènes, le concessionnaire du réseau autoroutier est est mis en cause : il n’aurait pas été assez vigilant sur l’état du pont. Dans les deux cas, c’est le modèle économique de la construction et de la gestion des infrastructures qui est en jeu.

Un équipement profite à ceux qui l’utilisent directement mais aussi, indirectement, à tous ceux qui bénéficient des retombées économiques créées par ceux qui l’utilisent. La valeur d’un bien immobilier augmente dès qu’une ligne TGV passe à proximité. Le transfert des modes de déplacements de la route vers le rail améliore la sécurité routière et réduit les émissions de CO2. On pourrait multiplier les exemples de ce que les économistes dans le passé avaient appelé des « économies externes ». Le problème du financement est alors posé.  Puisque les utilisateurs à un moment donné ne sont pas les seuls à profiter de l’équipement, la charge de sa construction et de son entretien ne saurait reposer uniquement sur eux. Chaque pays a donc défini son propre modèle de partage entre le contribuable, au niveau national ou local, et l’utilisateur sous la forme d’un péage ou d’un billet de train ou d’avion. L’équilibre entre ces différentes formes de financement est aujourd’hui rompu.  Cela explique en partie les défauts de maintenance, laquelle est pourtant le garant de la sécurité et de la disponibilité de l’équipement pour ses utilisateurs.

La mondialisation, en ouvrant les marchés de capitaux, a facilité le financement des investissements mais avec des exigences de rendement pour les investisseurs privés ou de solvabilité pour les Etats qui n’étaient pas toujours compatibles avec la spécificité de ces catégories d’équipements. Le paradoxe, c’est que la mondialisation n’a pu prendre son essor que grâce aux infrastructures de transport ou de transmission de données. Les mouvements de capitaux comme les échanges de services ont su surmonter cette difficulté car les coûts de transmission par rapport aux valeurs échangées sont très faibles. Ce n’est pas le cas pour les échanges de biens. Sans infrastructures de transport adaptées, il n’y a pas de mondialisation possible. Chaque Etat a donc dû trouver une solution pour surmonter cette contradiction : les infrastructures sont essentielles mais des contraintes croissantes pèsent sur leur financement et surtout sur leur maintien en bon état.

Les Etats-Unis dans le passé ont fait peu d’efforts. La mortalité routière et ferroviaire est très élevée et, dans le cas du rail, c’est lié à la vétusté du réseau. Les émissions de CO2 battent des records et ce n’est pas dû uniquement aux centrales à charbon.  L’insuffisance des infrastructures a même freiné le développement des nouveaux gisements de pétrole et de gaz de schiste puisqu’il est devenu de plus en plus difficile, faute de pipe-lines et de gazoducs de transférer la production vers les régions utilisatrices. L’état des ponts dans le pays est régulièrement dénoncé et une catastrophe comme celle de Gènes semble inévitable. Le président des Etats-Unis, peu après son élection, avait pourtant annoncé un gigantesque programme d’investissement de 1 000 milliards de dollars consacré à la rénovation des équipements. Mais cette promesse est jusqu’à présent restée lettre morte et le lourd déficit budgétaire du pays rend peu probable sa réalisation dans l’avenir.

La Chine a adopté une stratégie exactement inverse avec son programme des nouvelles Routes de la Soie rebaptisé « Belt and Road Initiative », lancé dès l’accession au pouvoir il y a cinq ans du président Xi Jinping. C’est en construisant en Chine et en finançant la réalisation dans les pays voisins, et même au-delà, de ports, de liaisons ferroviaires ou de routes que le pays entend favoriser son développement et donc profiter de la mondialisation. De nombreuses entreprises chinoises participent à la construction de ces équipements. Toutes voient leurs exportations ou leurs approvisionnements venant de l’extérieur facilités. En soutenant la croissance des pays d’Asie centrale, Pékin stimule aussi la sienne sans que le pouvoir d’achat des utilisateurs soit affecté et sans que les charges des entreprises soient accrues car les coûts sont supportés pour l’essentiel par les Etats. La hausse de l’endettement public et privé généré par ce programme est souvent dénoncé par les pays occidentaux qui mettent en garde, depuis plusieurs années contre les risques d’une crise financière en Chine. Ce risque semble largement surestimé et son évocation n’est pas dépourvue d’arrières pensées politiques. La Chine a des réserves de change considérables et si l’on excepte quelques entreprises publiques régionales, la dette créée par cette politique est gérable.

L’Europe se situe entre ces deux cas extrêmes. Les contraintes budgétaires imposées par les traités ont empêché jusqu’à présent de lancer de vastes programmes. Chaque Etat est confronté à la fois à la résistance de ses contribuables face aux charges constituées par les dépenses de maintenance indispensables pour garantir la sécurité et à l’hostilité des utilisateurs face à une hausse des péages ou des billets de train ou d’avion. L’Allemagne a un excédent budgétaire mais n’arrive toujours pas, après dix ans de travaux à mettre en service son nouvel aéroport à Berlin et voit son réseau autoroutier se dégrader. Certains pays, comme la France et l’Italie, ont adopté un régime juridique original, la délégation de service public, pour faire construire et exploiter leurs infrastructures par des entreprises privées, qui, sur une période fixée lors de la définition du contrat, percevront des péages ou des redevances pour financer les travaux et l’exploitation. Mais la critique se déplace. Les profits de ces entreprises sont alors dénoncés comme excessifs et quand la catastrophe survient, comme à Gênes, c’est ce modèle et l’Etat qui en sont rendus responsables.

La mondialisation offre à chacun des possibilités nouvelles pour se financer sur les marchés de capitaux. Mais les contraintes imposées par ceux-ci ne sont pas toujours compatibles avec la spécificité des projets d’infrastructures et de leur exploitation. L’Europe est accusée dans la plupart des pays d’avoir des préoccupations éloignées de celles des peuples qui la composent. Les moyens d’intervention ne manquent pourtant pas. Un « Plan Juncker » de 315 milliards d’euros avait été annoncé en 2015. Il a été porté à 500 milliards et étendu jusqu’en 2020, soit, à l’échelle du continent 100 milliards par an. Il vise principalement à financer quelques grands projets d’infrastructures et des investissements industriels. Mais ces réalisations sont bien éloignées des préoccupations des citoyens qui n’en voient pas les effets sur leur vie quotidienne. Un plan analogue consacré à la modernisation des infrastructures existantes serait bien plus approprié. Il permettrait d’éviter les catastrophes et les lourds désagréments causés par l’indisponibilité temporaire de services essentiels. Il aurait en plus le mérite de rapprocher concrètement Bruxelles des besoins de chacun, ce qui ne serait pas sans conséquences politiques. Les prochaines élections européennes pourraient fournir l’occasion de lancer un tel débat.      

      

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