Vous n'êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

S'inscrire

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

Un voyage stratégique en Chine

Le voyage que va faire le Premier ministre Edouard Philippe en Chine revêt un caractère bien plus stratégique qu’il n’y parait à première vue. Il commence en Chine du sud, à Shenzhen qui fut le berceau de la révolution économique inspirée par Deng Xiaoping il y près de quarante ans et où se trouve l’un des rares monuments érigés en son honneur. Il se poursuivra à Shanghai, la capitale financière du pays et s’achèvera à Pékin, protocole oblige. Il intervient dans un contexte de crise commerciale aigüe avec les Etats-Unis et pourrait fournir l’occasion à la France de marquer, aux côtés de la Chine, son attachement au multilatéralisme, au développement des échanges commerciaux et de saluer le soutien du pays aux Accords de Paris. Edouard Philippe visitera l’usine Peugeot de Shenzhen fruit de la coopération entre le constructeur français et son partenaire local chinois Chang'an. La restructuration de l’entreprise, avec l’entrée au capital d'un autre groupe chinois, Dond Feng, avait permis il y a quatre ans de surmonter la crise financière majeure qu’il traversait.

Shenzhen n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de Taishan, là où EDF, avec son partenaire chinois de longue date CGN, construit deux EPR. Le chargement du combustible du premier est terminé et la réaction en chaîne est intervenue au début du mois de juin. Le raccordement au réseau est donc imminent. Le Premier ministre va-t-il faire le déplacement pour saluer cette réussite et mettre ainsi un terme officiel aux critiques incessantes et pas toujours fondées sur la politique nucléaire de la France ? Cela ne fera pas oublier les difficultés rencontrées lors de la construction du réacteur finlandais et de Flamanville. Toute la filière nucléaire française a été fragilisée et l’Etat a du venir au secours d’Areva et la restructurer. Mais sa présence constituerait un signal positif en redonnant confiance aux équipes en charge de ces programmes, lesquelles y verraient un signal encourageant pour l’avenir.

Les difficultés de l’EPR ont fait oublier les succès passés. Ils avaient permis à la France de conforter son indépendance énergétique, d’avoir des émissions de gaz à effet de serre parmi les plus faibles des pays développés et d’offrir aux Français l’électricité la moins chère d’Europe. La responsabilité de ces difficultés est partagée. Le modèle fut conçu au début des années 90 pour répondre aux inquiétudes nées après la catastrophe de Tchernobyl. L’enceinte de confinement fut donc renforcée et, en cas de défaillance, le réacteur était protégé contre la fusion de son cœur. C’est ce qu’on avait alors appelé la « sureté passive ». Mais l’Etat, sans qu’EDF ne se mobilise beaucoup, s’opposa pendant plus de dix ans à sa construction en France. Quand l’électricien finlandais, TVO, démarché par son fournisseur habituel, Siemens, proposa de construire l’EPR dans son pays, Areva n’avait pas le choix et accepta pour maintenir en activité ses usines. Mais l’entreprise ne sut pas trouver un accord avec EDF, ce qui était indispensable car ses compétences étaient limitées à la réalisation de l’îlot nucléaire et certainement pas à la conduite du chantier de toute la centrale. Le même problème se présenta à Flamanville. La dernière commande en France remontait à la centrale de Civaux en 1992. Les entreprises chargées de la construction avaient perdu une bonne part de leur savoir-faire, d’où là aussi des surcoûts et des retards considérables.

Le contraste avec Taishan est saisissant. La Chine, à la différence de la France n’a jamais arrêté son programme et la qualité de la coopération entre EDF et son partenaire, la CGN, qui remontait aux années 80 et aux premières unités construites non loin de Hong Kong à Daya Bay, a permis de surmonter les difficultés inhérentes à la construction d’un nouveau modèle. En allant à Taishan, le Premier ministre ferait coup double : il marquerait ainsi sa confiance dans l’industrie nucléaire, qui pourrait ainsi tourner la page d’une décennie difficile, même si cela ne plaira pas à tout le monde dans son gouvernement, et saluer un autre exemple de coopération industrielle réussie entre la France et la Chine.

Les grandes batailles militaires ne se gagnent pas sans alliés. En politique étrangère cela suppose un alignement sur des valeurs communes. Dans la mondialisation, la compétition industrielle impose aussi des alliances si l’on veut figurer parmi les gagnants. Mais  l’alignement politique n’est pas nécessaire. Le succès repose sur une juste analyse des intérêts que chacun peut trouver dans les partenariats à construire. L’exemple de Peugeot en est la preuve et le Premier ministre a bien raison de se déplacer pour saluer une réalisation, qui, quand elle a été scellée, a donné lieu à bien des commentaires négatifs. La Chine est, de très loin le premier marché mondial. Peugeot y était présent dès le début des années 80 mais ne sut pas, à l’époque s’y développer. L’alliance avec Chang An à Shenzhen sur les véhicules de catégorie "premium" est une bonne réponse pour rattraper le terrain perdu. Le redressement spectaculaire de l’entreprise qui était au bord de la faillite il y a cinq ans avec l'entrée d'un autre partenaire chinois en est la preuve.

Des progrès restent à faire car le marché chinois a maintenant ses spécificités qui sont différentes de celles des marchés occidentaux. Les familles n’ont qu’une voiture et celles-ci sont perçues comme un signe de la réussite sociale. Les petits modèles, dominants en France, y ont peu de succès et l’usine de Shenzhen offrira peut-être, avec la DS7, les SUV qui correspondent mieux aux attentes du marché. Mais la réussite en Chine aurait été impossible sans une telle alliance. C’est ce que n’avait pas compris Alstom dans les années 90. Le succès du TGV en France avait attiré l’attention des Chinois. Un partenariat aurait permis à l’entreprise de participer aux gigantesques programmes qui allaient être lancés. Le groupe s’y est refusé par crainte que son savoir-faire soit capté par d’éventuels concurrents. Il pensait aussi que les projets chinois n’étaient pas crédibles. Il est donc resté sur le quai. Il a eu tort et cela n’a pas empêché la Chine de se doter du plus grand réseau au monde et même de participer, dans le cadre du programme « Belt and Road Initiative », à son prolongement vers les pays voisins. L’industrie chinoise y a tiré le plus grand parti au point que sa puissance et la menace potentielle qu’il représentait a servi d’argument, sinon d’alibi, pour faire passer le groupe français sous le contrôle de Siemens.

Les  exemples d’EDF, de Peugeot ou d’Areva et le contre-exemple d'Alstom, montrent que les partenariats bien conçus peuvent déboucher sur des succès bénéfiques pour l’industrie française. Il faut désormais bannir l’idée suivant laquelle la Chine est un pays impénétrable et dangereux et où les entreprises n’ont qu’une idée en tête, affaiblir ceux qui travaillent avec elles en pillant leurs technologies et en leur interdisant l’accès aux marchés locaux. Le voyage du Premier ministre est important. Sa visite d’un site industriel français réalisé dans le cadre d’un partenariat avec un acteur local montre la voie à suivre. Il faut espérer qu’elle sera suivie par un déplacement à Taishan et par un hommage rendu aux centaines d’ingénieurs et de techniciens français qui ont réussi avec leurs homologues chinois à construire et à mettre en service le premier réacteur nucléaire de la nouvelle génération. Ils le méritent bien. Cela doit enfin inciter les entreprises françaises à ouvrir les yeux et à comprendre où est leur intérêt. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.          

Commentaires

Pas de commentaires.

Vous devez vous inscrire pour poster un commentaire : se connecter