Vous n'êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

S'inscrire

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

Les faces cachées du modèle allemand

Les élections allemandes qui se tiennent dimanche vont voir une nouvelle victoire d’Angela Merkel. La seule incertitude porte sur son ampleur et le besoin qu’elle aura ou non de constituer une coalition et surtout avec qui. Une alliance avec les Verts est l’hypothèse la moins probable, même si elle leur a donné des gages en sortant du nucléaire et en engageant le pays dans une transition énergétique qui les satisfait. Le retour très probable au Bundestag des libéraux qui n’étaient pas parvenus à dépasser le seuil des 5% lors du précédent scrutin ouvre la voie à une « Petite coalition » comme entre 2009 et 2013. Ils ont réclamé dans cette hypothèse  le poste de ministre des Finances et manifesté une vive opposition à la politique actuelle de la BCE. Cela relancerait les tensions au sein de la zone euro au moment où Angela Merkel souhaite la renforcer et trouve en Emmanuel Macron un partenaire crédible. La reconduction de la « Grande coalition » avec les socio-démocrates faciliterait son projet européen mais dépend du score de ceux-ci. Une trop lourde défaite affaiblirait la crédibilité du nouveau gouvernement en Allemagne. Tel est le dilemme auquel est confronté la Chancelière. Mais sa victoire électorale traduira surtout la réussite économique du pays, qui avait été, on l’a oublié pendant les quinze années qui avaient suivi la réunification « l’homme malade de l’Europe ». Est-ce pour autant un modèle transposable ? La question est d’autant plus cruciale qu’en France la question est posée en permanence depuis dix ans.

La réussite de notre voisin est, vue de l’extérieur, incontestable dans trois domaines, l’emploi, le rétablissement des finances publiques et l’accumulation d’excédents commerciaux considérables. Mais cette réussite est souvent apparente et relève de situations non transposables. C’est d’abord le cas de l’emploi. Le niveau très faible du chômage est avant tout dû à une démographie critique. Le taux de natalité est de 1,3 enfant par famille alors qu’il est de 2 en France. Il y a donc plus de personnes partant à la retraite que de jeunes qui se présentent sur le marché du travail. En France, pour stabiliser le chômage, il faut près de 250 000 créations d’emplois chaque année alors qu’en Allemagne, c’est l’inverse. L’arrivée massive de migrants en 2015 et 2016 n’a pas permis de combler ce déficit, même si tous ceux qui n’ont pas trouvé d’emploi ne figurent pas pour des raisons administratives dans les statistiques du chômage. Autre facteur, le faible taux d’emploi des femmes. Elles travaillent plus souvent à temps partiel qu’en France. Cette forme de partage du travail contribue à faire baisser le taux de chômage. Enfin les fameuses « réformes Hartz » ont permis de dissimuler, avec des contrats à temps très partiel et à faible rémunération, le sous-emploi qui restait très élevé dans les provinces de l’Est du pays. Leur objet était d’empêcher une reprise des migrations vers les provinces prospères de l’Ouest. Il n’est plus contesté que cette politique a creusé les inégalités et développé la pauvreté, en contradiction avec le modèle historique de la « prospérité partagée », initié par le Chancelier Erhard dans les années 60. La réussite de la politique de l’emploi en Allemagne repose donc sur la conjugaison d’une situation non transposable à d’autres pays et de remèdes artificiels dont on aurait tort de vouloir s’inspirer.

Les succès en matière de finances publiques doivent aussi être relativisés. Une bonne part de la différence d’endettement entre nos deux pays tient à la faiblesse des dépenses militaires du côté allemand. La différence chaque année est d’environ 0,5% du PIB. Cumulé sur les vingt dernières années, cela représente près de la moitié de l’écart entre les taux respectifs d’endettement public de la France et de l’Allemagne. Autre raison, là encore la démographie. Le nombre d’enfants scolarisables a longtemps stagné et commence même à baisser de l‘autre côté du Rhin alors qu’il progresse chaque année en France. Notre budget de l’Education nationale s’en ressent. Enfin, même en Allemagne on reconnait que le niveau des investissements publics, notamment dans les infrastructures est insuffisant. Voilà plus de dix ans que Berlin cherche à mettre en service son nouvel aéroport et n’y parvient pas. Mais cela n’explique pas tout. Au lendemain de la crise financière, l’Allemagne a choisi, pour réduire son déficit, d’augmenter la TVA. L’intensité de la concurrence a fait que cela ne s’est que partiellement répercuté sur les consommateurs et l’Etat en a profité. La France pourrait s’en inspirer au lieu de geler ou même de réduire certaines prestations sociales et de bloquer les rémunérations des fonctionnaires.

La réussite en matière de commerce extérieur est, elle, spectaculaire mais ses causes sont mal comprises en France. Leur analyse permettrait d’éviter beaucoup d’erreurs et de redresser une situation à laquelle les mesures prises dans le passé et qui perdurent n’ont pas porté remède. Ce succès n’est pas dû à un « coût du travail » qui serait plus favorable en Allemagne. D’abord c’est complètement faux. Les salariés des grandes industries exportatrices, comme l’automobile ou la mécanique, sont mieux payés qu’en France, même en tenant compte des différents prélèvements qui pèsent sur les rémunérations ici, et ils ne travaillent pas davantage, contrairement à tout ce que l’on a pu dire sur les méfaits des 35 heures. En revanche, la flexibilité sur la durée et le recours au temps partiel pour s’adapter aux fluctuations conjoncturelles sont bien acceptées par les partenaires sociaux et permettent de conserver dans l’entreprise les compétences. C’est un atout. En France, en donnant des avantages fiscaux aux heures supplémentaires au détrtiment des embauches et en n’arrivant pas à gérer les adaptations nécessaires en fonction des carnets de commandes, tout le monde est perdant. L’autre grande différence se situe dans la stratégie des grandes entreprises et leur définition à laquelle ont contribué par leur présence active dans les organes de direction les représentants du personnel. Ce fut instauré par la loi en 1976. Voilà une vraie réforme qui devrait inspirer le gouvernement. Cette participation a joué certainement un rôle face aux délocalisations massives qu’elle a la plupart du temps empêché à la différence de ce qu’on a observé en France. La sous-traitance, notamment auprès des voisins de l’ex-Europe de l’Est a été encouragée mais l’essentiel de la valeur ajoutée a été conservée sur le territoire national. Le ratio entre les exportations des entreprises allemandes et leur production nationale est presque deux fois supérieur à ce qu’il est en France. C’est aussi vrai, mais dans une moindre mesure pour les entreprises italiennes.

Enfin, on ne peut ignorer la différence radicale de comportement entre les consommateurs français et allemands, lesquels ont depuis longtemps compris qu’il était de leur intérêt de préférer ce qui se produit chez eux et d’en vanter dans le monde entier la qualité et celui de nos compatriotes. Il ne s’agit pas de patriotisme ni d’un quelconque sacrifice mais d’un fondement de la prospérité allemande et d’une garantie pour les emplois. Mais là, il ne s’agit pas de politiques publiques mais d’un peu de pédagogie. Les hommes politiques de tout bord pourraient s’y employer. Et, en la matière, l’Allemagne est un vrai modèle, quand, par exemple, Angela Merkel défend son industrie automobile, confrontée au pire des scandales, ce qui n’est d’ailleurs pas étranger à ses succès politiques.

L’Allemagne est bien sûr un modèle pour les Allemands mais pas pour la France, sauf dans quelques cas bien précis. Quand ils l’auront enfin compris, nos dirigeants et nos compatriotes pourraient alors s’en inspirer.

Commentaires

Pas de commentaires.

Vous devez vous inscrire pour poster un commentaire : se connecter