Vous n'êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

S'inscrire

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

167,2 milliards : Le déficit commercial de la France

Généralement, quand on parle de déficit à propos de l’économie française, on cite d’abord celui du budget de l’Etat. On s’est même satisfait de la légère réduction de celui-ci en 2022 par rapport aux prévisions initiales. Il a été révisé à la baisse et a atteint 147 milliards alors que l’on s’attendait à la fin de l’an dernier à un déficit proche de 170 milliards. En revanche l’augmentation à un niveau sans précédent du déficit commercial, lequel est un indicateur bien plus révélateur et inquiétant des faiblesses de l’économie française, a donné lieu à peu de commentaires. A la fin du mois de février, pour les douze derniers mois, il s’établissait à 167,2 milliards d’euros.  

Pour le seul mois de février, il a été de 9,9 milliards en baisse par rapport au mois de janvier et c’est cette réduction qui a attiré l’attention plus que l’ampleur du déficit. La balance des paiements courants chacun de ces deux derniers mois a connu un déficit de 3 milliards d’euros. Ce déficit est lui aussi sans précédent. Il a représenté en 2022 2% du PIB. Traditionnellement, les excédents des échanges de services et les produits financiers rapatriés de l’étranger compensaient et au-delà, la faiblesse des échanges commerciaux de la France. Ce n’est plus le cas. Sans l’euro, cela aurait provoqué une grave crise sur le marché des changes et une chute du cours de la devise nationale. Mais la protection procurée par la monnaie européenne n’est pas sans limites. Le France a aujourd’hui le plus important déficit de paiements courants des principales économies de la zone euro.

L’aggravation du déficit commercial résulte d’abord de la crise énergétique qui frappe l’Europe depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La hausse des prix du pétrole et du gaz naturel en a été une conséquence logique. Mais cette situation a été aggravée par la stratégie allemande de concentrer ses approvisionnements en gaz naturel sur la Russie. Les conséquences pour la France ont été rendue encore plus coûteuses du fait des erreurs majeures commises dans le domaine nucléaire et du choix européen, auquel la France a accordé imprudemment son soutien, de faire reposer les cours de l’électricité sur ceux du gaz naturel.

En 2012, le gouvernement français a fait adopter une politique énergétique basée sur la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, visant même à la ramener à 50% alors qu’elle était à l’époque supérieure à 70%. Aucun projet de construction de nouvelle centrale n’a été étudié, ce qui a accéléré l’appauvrissement en main d’œuvre qualifiée des entreprises du secteur. Pire, les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim d’une capacité totale de 1,8 Gw, qui avaient pourtant reçu l’autorisation de fonctionner, ont été fermés en 2022 sous la pression des écologistes français manipulés par leurs homologues allemands.

La perte des compétences techniques du secteur nucléaire a rendu plus difficile le rattrapage des travaux de maintenance après la fin de l’épidémie et la résolution des problèmes de corrosion détectés en 2022, au moment où les cours du pétrole et du gaz s’envolaient. La balance énergétique subissait alors la triple peine : baisse de la production nucléaire, hausse des cours des énergies fossiles et indexation des importations d’électricité sur le cours du gaz naturel.

Mais la dégradation de la balance commerciale est loin d’avoir pour seule cause la crise énergétique. Le déficit commercial hors énergie a dépassé en 2022, en moyenne, 5 milliards d’euros par mois, soit 60 milliards sur l’année. Il avait été excédentaire jusqu’en 2003. Depuis vingt ans, la situation n’a cessé de s’aggraver. Pendant longtemps, les détracteurs de la monnaie unique avaient fait de sa surévaluation la principale cause du déficit français. Mais ce raisonnement n’a pas tenu longtemps car l’Italie, elle, connaissait des excédents commerciaux importants et en progression constante quand la France était confrontée à la situation inverse.

C’est alors qu’est intervenue une nouvelle explication qui servira à partir de 2012 de fondement de la politique économique par les gouvernements successifs : le coût du travail serait à l’origine de la perte de compétitivité de l’industrie française, des délocalisations et de l’aggravation du déficit commercial. Des allègements fiscaux et des réductions de charges sociales pesant sur les salaires ont alors été opérés, sans aucun résultat concluant comme on peut le vérifier aujourd’hui. Cette perte supposée de compétitivité ne pouvait avoir une cause unique puisque les résultats étaient très différents d’un secteur à l’autre. En 2022, le secteur automobile a un déficit de 20 milliards alors qu’en même temps les industries aéronautiques et spatiales enregistrent un excédent de 22 milliards. Ces activités ont toutes les deux recours à des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers très qualifiés dont les rémunérations sont voisines, quand elles ne sont pas parfois supérieures dans l’aéronautique. Les vraies causes du déficit extérieur français sont donc ailleurs.

Il y a d’abord l’Etat. Sa politique étrangère se concentre sur des enjeux politiques. Il suffit de constater à l’issue de la visite en Chine du chef de l’Etat, la faiblesse des résultats avec juste la confirmation d’une commande d’Airbus qui seront produits dans l’usine de Tianjin et la vente de 50 hélicoptères, malgré la présence d’une délégation importante de dirigeants de grandes entreprises. Le contraste avec l’Allemagne est saisissant. Le voyage du Chancelier Scholz avait été exclusivement consacré à la protection des exportations allemandes et à la conclusion de contrats.

La démarche avait été la même avec la Russie et les anciens pays de l’Union Soviétique. L’Ost Politik d’Helmut Kohl a été poursuivie, notamment par le social-démocrate Gerhard Schreider. Il sera d’ailleurs récompensé en se voyant confier la présidence du groupe russe construisant et exploitant les gazoducs North Stream. Il fallait profiter du rapprochement de ces pays avec l’Europe tout en ayant accès à des matières premières à un coût avantageux. Cette stratégie a échoué dans le domaine de l'énergie mais elle illustre bien la préoccupation constante de Berlin, à savoir la recherche d’avantages commerciaux. Les succès allemands découlent aussi de l’importance attachée à la culture des entreprises et du mode de recrutement des dirigeants.

La seconde cause du déficit français tient, autre différence avec l’Allemagne, au peu d’intérêt que suscite la culture de l’entreprise dans certains grands groupes. Leurs dirigeants sont plus préoccupés par la réalisation d’opérations financières qui profitent rarement à l’économie nationale que par la mobilisation des collaborateurs pour trouver les produits qui correspondent à la demande de leurs clients et les fabriquer. Les succès d’Air Liquide, de L’Oréal, de SEB ou de Safran ne sont pas suffisants pour compenser les échecs de Renault et de bien d’autres fleurons qui ont disparu comme Alcatel ou Péchiney.

On ne peut pas citer en permanence l’Allemagne en exemple pour ses excédents commerciaux, qui contribuent à la croissance du pays et à l’équilibre de ses finances publiques puisque les bénéfices sont réalisés sur le territoire national et ignorer les causes de ses succès, au premier rang desquels figurent une diplomatie efficace et la promotion de la culture d’entreprise.

Le remède à cette faiblesse structurelle de l’économie française ne consiste donc pas à distribuer des milliards à des entreprises sans se demander de ce qu’elles en feront ou si cela correspond à un besoin réel mais à donner toute sa part dans l’action diplomatique aux enjeux économiques et chaque fois que l’Etat a à donner son avis lors du choix d’un dirigeant, à favoriser de véritables entrepreneurs plutôt que de recaser des anciens membres de cabinets ministériels.                    

Commentaires

Pas de commentaires.

Vous devez vous inscrire pour poster un commentaire : se connecter